Banco : Les Braqueuses
Dérober des billets, monnayer sa maternité, arroseuse arrosée…
Robbing a bank’s no crime compared to owning one.
Bertolt Brecht
Après l’Italie de Cani
arrabbiati (Mario Bava, 1974), l’Espagne de Banco (Koldo Serra,
2018) : encore un braquage, des otages, un huis clos, pas d’auto, un(e)
enfant à sauver, à récupérer, in extremis
un changement d’identité, une culpabilité partagée – mais la fin diffère,
douce-amère. Raquel « ment comme elle respire », elle ne cesse d’affabuler
durant la centaine de minutes du métrage presque en temps réel, elle manipule
le spectateur solo, le couple de voleurs, le duo de policiers, elle sème des
indices cryptés, qui lui vaudront de survivre, ligotée au creux d’un coffre de bagnole,
Bava bis. Néanmoins, jamais elle ne
simule son amour maternel, quand bien même elle s’autorise à l’instrumentaliser
auprès du rouquin serein, malin, elle fait tout ça pour son « adorable »
Alba, sa fillette enlevée sans violence par le type très paternel, à peine
cruel, qu’elle vient d’escroquer, treizième victime guère magnanime. Hélas,
elle s’échine en vain, elle ne saurait se soustraire à son destin, le butin ne
vaut rien. Ce qui compte ? Les capacités de son QI élevé, la promesse
d’une ex-prisonnière très vénère, désormais
solitaire, exilée au Brésil, bientôt extradée, dommage, la sagacité d’un flic
discrètement héroïque. De « Raquel », peut-être prénom d’emprunt,
nous ne savons pas grand-chose, nous apprenons deux ou trois éléments de son
CV, de son passé, du père/mari proxénète, moins âgé, nous connaissons cependant
l’essentiel, en mode méta. Il s’agit d’une actrice au carré, d’un metteur en
scène miroité, d’une débrouillarde ni malade, ni opposée aux services sociaux.
Il s’agit d’une femme forte, pardon du pléonasme, dont la faiblesse, la
tristesse, n’apparaissent qu’à l’ultime plan, sourire mélancolique posé sur son
visage derrière la vitre du véhicule de police l’emportant loin de sa gamine,
toujours présente dans les histoires qu’elle raconte, lui dit-elle en adieu, en
aveux.
Pour ce portrait féminin tracé avec
détermination, émotion, porté par une remarquable, mémorable, Emma Suárez (Julieta,
Pedro Almodóvar, 2016), Banco mérite déjà mes remerciements.
Il réussit, aussi, à cartographier en filigrane un microcosme social, ce
dernier donnant au film une dimension politique. Si l’on pense la Cité en
espace public et privé, où dialoguent l’individu et la collectivité, l’opus parvient à représenter, sans s’y
attarder, sans le souligner, un « putain de pays », de prêt sous
conditions, de jour férié mal tombé, de climatisation hors de fonction, son
réparateur en arrêt, de frêle Ukrainienne écœurée, secouée, séparée de ses
gosses, soumise à un fonctionnaire ripou, descendu dans la rue, premier mort,
il en reste encore. Tous « jaloux », « pourris »,
« exploiteurs », « violeurs », ces crabes basques de
Bilbao, se disputant un gros magot, le titre argotique, en VO, en référence à
l’invisibilité renommée d’un certain Oussama ? Oui et non, car l’humanité
se manifeste, et l’humour, par exemple au cours d’un match de football
primordial, œcuménique et sarcastique, moment d’unité d’une communauté sinon
clivée, assiégée, de façon littérale. Cadré au cordeau, en widescreen, Banco dépeint son hold-up en plan-séquence, en caméra à
l’épaule, la séquence, chorégraphiée, escortée par du free jazz dû au compositeur Fernando Velázquez, collaborateur de Sergio
G. Sánchez sur Le Secret des Marrowbone (2017) ou Juan Antonio Bayona sur L’Orphelinat
(2007). Doté en français d’un intitulé rappelant un item homonyme avec Burt Reynolds (Banco, Dick Richards,
1986), l’ouvrage évacue Las Vegas et tient davantage du plateau d’échecs que du
tapis vert. Munie d’un casting choral
ad hoc, mentions spéciales à Mesdames
Bárbara Goenaga (Timecrimes, Nacho Vigalondo, 2007) & Nathalie Poza (revoilà
Julieta),
à Messieurs Daniel Pérez Prada & Hugo Silva (Les Amants passagers, Pedro
Almodóvar, 2013), l’œuvre valeureuse, féminine plutôt que féministe, quoique,
séduit à chaque image, à chaque outrage, comporte un tabassage stratégique,
anthologique, entre la ravissante et la ravisseuse, démont(r)e le double
stratagème médical, létal, en deux temps/mouvements/moitiés d’écran.
Ici, après la claustrophobie de la
banque banalisée, surplombée par des tours où poster des snipers, l’horizon marin, surtout saisi à l’aube, possède une
splendeur apaisée. Ici, les héroïnes mènent la danse (macabre), dépassent leurs
souffrances, défient le capitalisme et font preuve de fidélité, meilleures
ennemies réunies contre les circonstances, guerrières malgré tout sincères,
reflets trafiqués, (dé)coiffés. Quant aux hommes, ils accordent un sursis
(financier), ils se droguent, ils s’endeuillent (vigile dévasté, papa de pietà,
« réduit au silence » par une arme silencieuse), ils suivent la piste
hôtelière puis tiennent la mimine d’une minote vêtue d’un gros cœur rose. Nul
hasard, alors, si Banco abonde en miroirs, si le pictural Miró, célébrité pas seulement
locale, désigne un établissement et un aveuglement, incite à mieux regarder, à
exercer (ensemble) sa lucidité : au-delà des apparences, des manigances,
ce mélodrame dépourvu de pathétique, déguisé en thriller ibérique, magnifie une mère machiavélique, moins
incestueuse que l’arnaqueuse des Arnaqueurs (Stephen Frears, 1990),
admirable Anjelica Huston en Médée selon Jim Thompson, une criminelle ne
faisant couler que son propre sang, celui de son sein, empoisonnant (au
sucre !) quand même, impitoyable, un camé en manque, immature, qui lui
donnait des coups de pied. Raquel, in
fine, retrouve sa raison de (sur)vivre,
perd sa liberté, par conséquent victorieuse à la Pyrrhus, parmi un territoire
aussi noir que le désespoir, aussi lumineux, voire miséricordieux, que l’aube
athée, la sienne similaire à la nôtre, partout en Europe...
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