Chiens enragés : La Course à la mort de l’an 2000
Bava vous convie à une virée virale, assis(e) à la « place du
mort », bien sûr…
À côté de Chiens enragés (1974), La
Baie sanglante (1971) ressemble presque à un divertissement statique.
Leçon de tension, de réalisation, de direction, d’acteurs et de spectateurs, Cani
arrabbiati relie Guet-apens (Sam Peckinpah, 1972) et La
Proie de l’autostop (Pasquale Festa Campanile, 1977), autant qu’il relit
Le
Fanfaron (1962) de Dino Risi. Cette fois-ci, la course folle et funeste
ne se situe plus dans l’Italie économique « miraculée » des années
60, mais dans celle « à main armée » de la décennie suivante. Comme
les voleurs en viennent à croiser la route de leur conducteur, au sens littéral
de l’expression, la misanthropie sous-jacente du cinéaste rencontre le
terrorisme politique de l’époque, s’y déploie en huis clos d’habitacle auto.
Tout se termine par un massacre guère magnanime, par un renversement de
(situation) survivant, dévoilé dérobeur d’enfant. L’ultime plan, menaçant, mémorable,
mémoriel, cadre au creux du coffre, capturé en diagonale, le petit otage
captif, couvert d’une couverture, peut-être malade, en tout cas sous sédatif,
déjà cadavre via l’arrêt sur image,
en rime rajeunie, anticipative, à celui, avéré, médiatisé, d’un certain Aldo
Moro. Avec Shock (1977), son testament prématuré, Bava inversera
l’argument, substituera au gamin maltraité, même ensuqué, par conséquent inconscient,
un descendant très malaisant. Auparavant, pendant une heure et demie de
tragi-comédie, unité de temps, de lieu, d’action, nous assistons au calvaire motorisé
de Maria & Riccardo, otages d’autoroute, d’outrages en déroute. Le scénario
solide et astucieux d’Alessandro Parenzo, partenaire d’Aldo Lado ou Salvatore
Sampieri, et Cesare Frugoni, non crédité, collaborateur régulier de Sergio
Martino, ici inspirés par une nouvelle américaine, file la métaphore médicale,
depuis la compagnie pharmaceutique braquée, empoche la sacoche contenant le
salaire des employés, jusqu’à l’hôpital réclamé, sans cesse repoussé, en
passant par le dottore de politesse, à double sens.
Le Grand Embouteillage (Luigi Comencini, 1979) se base sur
un embourbement alors que Chiens enragés repose sur une
vitesse morose, néanmoins le diagnostic s’avère identique, portraiture en
réponse, à distance, un pays en proie à de multiples pathologies. Certes, Lea
Lander ne subit pas le viol voyeuriste, collectif, d’Ángela Molina, elle doit « juste »
uriner debout devant ses deux bourreaux, aussi puérils que des marmots,
davantage dangereux. Détester la majorité de l’espèce humaine, ses chères passions
chiennes, éprouver un plaisir démiurgique, cathartique, à la détruire, à la
filmer en train de s’autodétruire, n’empêche pas de savoir exercer sa lucidité,
de parvenir à saisir des instants d’humanité au milieu des marais de
l’inhumanité, non pas pour (se) rassurer, pour s’amender auprès des humanistes
autoproclamés, simplement par honnêteté, parce que, dans la « vraie vie »,
cela se passe ainsi, tant mieux, tant pis, repensez une seconde à Adolf Eichmann
et son canari endormi, à la porte doucement refermée afin d’éviter de le
réveiller, au retour d’une journée d’extermination bien programmée, avec le
zèle professionnel d’un type trop normal, banal (du mal, rappelle Hannah
Arendt). Le tandem d’immatures sur la
banquette arrière ne paraît pas le plus à plaindre, à craindre, il convient de
se méfier du calme du kidnappeur kidnappé, des pères par procuration portés sur
l’infanticide, surtout chez Mussolini & Pasolini. Chien enragés nous donne
à expérimenter tout ceci, module le rythme sans le perdre, ne nous autorise à
reprendre notre souffle, à céder aux délices distanciés de la sociologie jolie.
Filmé au plus près des visages, des corps, lesté de chaleur, de sueur, de peur,
le film du caro Mario marque la rétine et le cœur, transforme le cinéphile à
domicile en passager secoué, sinon sidéré.
Il associe l’urgence et la démence,
l’enfance et la violence, le fric et les freaks,
le maïs et la malice, l’amitié et la rapacité, le sexe (de trente-deux
centimètres, surnom à la con du colosse obsédé, John Holmes s’en moque) et la
détresse. Par sa virtuosité, sa radicalité, Cani arrabbiati laisse loin
derrière lui l’ensemble des poliziotteschi, corpus
plutôt sympathique, assez anecdotique. Les courses-poursuites, les flics et les
voyous, Bava s’en fout, nous itou, il préfère se focaliser sur son sextet escorté par le jazz de Stelvio Cipriani, auteur d’un
thème avec variations de saison. Un feu (rouge, titre alternatif, carrefour
fatal) dévore de l’intérieur (pas de climatisation, allons bon) ce grand petit
film, vite tourné in situ, longtemps
invisible pour cause de rétention administrative, de faillite du financeur, qui
existe en plusieurs versions, dont celle supervisée en 2001 par Lamberto &
Roy Bava, fils et neveu de Mister
Mario. Avouons-le vite, cet avatar n’apporte rien, à part un nouveau générique,
moins de musique et une brève présence de la mère orpheline, au téléphone, en
souffrance. La moralité demeure la même, son scepticisme persiste à être
pessimiste. L’équipée sauvage de ces canidés excités, leur opus picaresque, outre renvoyer l’image d’un Mondo cane (Paolo Cavara,
Gualtiero Jacopetti, Franco Prosperi, 1962) délocalisé, relève du polar
dépressif, de l’horreur diurne, renvoie indirectement vers un second
misanthrope plus sentimental, musical, dénommé Stanley Kubrick, fait fusionner The
Killing (1956) et The Shining (1980). Au-delà des
masques portés, des adultes désolants, de la promiscuité, de l’insanité, d’un
gosse à sauver, le duo de réalisateurs partageait un sens de l’humour
noirissime, sarcastique, et si 2001, l’Odyssée de l’espace (1968)
se conclut par de la poésie spatiale, voire de l’agnosticisme stellaire,
cyclique, Rabid Dogs n’en démord pas, l’innocence
périra, ou paiera (un paquet de lires) pour sa délivrance, prisonnière d’un
univers délétère, d’un microcosme mortifère, où Dieu, mon Dieu, se signale par
son absence.
Porté par un casting choral remarquable, Mademoiselle Lander, d’ailleurs auteur
d’un montage du métrage, très bien entourée par Aldo Caponi, Riccardo
Cucciolla, Luigi Montefiori et Maurice Poli, Chiens enragés ne
représente point un nouveau départ censé relancer une carrière, correspondre au
goût contemporain, rejoindre les rangs du réalisme agressif. Il convient de le
(re)découvrir en développement intransigeant, désargenté, au propre, au figuré,
de tout ce qui précède. Mario Bava s’y met en abyme, figurant de l’effroi, il
reformule le dessillement de La Fille qui en savait trop (1963), Opération
peur (1966), Lisa et le Diable (1974), il
supplante l’amical directeur photo Emilio Varriano, il continue à accomplir
beaucoup avec peu de temps, d’argent, à imposer au présent sa vision du cinéma,
de l’existence, majeure et remplie de terreur. En définitive, que l’on fasse du
shopping, piège de parking, que l’on tombe en panne, la
dame en doublon, prénom idem, se tait
désormais, le voyage vénère et vivace finit dans une fosse de fossé, les
meurtriers et les victimes immobiles d’un similaire sommeil éternel,
puisqu’après le bruit, la fureur, l’absurdité, la destinée, règnent le silence
et la solitude, la tristesse et l’infortune...
ENRAGÉS Bande Annonce (2015)
RépondreSupprimerhttps://cinema.jeuxactu.com/news-enrages-la-bande-annonce-du-remake-de-rabid-dogs-25856.htm
"qui bon chien veut tuer, la raige li met seure", proverbe dès le XIIIe
https://www.imago-images.com/st/0096089139
https://www.youtube.com/watch?v=COCtbBpYs4Q
SupprimerLucio Battisti - Emozioni (A casa di Ornella - completo)
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=x5KJrJwhSMY
Lucio Dalla - Kamikaze
https://www.youtube.com/watch?v=NQWMueCly1E
https://www.youtube.com/watch?v=TjTo3GNjsPU
SupprimerQuand Marguerite Duras parlait des années 2000 en 1985
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=J8-B9Ezr4VI
GLACIATION Sur Les Falaises De Marbre (Full Album)
https://www.youtube.com/watch?v=hH_w5o2EATo
https://www.youtube.com/watch?v=WF8Wr_i3LDg
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=CD-E-LDc384
https://www.youtube.com/watch?v=kV-2Q8QtCY4
Cave Canem Mosaic, House of the Tragic Poet, Pompeii
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=qaxMyraJp9s