Les Grandes Gueules : Les Douze Salopards

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Robert Enrico.

Les Grandes Gueules (1965) commence comme un western, se poursuit en polar puis se déploie en étude de mœurs. On songe à Sergio Leone & Jean-Pierre Melville, à leur souffle poussiéreux, à leur imperméable de drame. On devine vite qu’il s’agit d’une évidente réussite, située entre celles de La Rivière du hibou (1961), Les Aventuriers (1967), Le Secret (1974) ou Le Vieux Fusil (1975), voui. Avec un solide et discret brio, l’encore et à tort sous-estimé Robert Enrico investit ainsi l’univers viril de José Giovanni, lui-même expert en testostérone via la traversée en partie inaboutie de ses Égouts du paradis (1979), à chaque plan en (Techni)Scope composé, impliqué, lui alloue une vraie vie. Sans complaisance envers la violence, des éléments humains, des deux clans vosgiens, point siciliens, il affirme une réflexion en action(s), au sujet d’une masculinité tourmentée. Ouvrage de revanche, de vengeance, de rivalité, de solidarité, de réinsertion, d’obsession, Les Grandes Gueules assume son manichéisme, ne se fige dans l’angélisme, portraiture en parallèle le provincialisme des esprits, le capitalisme de la scierie. L’item du mitan des années 60 ressemble déjà, par son absence de rédemption rassurante, par son épilogue dépeuplé, désespéré, suicidé, incendié, à un film de la dépressive décennie suivante, annonce à sa mesure modeste, jamais dantesque, l’odyssée sexuée, en effet ensorcelée, sinistre et sinistrée, de Sorcerer (William Friedkin, 1977). La co-production franco-italienne possède au pays de Dante un intitulé – Una vampata di violenza – doté d’une dimension impressionniste, d’une allitération évocatrice, tandis que l’homologue anglophone – The Wise Guys – renvoie vers l’affranchissement scorsésien et la malignité des mafieux.



En vérité, la dénomination de locution désigne les séides du sournois Casimir et non les libérés sous conditions du valeureux Valentin, cf. avec attention l’altercation au débit d’alcool, évitée de justesse, fi de finesse. Si ces hommes esseulés, ex-prisonniers, à l’unisson de la caméra qui les cadre et décadre en panoramique drolatique, observent, séduits, les fesses de la souriante serveuse, pas de prédateurs ni de proies parmi cet opus-là, plutôt trois femmes fréquentables, tendres mais déterminées, capables d’accepter un bouquet, pas ici de s’installer, d’embrasser ou d’abandonner au débotté l’émule costaud de Monte-Cristo, le lanceur de dés maladif, in fine aussitôt décédé à force d’avoir été frappé pendant la fête funeste. Toute cette scène, entre liesse et détresse, appréciez la pietà de Jean-Claude Rolland & Lino Ventura, reprise habile de celle de Jess Hahn & Pierre Frag, sorte de Laurel & Hardy à sœur peut-être un peu putain, à comtesse racontée conquise, démontre la maestria du réalisateur, la lucidité de son cœur, regard irréductible à la démagogie, au mépris. Enrico filme des mecs estimables aux actes discutables, des immatures et pas des ordures, il immortalise du même mouvement, en ami insoumis, un casting choral impeccable, mentions spéciales aux émouvants Bourvil, Paul Crauchet, Marcel Pérès, au vipérin Michel Constantin. Si Reine Courtois conserve un élégant quant-à-soi, si Hénia Suchar, gracile, magnanime, déclare, dommage, le trop tard, se sépare, pénètre le brouillard, le sourire irrésistible de la regrettée, bien nommée Marie Dubois, défait de façon définitive l’autarcie masculine, transforme fissa Les Grandes Gueules en bref récit de grand amour immédiat, que le destin déviera, symbolisme explicite de la machine maudite, à la suite de l’auteuriste et laconique Vampyr (Carl Theodor Dreyer, 1932), engrenage d’un tournage aux désagréments en série, eh oui.


Face aux factieux, à l’éducateur fataliste, à la frilosité, au préfet, que reste-t-il à (dé)faire ? Il reste, ensemble, à se sauver, au propre, au figuré, de préférence en DS immaculée, Roland Barthes & Fantômas leurs poursuivants dépassent, à savourer le simple plaisir de la survie, tant pis pour le paquet de clopes mouillées, morale sensorielle, stoïcienne, guère malsaine, idem adoptée par les perdants poignants d’un Sam Peckinpah. Les gagnants, les conquérants, les puissants, ceux des mille manuels des histoires officielles, Enrico au fond s’en fiche, même lorsqu’il s’essaie, sans succès, à la fresque presque impersonnelle, sinon à la reconstitution concon (La Révolution française, 1989). Hommage aéré, stimulant, aux anonymes, au fils disons indigne, un brin Canadien, aux marginaux, aux mal vus, supérieurs, jusque au sein de l’erreur, aux m’as-tu-vu, aux parvenus, Les Grandes Gueules corrige par avance le ratage du davantage obscur Les Caïds (1972), identification ironique d’un titre itou dédié aux invisibles de la société, du ciné, au romantisme tragique néanmoins envasé dans la vacuité, la sentimentalité. Durant la coda douce-amère, very vénère, la voix du fameux et fabuleux François de Roubaix se dédouble, s’applique au tandem de types épuisés, pas sidérés. L’ultime fuite affiche au final leur caractère héroïque, celui d’anti-héros blessés, brouillés, cependant en route, au-delà des déroutes. 

Commentaires

  1. "Le fabuleux destin des Grandes Gueules"
    "Documentaire consacré au tournage du film " LES GRANDES GUEULES ( réal : Robert ENRICO - 1965 - Lino Ventura, Bourvil, Jean-Claude Rolland, Marie Dubois, Michel Constantin, Jess Hahn, Paul Crauchet, Pierre Frag... )
    Réalisation : Jean-Pascal VOIRIN. "
    https://www.youtube.com/watch?v=fpN2rI2HwvE&feature=emb_logo

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    1. Déjà déniché, vite visionné, mais merci bien du lien.
      https://www.youtube.com/watch?v=4TkzqZ1_voM

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  2. Voir ou revoir, juste un clin d'oeil, pas de prétention autre...sourires...

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  3. Chanson hommage à l'acteur Jean Claude ROLLAND décédé en 1967
    Brigitte Fontaine - Dommage que tu sois mort
    https://www.youtube.com/watch?v=EcLRlsAAg34

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    1. Pour vous remercier de cette découverte, ce beau duo :
      https://www.youtube.com/watch?v=00qwj6VXVOw

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  4. Georges Moustaki "Espérance" (Nos enfants) | Archive INA
    https://www.youtube.com/watch?v=o4AaOyMOCoM

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  5. Question grandes gueules à fou rire la Maillan et Bourvil en duo culte :
    Jacqueline Maillan & Bourvil - Ça (je t'aime moi non plus)
    https://www.youtube.com/watch?v=JbTNJyP-Mkk

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    1. Jane ou Brigitte ? L'auditeur hésite...
      https://www.youtube.com/watch?v=kDkRG5eP_pk
      La Maillan parmi des résistants :
      https://www.youtube.com/watch?v=tQGnemw-doA

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    2. Bourvil qui cite le film les Grandes Gueules dans cet extrait, un duo avec Annie Cordy, Le Petit Coup de Chance...
      ma foi(s) d'une capricorne, c'est extra !
      https://www.youtube.com/watch?v=nWrIHZaKco8
      Journal de Paris 15/10/1965 archives INA Stars...

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    3. https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/04/la-rupture-pensione-paura.html
      https://www.youtube.com/watch?v=fNbTfNAKDIc

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