The Night Walker : Castle Freak


Une reine sur le retour ? Une moralité sur le désamour...


Dreams are my reality
A different kind of reality
I dream of loving in the night
And loving seems alright
Although it’s only fantasy

Richard Sanderson

Machination sentimentale et méta concoctée par Robert Bloch, le papa de Psycho, The Night Walker (1964) devint donc en français Celui qui n’existait pas, titre ésotérique emprunté au Celle qui n’était plus de Boileau-Narcejac, lui-même rebaptisé Les Diaboliques (1955) par Henri-Georges Clouzot. Certes, on (re)trouve ici, en noir et blanc élégant, des transparences automobiles, un escalier gothique, des yeux en verre, un macchabée vénère et une épouse poussée vers le décès, mais le film de Castle évoque davantage Sueurs froides (Alfred Hitchcock, 1958) que les mésaventures de Marion au motel de Norman. Comme Madeleine, Irene évolue entre rêve et réalité, frise l’asile, se fait suivre, par un privé à défaut d’un psy ; comme Scottie, elle finit au bord d’un précipice, bien que Bill, moins catho que Hitch, lui accorde une résolution et non une damnation. Le scénariste non crédité de La Dame de Shanghai (Orson Welles, 1948), l’acteur/producteur de Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), relit en partie le réalisateur de La Nuit de tous les mystères (1959), autre Complot de famille (1976) ficelé par un fan du maître, auquel son budget modique, son succès commercial, assorti du célèbre gimmick de « l’Emergo », squelette en plastique suspendu au-dessus du public, en simultané dédoublé d’un confrère sur l’écran, n’échappèrent pas, légitimèrent l’entreprise identique et différenciée de Psychose (1960). Cinq ans plus tard, l’homme de spectacle délaisse ses fameuses farces et attrapes, réunit les divorcés Barbara Stanwyck & Robert Taylor, bien entourés par Judith Meredith (Jack le tueur de géants, Nathan Juran, 1962) & Lloyd Bochner (Le Point de non-retour, John Boorman, 1967), s’entoure du compositeur Vic Mizzy, dont la partition suscita, dit-on, l’admiration d’un certain Bernard Herrmann, du directeur de la photographie Harold E. Stine (MASH, Robert Altman, 1970 ou L’Aventure du Poséidon, Ronald Neame, 1972).



Tourné pour Universal, sis au sein de sa City, The Night Walker commence à la manière d’un petit traité d’onirisme un brin freudien, soulignant le supposé sens des projections mentales, nocturnes, court métrage d’introduction au surréalisme féminin, chute en spirale à la Vertigo incluse, avec en surplomb la narration wellesienne de Paul Frees, spécialiste vocal de l’animation, saluons la discrète virtuosité du fidèle monteur Edwin H. Bryant. Puis voici la mariée mimi et son mari miro, inventeur de malheur à la jalousie vraiment maladive. Leur demeure-tombeau s’avère parsemée de micros, de montres murales maousses, en série, propices à ravir feu Jean Rollin (La Nuit des horloges, 2007), presque similaire cinéaste désargenté, astucieux, ludique et sérieux. Si l’univers délétère de Poe se voit relooké par le luxe californien, l’insatisfaction et la sublimation d’Irene la rapprochent de la Mary de Peter Ibbetson (Henry Hathaway, 1935) : en effet, en songe, stressée, alcoolisée, elle s’abandonne et se donne à un bel étranger gominé, anonyme, elle concrétise par procuration son attraction pour l’avocat de son aveugle, voui. Une mystérieuse explosion de laboratoire en hauteur la rend illico héritière, l’incite à revenir vivre dans une annexe modeste de son salon de beauté, rime inversée au ressuscité défiguré, lieu de cliente masquée, mutique, tandis que la pièce privée, au plancher éventré, par conséquent munie d’un immense orifice assombri, bonjour au symbolisme sexuel des analystes US, se voit vite verrouillée, cadenassée, en écho à l’antre taboue du Barbe-Bleue de Perrault. Précédé par du champagne aux chandelles, l’acmé du métrage se déroule durant une évocatrice ceremony of matrimony, sise parmi une chapelle de troisième étage plutôt que de septième ciel, comporte des mannequins de cire à la Tourist Trap (David Schmoeller, 1979) et un lustre orné de bougies à vous donner le tournis.



La leçon de réalisation, de cadrage, de découpage, de minutage, de silencieuse interprétation et d’usage de la bande-son, aboutit à un sommet d’hystérie audiovisuelle, à la boucle bouclée d’une invitation en boucle, conjurée au lit par un cri répété en reflet : « I can’t wake up! » Vingt-et-un ans après sa performance électrisante de L’Étrangleur (William Wellman, 1943), Miss Stanwyck, méconnue et remarquable scream queen, en sus de dire adieu au ciné, anticipe ainsi les victimes juvéniles, envapées, de Wes Craven (Les Griffes de la nuit, 1984), autant que la desperate housewife onaniste de Pulsions (Brian De Palma, 1980), elle aussi rêveuse malheureuse, aux cauchemars remplis de stupre. Outre jouer du double sens de l’intitulé, de portraiturer en stéréo une somnambule et un visiteur du soir, amitiés à Marcel Carné, Castle relie le tic-tac des tocantes et le claquement de la canne blanche, dont se servira le vil Howard afin de faire taire la rebelle Irene, lors d’une dispute anthologique, sur les marches, sur le modèle Burton & Taylor. Face à son ex énergique, sinon sexy à l’orée de la soixantaine, Robert Taylor séduit et sourit, affiche surtout sa fatigue, déjà malade, en retrait, en Machiavel cynique substituant les signatures, bientôt trahi par un maître-chanteur fissa transformé en complice à la duplicité létale. Le second metteur en scène rapace actionne in extremis une console commandant les aiguilles,  l’éclairage, les détonations, tente de se débarrasser de l’infortunée fortunée, increvable récalcitrante, survivante d’alliance de démence et de massage mortel, à l’aide d’un tuyau facteur de fumée, olé. Auparavant, l’héroïne au bord de la déprime, de la crise de nerfs almodovarienne, la femme forte et fragile refaisait de jour le parcours de nuit, menait son enquête heuristique, histoire de conserver sa raison, croisait une locataire solitaire à volatiles encagés, possible allusion aux Oiseaux (AH, 1963), et même un jardinier japonais largement occupé par ses six minots, domo arigato.



Drolatique et lyrique, la musique du sieur Vic, very tongue-in-cheek, comprenez ironique, rappelle la valse acide signée Maurice Jarre pour Les Yeux sans visage (Georges Franju, 1960), accompagne la dame, ses états d’âme en Amérique, sur le seuil du fantastique, puisque limitée, désertée, désincarnée. Quant à la coda précitée, elle enquille sur une satirique injonction adressée au spectateur : pleasant dreams, mon cœur. Réel réalisateur utilisant habilement les champs-contrechamps, les panoramiques, la plongée en grue et la contre-plongée au sol, le travelling avant, les raccords axés ou le zoom avant et arrière, William Castle délivre une œuvre vivante, troublante, marrante, brechtienne et sereine, moins sociale, cependant, que le Nightmare du British Freddie Francis, mélodrame en milieu clos à la trame en miroir, parfait contemporain jadis loué par mes soins. Aujourd’hui disponible en ligne, dans une version en VO à la qualité irréprochable, ce film incompris, bien conduit, bienvenu, mérite, loin de l’insuccès, de l’amnésie, de l’insomnie, son exhumation de délectation, sa marche dirigée, réveillée, adulte et lucide, à travers les ténèbres de la cupidité, les simulacres de la machinerie, du cinéma, au-delà, avec en filigrane les faux-semblants des amants, l’enfermement et le dessillement, la subtile mélancolie du désir désillusionné, féminin, cinéphile, silly et inassouvi, transmis par une actrice intense, magistrale, malicieuse, généreuse – viva Barbara !

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