Two Women : Jennifer’s Body


            L’espièglerie de Lise, la victoire de Vicky...


Remind me once again just who I am because I need to know


Les deux dames désignées par l’intitulé s’appellent Ashlyn Gere & Victoria Paris, ce qui devrait suffire à susciter le désir. Vraies amies dans la vraie vie, sisters du récit, oniriques, aquatiques, mutiques et saphiques selon le Decadence (1997) de Michael Ninn, commandité par leurs soins sereins, les performeuses en stéréo démontrent ici leur brio, pas seulement sexuel, puisque Alex de Renzy signe l’un de ses derniers opus scénarisés, avant de se (re)convertir, rebaptisé, au gonzo spécialisé. En 1992, il filme à domicile, à San Francisco, au bord de l’eau, en vidéo, un ouvrage assez valeureux, doté de dialogues, de personnages, de situations et de tensions. Placé sous le signe de l’opposition, de la division, de la révélation, Two Women s’ouvre sur une mise en abyme au carré, un trio « interracial », la sculpturale Dominique Simone s’y colle, capturé au caméscope, lu sur petit écran, en noir et blanc, cadré à l’horizontale. Lisa/Ashlyn manie l’objectif et miroite le réalisateur, tandis que le dispositif reflète le statut du spectateur. Plus tard, la dissimulatrice se fera sodomiser avec préservatif au sein d’une pièce aux trois parois placardées de glaces, où soi-même (s’)observer, en compagnie du « toy » Tom Byron, galant à catogan, ses acrobaties démultipliées, reproduites à l’identique, casse-tête cinématographique, remarquez bord cadre un bout du caméraman. Ce narcissisme assumé, à la fois spectacle par procuration et autofiction au carrefour de l’incarnation, de l’abstraction, constitue un courant conscient, récurrent, du corpus pornographique, par définition autarcique, automatique, programmatique, le revers rationnel de l’avers de l’abandon, disons. Entiché de contre-plongées, de pilosités, de zooms mesurés, de scènes de sexe musiquées, montées, éclairées en lumière blanche refroidissante, jamais gynécologiques, presque trop proprettes, possibilité d’ennui poli, en particulier auprès d’une génération devant dorénavant son éducation, sinon son édification, via la numérisation, sa démocratisation, sa profusion, sa vitesse d’exécution, d’abolition, le cinéaste dédouble son duo, affirme une schizophrénie naturelle, essentielle : en chacun, Jekyll opine, sommeille quelqu’un de différent, altérité de destinée rimbaldienne, éveillée ou non à l’occasion d’un secret transparent, de second appartement, d’une rencontre nocturne.





Plus explicite, graphique, insultes incluses, la VF moralise l’argument, ramène un « démon » concon, quand la VO objective les ébats et le débat. La blonde et douce et oisive Jennifer découvre davantage que la double vie de son mari, Richard échangiste, solide Randy Spears, menteur non dépourvu de cœur, même s’il s’occupe avec la sœur brunette de l’intéressée bientôt dessillée, la prend en levrette parmi d’impeccables toilettes de sex-shop drolatique, tenu par le « légendaire » et désabusé Ron Jeremy. Elle remet en cause la trop confortable « normalité » de sa sexualité, de son identité, elle expérimente la plasticité des étreintes, des demi-teintes, d’abord spectatrice, ensuite actrice, paire de partouzes. Dans son Identification d’une femme (1982) à lui, de Renzy va évidemment plus vite, plus anatomique, qu’Antonioni s’essayant à l’érotisme, qui jadis, au temps de L’avventura (1960), célèbre note d’intention esthétique, politique, associait représentation physique, priapique et pathologie sociétale. Ainsi Jenny/Victoria succombe fissa au charme de Joey Silvera, « Voltaire » libertaire en clin d’œil au réputé Pretty Peaches (de Renzy, 1978), adaptation pirate de Candide, d’ailleurs déjà transposé par le Candy de Mason Hoffenberg & Terry Southern puis de Christian Marquand (1968). La coda colorée représente une acmé, sens duel, au terme de laquelle, in extremis passée de l’autre côté, baptisée par le sperme mélangé de quatre étalons disparus à l’horizon, déposé en simultané sur ses seins et son ventre, la jeune femme essoufflée tombe le masque, au propre et au figuré, se révèle à elle-même, s’admet insatiable, présage la fameuse réplique conclusive d’une Nicole Kidman spéculaire, déstabilisante, loquace et iconique chez Kubrick, Eyes Wide Shut (1999) en similaire mais différenciée traversée du miroir des apparences, à l’Alice de Lewis, Tom Cruise, ou Tom Pouce, tel un Petit Poucet très tourmenté par son odyssée heuristique.





Chapeauté par Rosebud Productions, la société bien nommée d’Alex de Renzy & Henri Pachard, primé à deux reprises aux AVN Awards, catégories best director et best videography ; à moitié porté par une Ashlyn Gere remarquable, directive, intrépide, ludique, mélancolique ; ni apologétique ni anecdotique, Two Women s’avère moins dépressif que Sueurs froides (Alfred Hitchcock, 1958), moins mutant que Chameleons (John Leslie, 1992), items itou dédiés aux dédoublements, aux faux-semblants, aux féminités affolées, aux masculinités instrumentalisées, films majeurs d’épiphanie problématique. ADR pouvait certes développer les portraits, dynamiser le rythme, surprendre par les positions, les espaces. Cependant, portons-le à son crédit, il ne prend à aucun moment le cinéphile pour un imbécile, le consommateur pour un crétin, il respecte son casting et parvient à dépeindre des psychés charnelles, pardon du pléonasme. Malgré la mention To be continued apposée sur l’arrêt sur image de l’ultime plan, points de suspension de saison, il ne poursuivit point, il préféra esquisser une seconde « exquise esquisse », susurrait « l’incestueux » Serge Gainsbourg, cette fois consacrée à la frêle Sierra, sorte d’ersatz de notre O hexagonale (L’Esclave, 1993, aka Slave to Love, titre musical, Bryan Ferry ne me contredit, et littéral). Le DVD Blue One arbore ce tandem, assorti des « meilleures scènes » des demoiselles en question, mentionnons en sus la rousse et belle Brittany O’Connell. À nouveau, a fortiori en matière de films classés X, il ne s’agissait pas de nostalgiser, de regretter une ère dorée inexistante, rassurante, réactionnaire et mortifère. Il convenait de se souvenir au présent de femmes fréquentables, tout sauf victimes virales ou « morceaux de viande » à vomir, de favoriser des femmes fortes et fragiles qui surent, avant de se retirer, de se réinventer, notamment au cinéma mainstream, voire à la TV, entremêler pragmatisme et altruisme, exposition et discrétion, engagement et discernement, sans une once de déni ou d’hypocrisie.





Échouant à échauffer grâce à sa bouche maousse un Richard sorti de la douche, sans doute douché par le contexte domestique, le lit conjugal, enfilant un string noir chipé dans le tiroir de sa sœurette pourtant peu suspecte, Lisa ironise à propos de « Miss innocente », de piaule de la pureté, à ne pas profaner. Les répliques acerbes n’empêchent la tendresse, la sollicitude sincère, l’hébergement d’une solitude aux lisières du prosélytisme. Meilleures ennemies, se parlant, ne se comprenant, finalement se ressemblant, la plus inconsciente surpassant sexuellement, psychologiquement, la plus au courant, Lisa & Jennifer n’indiffèrent, conjurent la caricature, l’imposture, monnaie majoritaire, misérable, d’une imagerie remplie de tristesse, relisez-moi ou pas, essai du passé, parfois d’éclats de noblesse, de beauté, d’intensité, de générosité, de véritable amour rémunéré, filmé, par conséquent aussi impur et imparfait que celui effectué en privé, lui-même, souvent, pitoyable et poignant. Avec ses limites, avec ses réussites, le métrage d’un autre âge méritait mon modeste hommage, ma recommandation bien entendu interdite aux mineurs, qui disposent désormais, accessoirement, d’un réservoir abyssal de documents extrêmes, calamiteux, malheureux, propices au désespoir et négateurs d’onanisme, en tout cas envers votre serviteur. Répétons-le, la pornographie, comme le ciné accessible à la minorité, n’appartient pas aux épiciers, devrait revenir aux aventuriers, démontrer un regard adulte, s’autoriser l’exercice de style existentiel. Gardons-nous des normalisations, féministes ou non, de nos intimités partagées, paupérisées, rarement sublimées, afin, enfin, de faire rimer, en relative liberté, débarrassés de sentimentalisme, de cynisme, baiser et baiser, to fuck et to kiss, guidés par la dear-énergique Ashlyn Gere et la précieuse-précise Victoria Paris... 




        

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir