L’Idiot ! : Main basse sur la ville
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Youri
Bykov.
Putain c’qu’il est blême mon HLM
Renaud
L’Idiot ! (Youri Bykov, 2014) se termine comme
commence Le Client (Asghar Farhadi, 2016), par l’évacuation d’un
immeuble menaçant de s’effondrer, métaphore maousse d’un pays aussi pourri que
les fondations mal foutues. Deux ans avant le professeur iranien, voici donc le
plombier russe, moins connu dans l’Hexagone que son confère polonais, davantage
dostoïevskien, le titre sarcastique en héritage d’outrages. Hier ou
aujourd’hui, en Russie, l’honnêteté ne rapporte rien, hormis, à l’ultime plan,
caméra en plongée, se faire tabasser à terre, par la foule déchaînée, évacuée,
répit provisoire, catastrophe cachée. Autant altruiste, héroïque, imbécile, que
le prince christique, son illustre prédécesseur, Dimitri se voit ainsi
récompensé de façon salée par ceux qu’il venait sauver, merci au messie alarmiste
qui nous emmerde depuis le début de la nuit. Le meneur ironique de la meute médiocre,
anonyme, fracassait la face de sa femme pendant le prologue en plan-séquence,
agité de tremblements, arrêté par un ébouillantement. Ensuite, une scène de
repas à la Maurice Pialat nous familiarise avec la famille du protagoniste de
l’opus pourtant choral, appréciez
quelques compositions de trios avec mise au point successive à l’intérieur du widescreen, format horizontal de
tragi-comédie verticale, de pyramide architecturale et sociale, applaudissez
l’ensemble de la troupe, pas seulement le primé Artiom Bystrov. Car cet ouvrage
solide, a contrario de celui du
récit, équilibre sa colère d’un humour salutaire, tamise son didactisme de suspense, rédime son misérabilisme par
une culpabilité partagée. Scénariste, réalisateur, monteur, musicien, diplômé
du VGIK en tant qu’acteur, Bykov juge des comportements, pas des gens, et un
salaud se sucrant au détriment de la sécurité des locataires peut s’avérer, sur
le point de se faire buter, « avoir du cran », être capable de
plaider en faveur de l’étudiant, « trouble-fête » invité à quitter la
ville et surtout à se taire.
Le « panier de crabes »
transposable partout possède par conséquent sa propre (in)humanité, même si le cynisme,
le pragmatisme et l’individualisme finissent par l’emporter, inertie in extremis. Le grand crime réside dans
l’indifférence, dans le silence, dans une connivence en partie motivée par le besoin
de confort, de « normalité », Nina, maire/mère maternelle, cruelle,
ne me contredira. Son anniversaire alcoolisé vire vite au psychodrame en
coulisses, en petit comité peu communiste, tandis que les basses de la sono
escortent la bassesse des pitoyables participants, « fonctionnaires à
confesse », en effet. Si réparer chaque soir un banc démoli au quotidien par
un groupe de jeunots locaux rappelle le rocher de Sisyphe, affronter
l’administration ressemble à une impossible mission, à une unité de temps, de
lieu et d’action ouverte à l’aube hivernale sur l’inaction, bientôt la
dévastation. Dimitri, marcheur solitaire en travelling
latéral, presque à la Leos Carax de Mauvais Sang (1986), le rock mélancolique de Kino substitué à l’amour
moderne de David Bowie, ne perd pas la foi sur son Golgotha réchauffé par la
vodka, il risque d’y perdre/rendre l’âme, il perd peut-être pour toujours son
épouse et son fils, il sacrifie sa chère Macha, modèle d’égoïsme, de
résilience, sur l’autel idéaliste, voire idéalisé, de la collectivité, d’une
certaine idée de la citoyenneté, de la moralité. Son père, solidaire, essoré,
malade, lui demande de leur pardonner, pour cette vie à vomir, miséreuse et
misérable. Guère rancunier, le ministère de la Culture poutinien
présente/produit ce portrait à charge plaisant et précis, caricatural et
nuancé, parfois capturé en caméra (bien) portée. Le meilleur atout du
métrage ? Savoir rendre stimulante, durant cent vingt minutes marrantes,
écœurantes, une peinture désespérante, démonstrative mais immersive, dans le
sillage dépressif, combatif, d’autres items
en provenance de Moscou, tels Leviathan (Andreï Zviaguintsev, 2014),
Le
Fils (Arseni Gontchoukov, 2014) ou l’ukrainien My Joy (Sergei Loznitsa,
2010).
“All my films are basically about the choice between your conscience and your survival,” says Bykov.
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=Cf3DCbIyT5Q
https://www.youtube.com/watch?v=uaKjhbsvSmE
Supprimer