The Little Stranger : Une baraque à tout casser
Pilleur de propriété(s) à la Proudhon ? (Dis)qualifié acquéreur de
malheur(s)…
« Il y a quelque chose dans
cette maison » et ce film, dont il conviendrait presque de dépasser les
vingt premières minutes, assez déceptives, sinon soporifiques, de les visionner en
accéléré, avant de commencer à vraiment l’apprécier, à se réveiller à cause
d’une scène de défiguration canine de crâneuse gamine. La neutralité de
l’intitulé identifie une dualité d’idiosyncrasie, désigne à la fois « le
petit étranger », gamin fasciné devenu médecin installé, sens duel, « la
petite étrangère », fillette décédée jadis, peut-être désormais fantôme
frappeur, scripteur, matez-moi les inscriptions à l’intérieur de l’armoire. L’Irlandais
Lenny Abrahamson met en images un roman de la Galloise Sarah Waters, adapté par
l’Anglaise Lucinda Coxon, également dramaturge. Les évidentes influences de la
spécialiste du lesbianisme littéraire, à savoir Charles Dickens, Daphne du
Maurier, Shirley Jackson, Henry James, Edgar Allan Poe, se retrouvent à
l’écran, ne font pas écran à la capacité d’émouvoir de manière curieuse, avec
modestie, disons en sourdine. Certes, la séduisante discrétion du métrage, modèle
d’understatement britannique, à
déconseiller aux amateurs de terreur hardcore,
représente aussi sa limite, affiche sa carence de profondeur. Une fois le film
terminé, l’ambiguïté demeure, le fantastique hésite, mais la vérité, toujours
subjective, a fortiori ici, réside ailleurs, car la valeur de The Little Stranger (2018) procède d’un double portrait, historique et
psychologique. Que nous raconte, à la première personne objectivée, ce conte
opaque d’après-guerre, sis en Angleterre, sorte de Guépard (Visconti, 1963)
délocalisé, mâtiné de gothisme féminin, on pense parfois aux Proies
(Siegel, 1971) ? Pour résumer, la ruine de l’aristocratie, au propre et au
figuré, le délabrement du manoir en rime à la ruine de ses finances fastueuses,
de sa santé mentale, de sa lignée féodale.
Il débute par un surcadrage de miroir
où se raser, il s’achève par un présent projeté, au passé, le cinéma, art
quantique, réunissant grâce au montage des plans, aux points de suture des pas
hors-champ, le moi d’antan, le moi adulte. Entre les deux se déploie l’odyssée
immobile, en huis clos, d’un toubib à l’ombre des Travaillistes, pourquoi pas
des poltergeists. Le docteur Faraday réside dans une cage de Faraday, il désire
s’investir dans le domaine, son investissement psychique, narcissique, en
dépend. Fils de domestique, soignant à succès, sollicité par Londres, son rêve
consiste, débarrassé du frère défiguré, bis,
merci au conflit, placé en établissement spécialisé, allez, à épouser
l’héritière réticente, frigide orpheline d’une mère suicidaire aux éclats de
verre. Au terme de son ascension sociale, le mari fortuné, infortuné, deuil
d’escalier, de tumulte et de chute, revient visiter, procès expédié, sa
propriété en piteux état, sur un terrain morcelé, en partie acquis par des
prolétaires aux piaules équipées du confort moderne, misère. Au vide des pièces
doit répondre celui de son cœur d’altruiste arriviste, voire l’inverse,
moralité un brin moralisatrice, conservatrice, quasiment réactionnaire, à la
Oscar Wilde, sur le danger des aspirations, des obsessions, reste à ta place, reste
dans ta classe, puisque, aphorisme existentiel, « un homme ne peut se
fuir », en effet, une femme non plus, parité bien ordonnée. Bien épaulé
par le décorateur Simon Elliott, par le DP Ole Bratt Birkeland, par une
distribution à l’unisson, mentions spéciales à Domhnall Gleeson, à Ruth Wilson
et bien sûr à Charlotte Rampling, imprévisible scream queen, lors d’une
scène relisant la tension acoustique de La Maison du diable (Wise, 1963), le
serein Abrahamson filme l’ensemble à l’image du principal personnage, serpent
sincère, à sang froid, introduit via
la servante juvénile, faussement malade, au sein du fruit déjà pourri d’une gentry à l’agonie, qu’il envie,
convoite, médicamente et extermine.
Le minot voleur de moulure frise
l’imposture à la quarantaine, à domicile, le spectateur anglophile en viendrait
à s’interroger sur sa responsabilité, sur ce « You! » lancé en
préambule au vol plané – Faraday, émule roux, si policé, pardon d’avoir glissé
ma main vers votre entrecuisse, my dear, du trop talentueux et gay Mister
Ripley ? Laissons Patricia Highsmith de côté, Alain Delon idem, et recommandons avec des réserves,
de rythme, de densité, d’intensité, d’originalité, cette comédie noire déguisée
par sa bande-annonce en mélodrame horrifique, en réalité dialogue à distance,
distancé, avec Amityville : La Maison du diable (Rosenberg, 1979),
autre étalon de malédiction économique,
que le lecteur en (re)lise, please, l’analyse de Stephen King selon Anatomie de l’horreur . À défaut d’envoûter, l’ouvrage sur un « envoûtement »
méritait son détour de samedi soir, son texte de dimanche immobilier, pas
immobilisé, dû à un locataire davantage entiché de chair que de mystère.
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