Don’t Go in the House : Firestarter
Allumettes suspectes, jeux
audacieux...
They’re taking her children away
Because they said she was not a good
mother
Lou
Reed
Burn with me tonight
Sia
Moins catho, quoique, curé inclus, crucifix
à foison, davantage disco que Driller Killer (Abel Ferrara,
1979), moins onirique et sentimental que Maniac (William Lustig, 1980),
pareils précieux portraits de tourmenteurs très tourmentés, Don’t
Go in the House (Joseph Ellison, 1980) ne ressemble pas non plus à un
ersatz de Psychose (Alfred Hitchcock, 1960), en dépit d’une morbide maternité
partagée. Le peintre à la perceuse, on s’en souvient, entendait des voix, le
pauvre, et Joe Spinell, on s’en rappelle, scalpait parce qu’abusé par sa maman
putain, nom d’un chien. Ces éléments acoustiques, psychanalytiques, se
reconnaissent entre les quatre murs de la mortelle masure, mais cette sorte de
chaînon manquant ne manque pas de charme personnel, possède sa propre beauté
horrifiante, horrifiée, remarquons le travail remarquable du britannique cinematographer Wood Oliver, dont la
carrière éclairée débuta, en noir et blanc, par le mémorable Les
Tueurs de la lune de miel (Leonard Kastle, 1970), se poursuivit
notamment via Volte-face (John Woo,
1997), du Ron Underwood, du Paul Greengrass, ou, récemment, le Ben-Hur
(2016) de Timur (Bekmambetov), auquel la VO non sous-titrée, sinon en
portugais, disponible en ligne, en 480p, rend enfin justice, fi de vieille VHS
délavée. Il s’agit, pour résumer, d’une moralité de maltraitance au carré, d’un
conte défait pour adultes ne craignant point le tumulte, dune accumulation de
tensions, d’atrocités, qui se conclut en boucle bouclée, en regard caméra, en
arrêt sur image puis cut noir, que
les optimistes aillent se faire voir. En surface, l’opus pourrait s’interpréter tel un ressac du féminisme de la fin
des seventies, une justification de
saison, pro domo et à domicile, de ce
que la victimisation sexuée, institutionnalisée, désigne désormais, quarante
ans après, par l’expression « violences faites aux femmes ».
Nos mères maudites nous démolirent
durant notre enfance – notre destin masculin se placera par conséquent sous le
signe de la souffrance, de l’effroi infâme infligés à leurs semblables, aux
représentantes ressemblantes du « deuxième sexe » infect, inepte. En
profondeur, co-écrit et produit par une plume féminine, celle d’Ellen Hammill, caméo
non crédité d’épouse à marmots, à bac à lessive, à drolatique réplique
infanticide, tandis que le mari cachottier, dragueur, lecteur de Mad,
se prélasse sur le canapé, devant sa sportive TV, bière et bretzels à portée de
main, espèce de bon à rien, Don’t Go in the House ne succombe
jamais au ressentiment de la misogynie, ne sombre à aucune seconde dans les abysses
stériles de la rance complaisance. Peu importe qu’il comporte un plan de pubis apparent, arrosé d’essence fissa, de
frontal nudity, disent certains Américains puritains, celui de la première
proie au présent, suspendue, nue, parmi la pièce aux parois recouvertes de
métal, fond bleu gris évocateur contre la chair claire, la chevelure blond
vénitien, Ellison ne cède au salace, ne se gargarise de dégueulasse, ne cherche
à susciter le désir chez son spectateur voyeur. Comme Hitch jadis, le cinéaste
réussit un paradoxe, accomplit une contradiction, nous situe en stéréo, en même
temps troublant, du côté des agressées, de leur agresseur traumatisé,
machiavélique, impardonnable et pitoyable. Même s’il se livre à l’irréversible,
Donny conserve jusqu’au bout son humanité fracassée, mélange de dérisoire
immaturité, de redoutable dangerosité, insoupçonnable à l’avance, vite
dévoilée, au boulot ou en boîte. L’inconfort que procure Don’t Go in the House
provient ainsi de sa lucidité, de sa complexité, de son honnêteté, de son
intégrité, à l’instar, et à sa mesure modeste, de M le maudit (Fritz Lang,
1931).
Contrairement au Diable, le mal
existe, majuscule optionnelle, précise le prêtre décent, pas encore
incandescent, à l’adulte dérobeur nocturne d’eau bénite, ses avant-bras
porteurs de stigmates domestiques, puisque sa maman solitaire, célibataire, le
torturait enfant, payait ses péchés puérils au prix du gaz. La folie s’affiche
avec la chasteté, voire la sainteté inversée, la solitude ne répond pas, ou
trop tard, aux appels (au téléphone) de l’amitié, une soirée disco, mate ma
tenue presque à la Travolta, s’avère un fiasco, en effet fumeux, au sens littéral
du terme, Farrah ne me contredira. Pardonner les offenses du passé, passer à
autre chose de moins morose, l’ouvrier d’incinérateur ne le peut, ne le sait,
les réminiscences et les pulsions le dévorent de l’intérieur, feu noir attisé
par le désespoir, à peine assourdi par la musique ironique, couché sur un lit
solo, en position fœtale pathétique. Rempli de colère, Donald Kholer découvre
la délivrance, la liberté, le pouvoir de supprimer le reflet, inconscient de sa
démence, incapable de soupçonner son anonyme anormalité, la culpabilité qui carbure
au songe ensablé, funeste, à la Lucio Fulci, enfante les fantômes, fait
parler les trépassées, rassemblées en trinité cramée, momifiée. La triste
tentative de sortir, de s’en sortir, de s’éloigner du pire, se solde par une
bougie de table jetée au visage de la danseuse aguicheuse, ses cheveux enflammés,
sa face probablement défigurée, son frère vénère menaçant d’assassiner aussitôt
l’incendiaire, le rouant de coups jaloux à terre, matière à récit révisionniste
auprès de filles alcoolisées, mélangeant Marines et bérets verts. Au sein du
brasier final brûlent enfin le sec sein maternel, la vengeance des invisibles, Érinyes
ressuscitées de châtiment immanent, au détriment de l’amiante.
Néanmoins la malédiction laïque ne
saurait s’achever, Michael se substitue à Donald, raccord sonore de JT en sus,
héritage d’outrage, de tabassage, de mère dite indigne indignée par ses jouets
non rangés, son silence éloquent, déjà de dérangé, en dialogue diabolique avec
les invités de son cerveau. Filmé au milieu d’un New Jersey gelé, stimulant
contraste de l’argument, ce film désargenté, détesté, discrètement renommé, censuré
en salles et sur cassettes au Royaume-Uni, séduit du premier au dernier plan,
porté par un impeccable, et sympathique, et professionnel Dan Grimaldi,
longtemps après au générique, en jumeau(x), des Soprano, représente un
essai réaliste, impressionnant, atmosphérique, mélancolique. Admirateur de
Fellini, en relation avec Romero, Ellison repassa derrière la caméra une seconde
et donc dernière fois, se retira, Dieu sait pourquoi. Don’t Go in the House
appartient dès lors, disons à moitié, au club
des films orphelins, qui comporte, outre le Kastle sarcastique précité, La
Nuit
du chasseur de Charles Laughton (1955), telle une réponse dépressive,
sordide, intéressante, intelligente, à ce poème d'épouvante. Dans Le
Vieux Fusil (Robert Enrico, 1975), la très chère Romy Schneider se
faisait violer, carboniser, par plusieurs SS, accessoirement meurtriers de sa
fillette. Dans Don’t Go in the House, le lance-flammes fait retour, délesté de
toute connotation historique. Peut-être James Glickenhaus le vit-il et s’en inspira-t-il pour l’affiche exagérée, mensongère, de son Droit de tuer (The
Exterminator, 1980). On le disait, Donny ne rime en rien avec un
justicier dans la ville, il préfère préparer du thé à la camomille, un médecin
ulcéré par le destin, devenu ange exterminateur rural.
Cela ne l’empêche point de nous
ressembler, de nous interroger, d’être digne d’être apprécié en monstre
familier, en cinglé sidéré, épiphanie flambée, par un ouvrier changé en torche humaine.
« I can change » affirme-t-il à la morte noircie, toutefois personne
n’y croit, surtout pas le cinéphile, enthousiasmé par la radicalité artisanale,
classique et stylisée, de ce noir diamant autant glaçant que brûlant, odyssée d’insanité
tragique et prophylactique, psychologique et cathartique. En film d’horreur
réussi, le métrage mérite l’hommage, donne envie de (sur)vivre et d’aimer
mieux, de mettre à distance les douleurs, les deuils, la guerre classée des
sexes déprimante, dorénavant en revival,
d’inhumer de manière définitive nos mères magnifiques et maléfiques, à notre
image, matrices et mausolées, premières et dernières (des) femmes,
refroidissantes ou admirables. N’allez pas dans cette maison ? Allez visionner
ce bon mauvais rêve et remerciez ensuite votre mommy, votre épouse, votre compagne, génitrice ou non, apprenez
ensemble, en couple, en famille, à ne brûler que du feu de la passion, pour l’existence
et/ou le cinéma, voilà.
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