Miraï, ma petite sœur : L’Avenir d’une illusion


Extase express ? Transfert imparfait.


There’s no place like home.

Dorothy Gale

On aimerait aimer, davantage, sans ombrage, mais ce récit joli ne renverse jamais, dommage, semblable à un ersatz mesuré, sur papier, du féminin, sinon fellinien, risquez-vous à Juliette des esprits (1965), Le Voyage de Chihiro (Hayao Miyazaki, 2002), allez. Moutard arrivé en premier, « tête à claques » quantique, le petit Kun, pas con, plutôt hitchcockien en raison de sa solitaire passion des trains, s’avère vite jaloux de sa sœurette suspecte, qu’il malmène gentiment, à l’évident mécontentement de ses parents, famille presque Ricoré à l’instar de celle moquée au début de Martyrs (Pascal Laugier, 2008), pures silhouettes à peine lestées de paresseux traumatismes d’enfance, d’adolescence, incapacité à monter à vélo au creux d’un hameau ou allusif harcèlement scolaire au collège. Heureusement, le gamin se croyant délaissé grandit dans une maison sur sol incliné, aux pièces dépourvues de cloisons, conçue par son papounet mis à son compte, assortie d’un jardin clos et riquiqui au centre duquel se tient un arbre tarkovskien, refaites-vous Le Sacrifice (1986). De la généalogie à la magie, il suffit d’être en colère, de se croire seul sur Terre, de laisser libre cours à son imaginaire, de rêver endormi ou éveillé. Mamoru Hosoda, qui (d)écrit tout cela à distance, en subjectivité pour ainsi dire objectivée, se place au final sous le signe de la spirale, saluons le chignon de Sueurs froides (Alfred Hitchcock, 1958), d’un « espace-temps unique », cyclique, où le familial ouvre sur l’infini, eh oui. Auparavant, Kun & Miraï, prénom temporel, avenir à venir, dédoublement mature, feuillettent ensemble ou séparément leur album de tribu très nippone, côtière, sur et sous terre, dans les airs, croisent  leurs ancêtres, leurs futurs êtres.

Roman d’apprentissage en bas âge et non novélisation de saison, d’occasion, Miraï, ma petite sœur se souvient de la Seconde Guerre mondiale, des cuirassés kamikazes en contreplaqué, inclut un clébard baptisé Yukko, des poupées Hina, à ranger fissa, gare au mariage retardé, un Grand-Papa blessé, décédé. Il s’autorise la mise en abyme au moyen d’un bouquin a priori britannique, Le Jardin mystérieux. Onibaba ou pas, Hosoda réussit une séquence, pardon, un chapitre assez superbe, de course à cheval au sommet d’une falaise métamorphosée en virile virée à moto, élan épique, fantastique, précédé par des larmes intimistes, émouvantes, de maman à souci, assoupie. Quant à la coda, vacances estivales en Volvo, préparatifs de départ et de campement, elle rassemble les éléments pacifiés, je te pardonne ta nervosité, ton indifférence, elle prend soin de quitter le lecteur ou la lectrice sur un double sourire, Kun enfin fasciné par le bébé, héroïque-ferroviaire protecteur de sa radieuse sister. On le voit, nous voici éloigné d’un regretté Isao Takahata (Le Tombeau des lucioles, 1988), rapproché d’un Yasujirō Ozu, référence flagrante du quotidien localisé, limité, transcendé par une sensibilité singulière sise à la hauteur du tatami de ses caractères d’autrefois. Hosoda semble méconnaître Nagisa Ōshima, rejoint la morale conservatrice de Frank Baum, le géniteur du Magicien d’Oz. Comme si le foyer ne constituait per se un milieu anxiogène, comme si le passif de ses membres pouvait s’effacer d’un passage de réalité, d’une page tournée, au propre, au figuré. On apprend rapidement la dimension autobiographique de l’argument tramé par le père d’un tandem de minots, jadis fils unique.


Celui que le studio Ghibli sollicita, remercia, signe en définitive une odyssée identitaire peu particulière, un brin répétitive, distrayante et transparente, au style trop limpide, frisant l’anonyme, caractérisé à satiété par des silences figurés (« – … »). Que vaut la version en animation, sortie en simultané l’an dernier ? On le saura sans doute un soir. Que vaut l’écrivain dissimulé derrière le réalisateur-scénariste majeur de La Traversée du temps (2006) puis des Enfants loups, Ame et Yuki (2012) ? Disons qu’il s’en sort mieux que le David Cronenberg de Consumés, et encore, par modestie, par humilité. À défaut de posséder le moindre mystère, cette parabole sur la fraternité, la parentalité, ne déshonore pas Hosoda, se découvre en dispensable curiosité, esquisse placide, aux correspondances à la fois similaires et différenciées, d’un univers vibrant sur petit ou grand écran, à des années-lumière de l’émerveillement adulte provoqué par son diptyque de dessins animés en effet dotés d’une âme, et forte, et faste.

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