La Maison du lac : Les Vieux de la vieille


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Mark Rydell.


Un jour j’oublierai tout jusqu’à mon nom je saurai simplement
Que t’es là que t’es belle que t’es mienne

Amir

On redoutait le psychodrame, on se fichait, petit effronté, du rififi familial chez les Fonda, on différa le visionnage jusqu’au dernier jour de désamour. En réalité, « Hanoi Jane », actrice anecdotique, incarnation caricaturale de la bien-pensance US, de son hygiénisme maladif, de son féminisme à fessier, fait de la figuration, commet deux caméos en maillot, sorte de Vénus botticellienne relookée par l’aérobic des années 80, chouine un chouïa, aime-moi, Papa. Fleuriste surfait du fané The Rose (1979), Janis Joplin ne jubile, Rydell réalise l’adaptation d’une pièce à succès de Broadway, transposée par le principal intéressé, un dénommé Ernest Thompson, dramaturge trentenaire à tendances gérontophiles, sinon écologiques. Dans le cadre idyllique d’une piaule à « porte » en français à retaper, localisée près d’un étang doré, toponyme d’intitulé original, la petite tribu se retrouve pour l’été, se réunit en petit comité, accueille en étrangers adoubés un dentiste barbu et son fils cru malotru. Les plongeons huards en liberté ou mazoutés, L’Île au trésor de Stevenson transmis en édition reliée, le facteur en bateau, ancien béguin, un gâteau d’anniversaire d’octogénaire, une truite arc-en-ciel baptisée Walter, comme l’affreux beau-frère, un naufrage sans trop de dommages : autant d’accessoires et d’épisodes conduisant vers un final attendu, convenu, départ sur un nouveau départ, amen.

Téléfilm de luxe joliment éclairé par le Britannique Billy Williams, DP sur Love (Ken Russell, 1969), L’Exorciste (1973, poste de second unit) ou Saturn 3 (Stanley Donen, 1980), accompagné par un peu inspiré David Grusin, compositeur pour Sydney Pollack (Yakuza, 1975) ou Brian De Palma (Le Bûcher des vanités, 1990), produit par Lord Grade, distributeur/financier derrière Ces Garçons qui venaient du Brésil (Franklin J. Schaffner, 1978), Sonate d’automne (Ingmar Bergman, idem) puis Le Choix de Sophie (Alan J. Pakula, 1982) ou Dark Crystal (Jim Henson, itou), dédié outre-décès au monteur Robert E. Wolfe, partenaire régulier de Sam Peckinpah, notez les remerciements du générique adressés à Roger Spottiswoode, La Maison du lac (1981) se voudrait une évocation vintage à la Walt Whitman, loin de la martiale modernité selon Ronald Reagan, de l’hystérie stroboscopique du clip, de la démocratisation domestique du X, le vrai-faux beau-fils, bientôt mari bruxellois, demande même au revêche patriarche la permission de coucher dans le même lit que sa fifille, fichtre. Cette Amérique-ci, si blanche, si WASP, si en sécurité, à peine troublée par une crise d’amnésie en forêt, triompha au box-office, juste derrière Les Aventuriers de l’arche perdue (Steven Spielberg, 1981), autre resucée du temps d’antan, plutôt de son imagerie pasteurisée, à la nostalgie lucrative, inoffensive.



Exit la noirceur révisionniste et individualiste des seventies, retour à la lumière rassurante des récits moraux, des fables affables ; le Jean Becker des Enfants du marais (1999) doit connaître, dut apprécier. Ici, la mort aussi semble sympathique, « rassurante », philosophe Ethel Thayer, en train de filer à son ex-proviseur préféré une pastille de nitroglycérine afin de booster son cœur fatigué, en écho inconscient au geste similaire du curé Lankester Merrin de Blatty & Friedkin. Chic et autarcique, farceur et conservateur, On Golden Pond s’évanouit vite de la conscience du spectateur, à cause de sa peinture timorée d’un âge-naufrage, relisez de Gaulle, d’une période-charogne, réécoutez Dean Martin, en tout cas celui de Nick Tosches. Certes, Rydell évite l’écueil du piètre pathos, déploie son didactisme avec légèreté, congédie le conflit envisagé, la vie continue, oublie ton passé, bébé. Il succombe cependant au tourisme redfordien, ne prend aucun risque cinématographique, anatomique, reste à la surface de son lac très poli, point patraque, auquel Michael Haneke paraîtra répondre via les abysses impitoyables mais tendres du réaliste marais à domicile de Amour (2012).

Demeurent des instants enfin vivants, émouvants, éloquents, silencieux, portés par les irréprochables Katharine Hepburn, vivace vétérane à Parkinson, à plongeon, et Henry Fonda, un pied déjà dans la tombe, le second posé sur un Oscar bis attribué bien tard. Oui, ma chérie, ma Chelsea, les stars vieillissent à leur tour, s’en vont un jour, nous laissent des souvenirs stimulants, amusants, des reflets infidèles de notre propre tragi-comédie anonyme, à l’écart des caméras, a fortiori hollywoodiennes, hélas sereines.

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