Les Pionniers de la Western Union : O’Brother
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Fritz
Lang.
Zane (Grey) par Zanuck (Darryl) – la
Fox ni Fritz ne font dans le détail, la dentelle, la faute à un scénario falot,
tracé à la truelle, dû à Robert Carson, l’auteur du script narcissique et sentimental de Une étoile est née
(William Wellman, 1937). Durant les vingt ans de sa période américaine, Lang l’exilé
réalise trois westerns, c’est-à-dire
manipule à trois reprises une imagerie des origines, historiques et
géographiques, une mythologie encore jolie, aseptisée par les préceptes de
Hays, par les studios comme il faut, avant la violence et le révisionnisme des seventies. Ici, au début des années 40, les
Indiens, pas encore rebaptisés Amérindiens, s’instrumentalisent, se
ridiculisent, alcoolisés, électrifiés. Ici, un télégraphiste périt au sommet d’un
poteau, planté à la Siegfried, remember
le tandem des Nibelungen de 1924. Ici,
une femme fait de la figuration, se plaint en souriant de ne pouvoir réaliser
ses rêves en raison de son sexe ; mélancolique, esseulée, Miss Gilmore regarde les
hommes s’éloigner, s’évanouir, lui revenir, cavaliers partis installer la
supposée civilisation, comme si la communication technique et médiatique, cf.
la cérémonie d’inauguration en public, en présence du gouverneur recyclé par
erreur en cocher, permettait de réunir les parties opposées, comme si le fil
suspendu suffisait à suturer le traumatisme de la guerre civile, à recoudre la
bannière stellaire déchirée qui, démultipliée, servira de toit à la communauté utopique
de Bronco
Billy
(Clint Eastwood, 1980), en rime modeste, mineure, au fer du chemin homonyme, à
son labeur en sueur, épique, cosmopolite – western
union, indeed, au-delà. Aux USA si WASP, on rejoue Caïn contre Abel, on se
trucide entre frères, au propre, au figuré, à la manière manichéenne.
Shaw fuit dès la première séquence
puis affronte en duel final son frérot, son vrai-faux alter ego, Sudiste
sécessionniste détrousseur déguisé en Indian
coloré, éminente némésis de malheur. Aux États-Unis, démocratie de ségrégation,
le cinéaste-citoyen directif, sinon tyrannique, apprend l’humilité, de décor,
de cadre, des cadres, ceux du système industriel et surtout de la caméra
singulière, Lang le réaliste lâche la bride à Lang le fantaisiste, délivre un album
plaisant et inconsistant délesté de la sombre beauté du diptyque indien de
1959. Tandis que Furie (1936), J’ai le droit de vivre (1937) et Casier
judicaire (1938) étudiaient le (dys)fonctionnement de la justice US, Les Pionniers de la Western Union (1941) esquisse l’instauration de la loi,
au prix du vol, de la revente, du papier signé, échangé, substitué à l’argent,
à l’or. Plutôt qu’une évocation du capitalisme naissant, spécialité de Leone ou
Peckinpah, il s’agit d’une fable aimable et limitée sur la fraternité, la
Frontière et la frontière infranchissable des deux frères, accessoirement le
quadrillage de l’espace et le surgissement de la Cité, statuts, vitrines et
métiers habilement associés en fondus enchaînés. L’Atlantique franchi, l’Européen
géométrique se souvient de ses lectures de jeunesse, de l’imaginatif ou
mensonger Karl May, annonce donc à sa façon l’idéalisme moral de la série des Winnetou
sortis au cours des sixties, pratique
par conséquent, compatriote délocalisé, le mythe au carré, sage présage des
outrages transalpins, certes plus graphiques, aussi peu véridiques. Au menu du
métrage d’un autre âge, ponctué par un humoristique cuisinier, de la
solidarité, de l’amitié, de la masculinité, la volonté de s’amender, la seconde
chance accordée, une pincée d’armée, un soupçon d’incendie.
L’épopée aspectaculaire, rétive au
lyrisme, bye-bye, Anthony Mann, sinon
dépressive, s’achève chez le barbier, salut aux frangins Coen, assez superbe
séquence nocturne, déserte, muette, débarrassée de la musique simplette au
kilomètre, composée par David Buttolph, déjà à l’ouvrage sur Le
Retour de Frank James (Lang, 1940). Scott succombe à Slade, la coda express, sorte de codicille festif,
toutefois doux-amer, sis à Salt Lake City, prenant soin de nous assurer de son
immortalité, de l’efficacité de la transmission, mission accomplie, film
terminé. Exit le « film noir »,
en noir et blanc, passé, à venir, bienvenue au Technicolor, Fritz Lang,
naturalisé des 1939, désormais grimé à l’instar du personnage précité, du lisse
ingénieur – Robert Young, magicien taquin des Miracles à vendre de Tod
Browning (1939) – se délectant dans sa panoplie proprette de Davy Crockett, caméléon
reconnaissable via sa réalisation à
la fois sèche et chaleureuse, économe-élégante. En matière de masques
révélateurs, il portera ensuite celui de l’antinazisme en simultané (Chasse
à l’homme, 1941 + Les bourreaux meurent aussi, 1943),
de l’espionnage hitchcockien (Espions sur la Tamise, 1944,
inférieur aux mutiques Espions teutons de 1928), du
mélodrame renoirien (La Rue rouge, 1945, relecture de La
Chienne, 1931 + Désirs humains, 1954,
reformulation de La Bête humaine, 1938), de l’aventure éducative, pédagogique,
métaphorico-freudienne (Les Contrebandiers de Moonfleet,
1955). « Un vrai film de Fritz Lang », dixit l’émérite Brion Patrick, Les Pionniers de la Western Union ne
se destine pas aux enfants, ou alors grands depuis longtemps, il préfère
afficher en filigrane le funeste destin fratricide, petit film d’un grand
cinéaste adressé aux cinéphiles d’hier et d’aujourdhui, intéressés à défaut d’être
renversés, séduits au lieu d’être conquis, tel un brouillon pas con et
nonobstant inabouti, une rêverie disons d’après-midi, à visiter davantage qu’à
méditer, amen, Achtung.
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