Juste avant la nuit : La Grande Lessive
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Claude
Chabrol.
Ayant des yeux, ne voyez-vous
pas ? Ayant des oreilles, n’entendez-vous pas ? Et n’avez-vous point
de mémoire ?
Marc 8 : 18
Publicitaire débonnaire, Monsieur
Masson trouve « parfait » le spot
de machine à laver, au slogan de
« mal à extirper », conçu par l’actionnaire lui-même ; la
lessive s’appelle, cela ne s’invente pas, Culpa, et l’assassin d’occasion ne
cesse de battre la sienne, de faire son mea
culpa, mea maxima culpa, car il sait bien, en y
réfléchissant bien, insomnie jolie, mauvaise mine remarquée par les
connaissances, qu’il étrangla sa maîtresse SM suppliante, chuchotante,
marrante, surtout en première communiante, désireuse d’être « punie »,
occise, violée, pas pour de vrai, à l’insu de son plein gré, histoire de mettre
un terme au « théâtre insensé », de la douce cruauté, de celle-ci,
par ailleurs épouse de son meilleur ami, union libre en rime inversée aux
menottes de l’employé piquant dans la caisse, filant avec sa jeunesse,
adressant cependant, enfer des bonnes intentions, un mandat à sa femme, à sa
famille, « Je vous emmerde », Messieurs. Ici, on lave son linge sale
en compagnie de la compréhensive et belle Hélène, du magnanime, sinon
amnésique, François, on jette un mouchoir blanc, forcément compromettant, dans
une bouche d’égout d’ébène, tel Alain Delon son pansement maculé ramassé dans
le caniveau du Samouraï (Melville, 1967) par Périer dupliqué. Au cas où le
spectateur stupide, inattentif, athée, ne comprendrait pas la thématique
catholique, le ressassement de catéchisme laïc, « Chacha »,
dénomination affectueuse de l’admirable et admirée Stéphane Audran, récompensée
au Royaume-Uni, filmée avec amour, muse rousse à la grâce de danseuse, malgré
la présence hors-champ de la scripte Aurore Maistre, future élue du
réalisateur, nous apprit sa belle-fille d’assistante, en remet une double couche
maousse, impose une grille de portail carcérale, se permet une saynète à faire sursauter les adeptes de la SPA, prions pour la paix du
pauvre gros rat trop glouton, bien deviné par le fiston.
Piégé à l’image du mammifère
colporteur de peste, pestiféré insoupçonnable, notre Charles chiale, somatise
fissa, se voit englouti par son vague à l’âme, remarquez les rouleaux d’océan
nordiste, se compose une façade joviale et musicale en cette période de fêtes
liées à la Nativité. Dehors et dedans règne un bleu profond, dû au doué Jean
Rabier, matérialisation maintenue de son blues
assourdi, silencieux. À nouveau placée sous l’égide d’André Génovès, la
co-production franco-italienne commence comme Enquête sur un citoyen au-dessus
de tout soupçon (Elio Petri, 1970), en partage l’humour noir, de
vrai-faux polar, mais délaisse la schizophrénie judiciaire, la dimension
sociale, sarcastique, métaphysique, pour se recentrer sur un drame de chambre,
évidemment à coucher, chambre bleue à la Simenon, bien sûr. Rassurons les inquiets,
les épris de bienséance, rien de scabreux, mon Dieu, pas une once de sperme ni
de sang sur le lit-décor seventies,
pas un gramme de vomissure impure parmi les toilettes proprettes ; du flou
et un fondu au noir congédient les fluides, aseptisent l’atroce, autorisent à
peine un glacis de sueur sur la face chérubine de Bouquet. Filmé au millimètre,
au chronomètre, d’une maestria de géomètre, Juste avant la nuit (1971)
désincarne donc ses personnages, au risque de les réduire à des silhouettes
suspectes, des supports démonstratifs, des marionnettes d’ersatz de (mélo)drame
suédois, un certain Ingmar Bergman en spécialiste renommé des tourments de la
psyché aux prises avec sa culpabilité, amen.
Chabrol chasse-t-il sur les terres de Dostoïevski, le châtiment à domicile
succédant au crime chez la colocataire transalpine ? Singe-t-il Hugo, la
« tempête sous un crâne » de Valjean délocalisée à Versailles ? Lucide,
Hélène suppose en vérité une « voluptueuse perversion » derrière « l’obsession »
de la dénonciation déguisée en courage moral, une jouissance par anticipation
des aveux scandaleux, prévus le lendemain à la police qui piétine, tant pis
pour les empreintes digitales diligemment délivrées.
Heureusement, louons la miséricorde
divine, une dose massive de laudanum le
fera taire, (dé)fera l’affaire, résoudra, via
la pharmacie, formation du maestro, les
affres affreux, tant mieux, avant que la compagne « merveilleuse »,
en « admiration » devant son Masson, sa main dans la sienne, présage
de la coda des Noces rouges (1973), n’éteigne la lumière
sur le gisant au carré, elle-même criminelle allongée en nuisette immaculée,
répondant à la demande symbolique du mari déjà parti, endormi du grand sommeil,
quelle merveille : « Fais la nuit. » Cette fois, le
cinéaste-scénariste transpose un roman méconnu signé Edward Atiyah,
précédemment porté à l’écran par Mikio Naruse en 1966, sous le titre explicite L’Étranger
à l’intérieur d’une femme. La mince ligne du titre du livre (The
Thin Line, 1951, devenu en VF L’Étau, 1973, cherchez Hitch en Série noire) semble séparer le jeu du
sérieux, le rêve de la réalité, la condamnation du pardon, de
« l’absolution », en vocabulaire religieux. François parle de « cauchemar »,
Hélène (r)assure à Charles qu’il cessa d’être lui-même durant
« l’accident », et Juste avant la nuit possède une
évidente texture fantastique le rapprochant de Alice ou la Dernière Fugue
(Chabrol, 1977), impression que renforce le tandem
Anna Douking & Clelia Matania, actrices croisées dans deux sommets de ciné
abstrait, funeste, autarcique, au contexte contemporain, à savoir Le
Cercle rouge (Melville, 1970) et Ne vous retournez pas (Roeg, 1973).
On se souvient que le film avec Sylvia Kristel rendait hommage, dédicace incluse, à la
mémoire de Fritz Lang, autre architecte de la caméra, profession de François, et
Charles, coupable d’avoir mis La Main au collet (Hitchcock, 1955) de
sa victime immobile, mutique, vadrouille, dépressif, dans une villa d’avant-garde, censée le vacciner
contre la « sclérose » de l’embourgeoisement.
Nous reconnaissons la maison en
ciment, autant blanche que la neige à l’extérieur, à l’étudiée théâtralité,
scène en surplomb, rideau à tirer, puisqu’elle remémore la piaule de James
Mason & Martin Landau selon La Mort aux trousses (Hitchcock,
1959). Au rayon Références, Chabrol
refourgue et retravaille le couple de La Femme infidèle (1969), enrôle
Marina Ninchi, fifille de sa maman Ave (Plein soleil de Clément + Les
Bonnes Femmes de Claude, diptyque de 1960). Juste avant la nuit
débute à l’instar des Noces rouges, se focalise sur
une fenêtre à la Psychose (Hitchcock, 1960). Il s’agit, ad nauseam, jusqu’à la
nausée, rions ensemble des huîtres dégueulasses, de dépasser les apparences, de
pénétrer par effraction au creux des consciences, de soulever le voile de la
normalité, inquiétante à force de politesse, de policé, de démago de bistrot,
cf. la scène avec Jean Carmet + sa « Maman » de barmaid, vêtue d’un haut raccordé au violet de la bande du
comptoir, allez-y voir pour le croire. Charles porte un pyjama de modèle Auschwitz et toutefois s’affranchit de la justice
– des hommes, pas de celle de sa femme, gardienne maternelle, maternante, du déguisement
de la respectabilité, se régalant d’une coupe de champagne partagée en matinée avec
sa belle-mère clairvoyante, Laura entichée de Charles, je le pressentais. Tel
votre serviteur, non motorisé, il marche à pied, prend le train, son refus
d’acquérir un véhicule, contrairement à sa femme motocycliste, amitiés à
Marianne Faithfull (La Motocyclette, Cardiff, 1968), relève du
« parti-pris ». Profil de médaille, tête baissée, enténébrée,
l’arrière-plan occupé par son « obscur objet du désir » buñuelien, louve
à genoux guère fellinienne, soudain éclairé, animé, Michel Bouquet rappelle la
Madeleine de Vertigo (Hitchcock, 1958), s’évade d’un vertige, sexuel, pour
mieux succomber à un second, confessionnel.
Chabrol accumule les surcadrages, lui
fait rapido apercevoir la figure de son désespoir, type barbu, à casquette et
costard, dans un bar. Le flic tapote sur la table, Madame concocte un gâteau au
choco, notez la nounou à la peau chocolatée, olé, le paquet de Nesquik en
placement de produit, eh oui, on papote à propos de « monstre
abominable », diable, et Pierre Jansen rivalise avec Igor Stravinsky,
pardi. « Je ne désire juger personne » résume Charles, que personne
ne veut écouter, incarcérer, alors que l’incontournable et glabre Dominique
Zardi, davantage jovial, se pare d’une improbable perruque carotte en écho
vachard et tendre à la couleur du chef de la chère Stéphane. Au cimetière, la
composition antonionienne d’un plan, avec travelling
et mises au point successives, place Charles, avec virtuosité, au centre des
pensées, des suspicions, entre deux femmes à l’unisson. Le témoin italien
convaincu de la boucler, petit récit d’un archi accusé à tort, compatissez, revoici
Bouquet en mouvement sur le quai, dans le quartier, appréciez le fondu enchaîné
vertical. Sur les dunes ensablées, ventées, dépeuplées, Hélène décide d’enfouir
le secret révélé ; à l’horizon, une inconnue promène un/e gamin/e en poussette, toujours protéger les enfants,
mon enfant. Ensuite survient la grande scène de grand déballage face à une
fenêtre, devant sa moitié sidérée, aussi abasourdie que Tommy, Cruise, of course,
par le monologue de sa Nicole Kidman, dame, dans Eyes Wide Shut (Kubrick,
1999), similaire et différenciée odyssée onirique, érotique, sur l’errance
masculine, le déni en série, au meurtre désensibilisé, déréalisé, renvoyé vers
le pur possible, retour au Michelangelo philosophico-photographique de Blow-Up
(1966). « Tu te sens bourgeois ? » demande François à Charles
ragaillardi, moins esseulé : « Presque », peste.
Les mecs discutent en travelling arrière mortifère, ouvrent
leur cœur au cœur de l’obscurité, le bâtisseur intime au vendeur
« d’enterrer » toute l’histoire, « Il s’agit pas de pardon. Tout
ça n’a jamais existé. » Leur amitié mourra-t-elle ? L’étrangleur
mourra, oui-da. Hélène se reflète au miroir, à proximité du plumard, auparavant
elle vérifiait ses larmes invisibles sur une glace au-dessus des gosses. On refait
la façade, on revoie les événements, on minore la démence, on ressort la
clémence. L’épilogue revient vers la plage, dépasse le naufrage, lettre de
blanchiment de l’absent lue off par
François, tenue par Hélène sur son transat, flanquée de la mère du maquillé
suicidaire, les duelles touristes endeuillées réchauffées par la même
couverture écossaise. « Que Dieu ait pitié de nous », comme dit la
Bible, comme précise le Psaume 123,
« Car nous sommes assez rassasiés de mépris. » Son profil gauche en
réponse impressionniste à celui, droit, liminaire, de Michel, Stéphane se
détache sur le ciel bleu, ouvre les yeux, « Les enfants commencent à
oublier » console sa belle-maman hors du plan. Film intense, monotone,
mémorable et quasiment mineur, Juste avant la nuit s’achève ainsi,
sur un paysage vierge, une p(l)age vide, éloge ironique de l’oubli, de l’aboli,
du non-dit, pas de grâce, pas de disgrâce non plus, juste la justice non
rendue, in fine advenue, vengeance de survivante, de matrice tombale, d’empoisonneuse
soucieuse de son standing, de femme(s)
en différé, hier de Madeleine à travers Judy, aujourd’hui de Laura à travers
Hélène – Une affaire de femmes (Chabrol, 1988), en effet, fatales,
soufflantes, essoufflées…
Deux femmes au bord de la mer, l'amer... couverture du clan ... écossais, les enfants jouent sur la plage...de l'oubli...« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27). Lilith Ésaïe 34,14 parfois traduit par « le spectre de la nuit », « la chouette nocturne»...
RépondreSupprimerChute adamique, selon Murnau le magnifique :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/06/laurore-linconnu-du-lac.html