Que la bête meure : Aimez-vous Brahms…
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Claude
Chabrol.
On veut un dernier chabrol
Trois Cafés Gourmands
Un accident près d’une église, une
coda citant l’Ecclésiaste, un sujet de culpabilité partagée, sans omettre, in extremis,
le caméo noir corbeau de Maurice Pialat, policier lucide, confesseur à
contrecœur, qui semble répéter par avance son rôle de Sous le soleil de Satan (1987) :
Chabrol cinéaste moral, religieux, athée, tourmenté, cela ne surprend pas,
n’effarouche plus, au moins depuis la parabole laïque, lyrique, de La
Femme infidèle (1969), (re)lisez-moi, please. Mais ceci, hélas, ne saurait suffire à produire une œuvre
valeureuse, audacieuse. Durant cent cinq minutes étirées, on passe ainsi du
sacrifice d’Abraham à celui de Philippe, on évoque le Nouveau Roman, puis
Homère, sa poésie guerrière, supérieur à Kafka, pourquoi pas, on entend au
début et à la fin, en auto, en bateau, du Brahms immortalisé par Kathleen Ferrier.
Un plan-séquence à Quimper, chez le propriétaire, valse autour des invités,
mouvement virtuose de sarcasme morose, avant que Paul, possesseur de garage non
syndiqué, guère rédacteur d’épîtres, quoique, n’entre en scène comme sur une
scène, ne coupe l’appétit aux convives, surtout à sa femme inoffensive et à son
fiston pianistique, repas presque à la Pialat, justement, sinon à la Massacre
à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), où manger tous ensemble, remarquez
la mère mutique, hystérique, hilare, outre l’envie de vengeance glacée de
l’écrivain à peine dissimulé, vite démasqué, les humiliations de saison et les
insultes à tumulte. Jean Yanne, présent une grosse demi-heure, spécialiste de
pareille persona, ne parvient point,
malgré son talent cinglant, à incarner autre chose qu’un « être
abominable, une caricature de l’homme parfaitement mauvais, tel qu’on
n’espère pas le rencontrer dans la réalité », note Andrieu/Thénier au stylo
rouge sang, au creux de son petit carnet noir de défouloir, journal intime aux
allures d’aveux magnanimes, censé le disculper par excès, stratégie à double
détente, à main désarmée, de sale ingénuité.
« Chacha » ne laisse aucune
chance au personnage esquissé, assorti de sexualité adultère, d’éducation à la
con, de peur puérile et de lâcheté miroitée. Il ne sert pas mieux (le canard
pleurnichard) la transparente Caroline Cellier, ici pourvue d’une Hélène Lanson
aussi passionnante-émouvante qu’un pâle glaçon, qu’un palet forcément breton. Que
la bête meure date idem de
1969 et le crime s’avère réversible, en reflet des deux chiffres inversés de
l’année, salutations à la pratique saphique, pas que, homonyme, symétrie au
carré puisque les vrais frères Di Napoli interprètent les descendants
dépressifs. L’opus essaie de façon
explicite, soulignée, de se hisser au niveau d’une tragédie antique, coup de
Trafalgar du hasard inclus, toutefois le scénario du fidèle Gégauff, Paul again, mis en abyme de manière
acoustique au cours de la discussion littéraire précitée, alors adaptateur d’un
polar du papa de Daniel Day-Lewis, déjà traducteur de Patricia Highsmith selon Plein soleil (René Clément, 1960), ensuite collaborateur de Julien Duvivier (Diaboliquement
vôtre, 1967), Jean-Luc Godard (Week-end, pareil), Barbet Schroeder
(More,
1969) ou Alain Jessua (Frankenstein 90, 1984), pèche par
schématisme, par absence de nuances, par un retournement de situation, doublé
d’un renversement de perspective, consensuel, administré à la truelle, autant
insatisfaisant que la mort-aux-rats médicamenteuse, très deus ex machina, du récit assombri. En dépit de son infanticide
évocateur, Que la bête meure ne rivalise avec Ne vous retournez pas
(Nicolas Roeg, 1973) et en matière d’ironie, de mélancolie, il ne se risque à
présager Un justicier dans la ville (Michael Winner, 1974). Trop
sommaire, pas assez mortifère, délesté d’enjeux sérieux, son vide émotionnel,
structurel, ripoliné de vernis culturel, voire cultuel, le métrage envisage le
rivage du ratage, dommage.
Demeurent donc une introduction remplie
de tension, de déréliction, et la performance à la fois brûlante et
refroidissante d’un Michel Duchaussoy méconnaissable, au bord de l’admirable,
en père hurleur, en consolateur de servante bienveillante, en ange
exterminateur qui regarde à domicile, à l’instar d’un second Mark, celui du Voyeur
de Michael Powell (1960), des images animées, silencieuses, maladives, de
moments momifiés, d’une épouse peut-être décédée, ou séparée, de son fils
désormais défunt, à jamais enfui. Si Claude Chabrol s’intéressait au temps
subjectif, nostalgique, obsessionnel, pulsionnel, dans le sillage de Sergio
Leone, la suite de la séance perso pourrait ressembler à un rêve revanchard, à un
cauchemar éveillé, à base de promesse, d’instrumentalisation, de parricide par
procuration, disons Il était une fois en Bretagne au lieu de Il était une fois en Amérique
(1984). Le réalisateur suivra sous peu cette voie-là, revoyez Alice
ou la Dernière Fugue (1977), film fantastique et/au féminin. Pour
l’instant, il plante sa lutte des classes lasse, son portrait d’un Machiavel de
province, accessoirement camelot du meurtre à succès, sous pseudonyme, déguisé,
après un séjour hospitalier, en « auteur jeunesse » déprimé, en
modèle idéal, fatal, il s’embourbe dans son palindrome fantôme, en écho à la
bagnole blanche enlisée dans la boue, symbolisme scolaire cristallisant avec
ironie l’échec de l’entreprise désincarnée, démonstrative, à la rédemption
d’occasion, au maritime châtiment charmant. Néanmoins, on lui pardonne aisément,
en mécréant, en cinéphile, on repense à plusieurs réussites des seventies, célébrées sur ce blog, à feue Stéphane Audran, forcément,
et l’on s’en va à notre tour, maintenant,
sur terre, pas sur mer, au milieu du clair bleu temps.
Paul Gégauff et Chabrol, entre autres... :
RépondreSupprimerhttps://gonzai.com/paul-gegauff-1922-1983-le-perdant-magnifique-de-la-nouvelle-vague/
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