Top Secret : La Graine et le Mulet

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Blake Edwards.

« La patience est nécessaire en tout » explique le Soviétique : il convient d’en posséder beaucoup pour encaisser jusqu’au bout cet interminable et dispensable Top Secret (1974). Précédé par le générique très esthétique du master Maurice Binder, qu’escorte le score sinueux du précieux John Barry, l’ouvrage d’Edwards s’annonce en ersatz de Bond, voire en écho à Vertigo (Hitchcock, 1958). La jolie Julie et l’aimable Omar y batifolent à la Barbade, espionnés par une pelletée d’espions à la con. Pas de Rihanna là-bas, nonobstant à gogo du bla-bla, juste une plage satinée, de début en fondus enchaînés, qui rappelle celle de Elle (1979). Davantage habillée que Bo Derek, en dépit de son pudique bikini, Miss Andrews, prénommée Judith, chic biblique, y promène, alanguie, son estivale et sentimentale mélancolie, bien éclairée par le DP Freddie Young, fidèle de David Lean. Point de Holopherne à décapiter, cependant un Sverdlov à fissa séduire. Les étranges étrangers, subito presto rapprochés, évoquent vite leur triste passé. Celui de la  dear Julie/Judith explicite une image du générique, car mari cramé à automobile chutée, olé. Entre eux, tout va pour le mieux, contrairement à l’esclave jadis pendu, donc décédé, désormais au musée, dont la graine anthropomorphe de tamarinier paraphe l’ésotérique titre arboricole original (The Tamarind Seed). En  guerre froide à fond, on fond, on s’échauffe, on se réchauffe, surtout auprès du slave et suave transfuge Sharif, on échafaude des conspirations d’occasion, on manigance des recrutements d’antan. Tandis que les binaires blocs un brin au bord de l’ignoble cogitent leur tactique stratégique, cynique, pourparlers patraques, paranoïaques, l’infidèle Mrs. Stephenson son propre époux homo et coco dégomme.


Obsédées par le dossier d’un certain Blue relou, les autorités font preuve d’autorité, exécutez-moi ce sale renégat encore à l’aéroport. Sous le soleil again, la mort succède ensuite à l’amour, grenades au napalm de vrais-faux touristes lancées contre le bungalow du sincère duo, puis furtive fusillade sur le sable. Avant de convoler avec son ressuscité au creux d’un Canada en écho de coda et de chromo à la vaste verdure de la virevoltante ouverture de La Mélodie du bonheur (Robert Wise, 1965), l’héroïne, blessée, hospitalisée, devra se soigner, contempler, rassurée, sur sa paume un plaisant, pourtant sombre, symbole. Si le Roman Polanski du parfait contemporain Chinatown (1974) retraçait de l’intérieur la pourriture mafieuse et la perversité incestueuse du capitalisme US, sous l’aspect vintage du « néo-noir » de désespoir, le Blake Edwards de Top Secret, à Londres puis Paris délocalisé, se soucie lui de sucreries, d’un jeu d’échecs déjà, dès sa sortie, suranné, obsolète. Face aux mensonges mitoyens des adultères ou austères citoyens, à la duplicité partagée, qu’opposer, sinon une superficielle sentimentalité assumée, jamais passionnante ni passionnée, aussi affichée par Sharif épris en Russie d’une première British, chiche, Julie Christie, of course, aux prises avec le sanglant tsarisme, le refroidissant stalinisme, du Docteur Jivago (1965), frérot ? Face à la minceur de l’argument, au devinable dénouement, à quoi se raccrocher, afin d’éviter de décrocher, sinon au charisme charmant de gens de talent(s) attachants, souvent brillants, devant et derrière l’écran, mention spéciale à la spectrale et impitoyable Sylvia Sims, ici hélas par un script famélique, mécanique, desservis, dommage, tant pis ?

Rétif à l’hédonisme des adaptations de Ian Fleming, au réalisme a priori dépressif, sérieux, de feu John le Carré, Top Secret mérite toutefois d’être tiré de l’obscurité du ciné, à domicile et en ligne visionné, même en français. Non parce qu’il cite un extrait à la TV de Correspondant 17 (Hitchcock, 1940) ; non parce qu’il améliorerait l’idem raté Le Rideau déchiré (Hitchcock, 1966), « Dame » Julie Andrews en dame de Paul Newman ; non parce qu’il présagerait un second Top secret ! (Jim Abrahams, David & Jerry Zucker, 1984), Omar rempile, à dix ans pile – plutôt parce qu’il démontre à nouveau la discrète virtuosité du cinéaste Edwards et non du scénariste homonyme, d’après un roman du moment. L’un des derniers grands classiques hollywoodiens, au côté, allez, de Clint Eastwood, dont le final pluvial de Sur la route de Madison (1995) relisait bien sûr celui de Diamants sur canapé (1961), le réalisateur majeur, par exemple du diptyque ludique et mélancolique The Party (1968) + Victor Victoria (1982), de l’appréciable Vacances à Paris (1958), captive en effet le cinéphile impénitent, impatient, fatigué, bien disposé, par son sens en widescreen du cadre sans faille, par la composition stimulante de chaque plan, par la plénitude de sa forme fertile, pas seulement pendant le tour de force musical, filmique et mutique, de la tentative de meurtre et de l’exfiltration réussie à Heathrow, pointé plus haut. Ce décalage d’évidage du récit, de maestria de la caméra, métaphorise et matérialise le manichéisme de l’affrontement d’un autre temps, voire sa division d’amoureuse élection, de complice manipulation, alors que l’usage des transparences renvoie évidemment vers le domaine des apparences, leçon hitchcockienne retenue et retravaillée avec brio par le Brian De Palma classé X de Body Double (1984).

En express résumé, Top Secret constitue, de fait, en vérité, une clivante curiosité, un film à la fois fade et affable, pardonnable et défendable, à consommer en mode modéré, à recommander de manière réservée.       

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir