Quartier haute sécurité pour femmes : La Captive
La tendresse et le string, la rébellion et les
mamelons…
Au-dessus du grillage
on voit
L’arrogance de leurs
armes tu vois
Je ne suis pas à
plaindre crois-moi
On s’occupe de moi
Bernard Lavilliers
Prose ou poésie
Tout n’est que prétexte
Pas la peine de
t’excuser
Muse ou égérie
Mes petites fesses
Ne cessent de
t’inspirer
Mylène Farmer
Prends garde
Sous mon sein la
grenade
Clara Luciani
Ce WIP transalpin tourné au Portugal
mérite mieux que les moqueries du mépris : pour résumer, il s’agit d’un
divertissement souvent hilarant, merci à la VF vintage, assez soigné, estimable direction de la photographie due à
Renato Doria, dont la médiocrité assumée se voit transcendée par un sens du
surréalisme latinisé, constitue en soi une forme de sublime insensé. Caged Women
(1991) cristallise une série de films qui jamais ne connaîtront les honneurs
des cérémonies respectables, autarciques, incestueuses, César ou Oscars dérisoires,
qui toujours s’attireront les foudres fascistes de la bien-pensance, de la
bien-filmance, hier en Angleterre, insulaire, censoriale, aujourd’hui à peu
près partout, à l’occasion d’une médiatique victimisation mondialisée. Le « produit »
du réalisateur, scénariste, compositeur, apparemment sous pseudonyme, Leandro
Lucchetti, né à Trieste en 1944, passé par la RAI, dorénavant reconverti en documentariste,
en écrivain documenté, préoccupé de spiritualité, de Résistance italienne, de
femmes fières, déterminées à diriger leur destinée, renvoyons le lecteur
italophone vers le blog de Stefania Romito, procède-t-il de « l’exploitation », expression pléonastique, chaque
opus promis à un exploitant, assure à
raison Roger C., du sous-genre cosmopolite des women in prison, aussi ancien que le ciné, au
sillage sadien, salut à Juliette, Justine, Eugénie et tutti quanti, où
s’illustrèrent des Corman, Franco, Mattei, Bruno, pas Jean-Pascal, en
respecte-t-il le cahier des charges imagé, les lieux communs quadrillés, les
motifs récurrents, sinon désolants ? Évidemment, pas seulement, car Caged
Women
s’avère davantage dynamique, exotique, finalement féministe, que le dispensable
et soporifique Caged Heat II (Lloyd Simandl, 1993), DVD de votre serviteur, à
peine rédimé par la sympathique Brigitte Nielsen.
La trame du mélodrame érotique et
carcéral, bien résumée par l’impartial Nick Thomson, auquel emprunter quelques
captures d’écran retaillées, mélange par conséquent tourisme et proxénétisme, romance
et violence, villégiature et torture, souffrance et délivrance. Caged
Women commence au carrefour de Cannibal Holocaust (Ruggero
Deodato, 1980) et Les Chasses du comte Zaroff (Irving Pichel & Ernest B.
Schoedsack, 1932), viseur du tireur-tueur, c’est-à-dire objectif de la caméra
du cinéaste, fenêtre du film, regard orienté du spectateur, pointé sur l’une
des proies humaines du titre original, plus létal que l’international (Le prede umane, donc). Hélas, la prisonnière en fuite s’effondre au
ralenti dans la jungle ensoleillée, olé. Illico,
immaculée, Pilar Orive arrive, ex-Miss Euskadi, figure de proue à rendre
fou les adolescents turgescents, leurs paternels impatients, se pointe sans
soutien-gorge et en short sur sa
barque nocturne, déesse sportive, indépendante, aux allures de la Héra embarquée
de Jason
et les Argonautes (Don Chaffey, 1963). Après l’humidité de ses
ablutions délassantes, de sa nuit d’amour avec un mécanicien d’hélicoptère, pas
de temps à perdre, je te chevauche, tu me prends en levrette, ou en sodomie
sans doute adoucie par le voile au-dessus du lit, accessoire caressant à la
Tony Scott (Les Prédateurs, 1983), notre Américaine si soucieuse de ses
droits de citoyenne US se trouve aussitôt compromise par un ripou relou, emmerdeur
de bar, droguée, kidnappée, cloîtrée au creux d’une forteresse isolée remplie
de fessiers soupesés, commercialisés, ceux de ses semblables en détresse, lavées
au tuyau, à la Rambo (Ted Kotcheff, 1983), tant pis pour l’interminable
cloître saphique de Walerian Borowczyk (Intérieur d’un couvent, 1978),
languissante polissonnerie en DVD, au domicile de votre serviteur, bis, aux innombrables zooms à ravir/renverser le Luchino
Visconti de Mort à Venise (1971).
Avec sa compatriote Louise, déjà
brisée, à moitié, Janet se révolte vite, évite un viol de vierge, endure le
tendre supplice de sa gardienne forcément lesbienne, écartelée sur une croix de
saint André, dotée d’une constante transpiration de saison, la ligne Vaporisateurs
du budget dut s’y évaporer. Rassurons les masses, accélérons la cadence :
l’ingénue, même nue, ne saurait se délester de sa dignité, de sa pugnacité, de
sa candeur vaccinée contre la peur. Mademoiselle Cooper, nulle surprise de la
part du conte moral, survivra au survival,
lutte aquatique incluse, son amoureux aérien à la rescousse, des armes lourdes
dissimulées au sein des pièges masculins permettant aux amazones accortes de
prendre leur revanche sur les affreux fermiers ridicules, ridiculisés puis
décimés. On le voit, nous voilà loin du Vieux Fusil (Robert Enrico, 1975) ou
de Irréversible
(Gaspar Noé, 2002), plus proche d’une discrète comédie sexy, solaire, qui offre en cadeau d’accueil local une banane
explicite, ludique, qui zoome en esthète sur le postérieur irréprochable de la
callipyge Pilar, qui se gausse du SAV du capitalisme carné, qui s’achève sur du
triolisme dans le cockpit de l’hélico,
histoire de s’envoyer en l’air au propre et au figuré, la santé, le sourire
retrouvés, à défaut du manche, le second, de pantalon, entre de bonnes mains,
gare au crash d’orgasme ! Autour
de Pilar, soleil noir à l’énergie jolie, perle principale du collier oublié,
gravitent l’éphémère Isabel Libossart, la cruelle Elena Wiedermann (La
carne, Marco Ferreri, 1991), le teuton Christian Lorenz, belle gueule débarrassée
d’arrogance, et le vétéran Aldo Sambrell, croisé chez Sergio Leone, David Lean
(Le
Docteur Jivago, 1965), Luis Buñuel (Tristana, 1970), Romain
Gary (Kill!, 1971), Gordon Hessler (Le Voyage fantastique de Sinbad,
1973) ou Terry West (Flesh for the Beast, 2003), diptyque
avec la cara Caroline Munro.
Janet pouvait devenir la reine des
abeilles, selon son geôlier entiché, repoussant et repoussé ; elle choisit de singer Spartacus, se retrouve
encagée, de manière littérale, cette fois-ci. Survient alors l’acmé du métrage,
in fine sage, une scène sidérante,
cohérente, durant laquelle Louise & Janet, dénudées, je décris, se lèchent
l’une l’autre leur sueur salée afin de s’hydrater, de ne point dépérir de soif,
fichtre. Un tel sommet de stupidité soi-disant saphique, curieusement émouvant,
exécuté par des gens que l’on sent intelligents, devant et derrière la machine
fantasmatique, le tandem d’actrices
tout sauf humilié, ouf, livré à la salacité, valait bien un article a priori problématique, au vu du contenu
de l’item issu du passé, désormais impossible
à réessayer, du contexte actuel de moralisme généralisé. Dans « la vraie
vie », les violences avérées infligées à des femmes par des hommes
misérables ne font rire personne, en tout cas pas moi, moins encore au cinéma,
que la lectrice me relise, please, à
propos du viol à l’écran, et la pornographie, éternelle cible privilégiée de
l’hypocrisie, de la myopie, possède sa part d’obscurité, d’inacceptable, que la
lectrice me relise, à nouveau, au sujet de sa tristesse empirique, d’empire
mécanique, mélancolique. Que l’on s’ennuie ou s’afflige au visionnage de Caged Women se comprend parfaitement, se respecte, pourquoi pas, il convient
néanmoins de lucidité garder, de ne pas confondre l’inoffensif Leandro
Lucchetti avec les sinistres Max Hardcore & Pierre Woodman, dont les bandes
débandantes, au bord de l’abominable, provoquent la consternation, pas
l’érection, donnent à désespérer de l’espèce au lieu de l’élever, de savoir
saisir la grâce triviale d’une étreinte non simulée, union placée sous le signe
du don, même rémunéré, à l’unisson du grotesque et du céleste entrelacés.
Délivrées, livrées à elles-mêmes, les
pensionnaires du harem récompensent la kapo à cravache de ses mauvais traitements
d’antan, la maîtresse SM laissant cependant apercevoir son plaisir à ce juste
châtiment, tandis que les brouillons concons des friqués effroyables de Hostel,
chapitre II (Eli Roth, 2007) se voient livrés à la rancune des captives
précitées, essaim de furies et de lynchage hors-champ, comme si les figurantes
de La
Cité des femmes (1980) de Federico Fellini fusionnaient avec le final du Parfum
(Tom Tykwer, 2006). Je le disais supra,
Caged
Women se termine sur une émancipation, une ascension, un plan estampillé à trois
de bon aloi, dans la bonne humeur, en apesanteur, dans la joie, au-delà des
combats. Sur terre, « la guerre des sexes », ressassée, rassie,
stérile et liberticide, se poursuit, qu’en pense Annie Le Brun, probablement
pas du bien. Dans les airs, au cœur de ce quartier pas si sécurisé, à la
révolution revenue, bienvenue, une utopie paraît, volontariste plutôt
qu’onaniste. Si vous cherchez de quoi vous astiquer en solo, assouvir par
procuration votre détestation réflexive du « deuxième sexe », ou si
le Cinéma(tographe) signifie pour vous Straub & Huillet, cela et rien de
plus, répète le corbeau d’Edgar Poe, fuyez fissa. Si vous souhaitez découvrir
Pilar Orive, sa beauté, sa générosité, son épiphanie modeste, sincère,
sculpturale et joviale, attardez-vous pendant une heure et demie, quitte à
traverser l’ouvrage en accéléré. Ni pensum
phallocratique ni babiole obsolète, ni navet décérébré ni chef-d’œuvre de
subversion sexuée, Caged Women, fantaisie priapique, politique, s’apprécie en
BD animée, incarnée, décomplexée, qui malmène son héroïne, Janet en sœurette de
Gwendoline, dehors, Drunna hardcore,
dans le but démocratique de mieux la magnifier, de démontrer, avec le langage de
l’impureté, du commerce, du jeu, du sérieux, du mythique et du prosaïque,
espéranto de la culture populaire, que la femme ne s’apparente pas à l’avenir
de l’homme, qu’elle représente son présent, le partage avec lui, aussi
somptueuse, audacieuse, courageuse et odieuse, fallacieuse, calamiteuse que lui.
Un mec capable d’encaisser les coups
intériorisés des règles à répétition, la déchirure d’un accouchement ? De
la science-fiction, à la Jacques Demy & Ivan Reitman (L’Événement le plus important
depuis que l’homme a marché sur la Lune, 1973 + Junior, 1994). Des femmes
fréquentables, fortes, fragiles, tournées vers la vie, génitrices ou non, a contrario de beaucoup (trop) d’hommes,
de pouvoir ou pas, préoccupés par leur pauvre pénis puéril, enclins aux
funèbres refrains de fastidieuse finitude ? Une réalité à célébrer, en
salles ou ailleurs, que (trans)porte l’irremplaçable Pilar, souriante à
distance et victorieuse enfin heureuse.
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