Ma maison est remplie de miroirs : Sophia Loren, reine sereine

 

De Sofia à Sophia, au-delà du cinéma…

Belle et sensuelle, heureuse et talentueuse, élégante et amusante, intelligente et attachante, populaire et altière, accessible et cependant dotée d’une aristocratie innée, Sophia Loren traversa et transforma un moment important du cinéma d’Italie, dut déclencher des jalousies pas jolies jolies, dont la détestation sans raison, irrationnelle, à la truelle, du pseudo-napoléonien Jean Tulard qui, au cours de ses collectifs dictionnaires anecdotiques, sinon à la con, consacrés aux acteurs, aux films, ne manque aucune occasion de déverser son fiel sur Mademoiselle Loren. Elle changea de (pré)nom, elle changea de vie, elle épousa de manière presque rocambolesque l’incontournable producteur Carlo Ponti, ni père ni patron, plutôt précieux compagnon. La fifille illégitime d’un ingénieur déserteur s’ingénia jadis à participer à un concours de beauté, « des lires pour un sourire », dommage pour les dollars du compatriote Leone, à s’afficher parmi des romans-photos sous le pseudo de Lazzaro, à figurer en une de Life, fichtre, à remporter un paquet de récompenses cosmopolites, à poser en pudique Pirelli, septuagénaire sexy, à ressusciter sa mamma, à la TV en tout cas, d’après les souvenirs de sa sœur, entreprise familiale et réflexive à laquelle je chipe le titre faussement narcissique et traduit de cet article, à être dirigée, en plein psychodrame pandémique, selon son fiston, lecteur de Gary, eh oui. Catholique, on lui pardonne, résidente suisse, on la comprend, de cœur Napolitaine, de nationalité italienne (puis française), actrice un instant américaine, que couronnèrent deux Oscars, à trente ans d’intervalle, pas banal, la comédienne ne monta jamais sur scène, trop traqueuse, un chouïa chanteuse, devint vite l’amie de De Sica & Mastroianni, ne s’entendit avec le beau et indélicat Brando, baptisa des paquebots, écrivit son autobiographie, m’épargne ainsi, mimétisme de cérémonie mémorielle, la peine de devoir pondre ici sa détaillée biographie.


La vérité de la valeur de Loren, ni émule de Monroe, davantage admiratrice d’Yvonne De Carlo, ni fanatique de Mansfield, matez-moi cette poitrine, de rivale convive, point pin-up à soldats US, côtoyés durant sa jeunesse, il faut peut-être la rechercher en marche arrière, c’est-à-dire la définir en enfant de la guerre, en gosse pauvre, pas en pauvre gosse, en produit en partie d’une époque pas en toc, surtout comparée à la nôtre, à notre modernité médiocre, de quoi se forger un caractère, se rendre capable de faire une conséquente carrière, aussi star que mère, décider de résister, au propre et au figuré. En 2021, je crains dégun, millésime cacochyme, société surveillée, santé instrumentalisée, capitalisme de catastrophisme, que demeure-t-il de la dame remarquée, remarquable, de la femme fréquentée, au lit, Cary, fréquentable ? Disons des images suaves et sages, comme un condensé de décennies dédoublées, années 60 et 70 à revisiter certes délesté de nostalgie, d’angélisme, une singularité, une personnalité, à opposer, à rapprocher de celles de Claudia Cardinale, Sabrina Ferilli, Valeria Golino, Serena Grandi, Gina Lollobrigida, Anna Magnani, Silvana Mangano, Eleonora Rossi Drago, Stefania Sandrelli, j’en passe, j’en oublie, et bien sûr, a fortiori, des films fameux, une fertile filmographie, près de soixante-dix items d’antan, du « monde d’avant », dus d’abord à Soldati & Comencini, ensuite à Altman & Marshall, Cayatte & Litvak, Christian-Jaque & Kramer, Cosmatos & Scola, Cukor & Curtiz, Chaplin & Reed, Hanin & Hathaway, Hough & Hiller, Lattuada & Lumet, Mann (Anthony) & Mann (Daniel), Risi & Rosi, Winner & Wertmüller, sans soustraire Anderson, Asquith, Blasetti, Bolognini, Camerini, Donen, Monicelli, Negulesco, Ritt ou Shavelson. Quant aux familiers de ma glace, profondeur et surface, ils pourront se reporter à ce que j’y rédigeai au sujet du Cid (1961), de Hier, aujourd’hui et demain (1963), puisque les ouvrages voyages le valaient bien.


Sa mère, professeur de piano, ressemblait, paraît-il, à Greta Garbo, pourtant Sophia Loren ne ressemble qu’à elle-même, interpréta plusieurs fois des personnages entre outrage et hommage, de femmes à la fois fortes et fragiles, victimes et combatives, lui ressemblant sans doute un peu, parions-le, je pense par exemple à La ciocciara (1960) de Vittorio De Sica adapté de Moravia, ciao à Belmondo, à Une journée particulière (1977) d’Ettore Scola, alors en pleine période sépia. D’un opus à l’autre, diptyque historique, à double titre, la guerre ne finit, s’éternise, se concrétise, les sauveurs s’avèrent des violeurs, « indigènes » (in)dignes de blasphème, le présentateur pédé, sur le point d’être déporté, un vrai mec à aimer. Tamisé d’une discrète et intime mélancolie, l’érotisme lorenesque se situe donc du côté de la vie, le corps solaire, pas stellaire, nous éclaire, au contraire de l’obscurité du désir, à proximité du pire, sadienne ou pasolinienne. Sa résilience de survivance, sa détermination à se faire un nom, sa volonté, in fine, d’accorder son pardon au malade coupable d’abandon, son aura de personne, au-delà de la persona, sa féminité lucide et ludique, magnanime et rétive à la misandrie, tout cela résonne avec une certaine Audrey Ruston, immortalisée sous les traits et l’identité similaires et différenciés de Hepburn Audrey. Il ne s’agit de choisir, il s’agit de chérir, de discerner des divergences en définitive en correspondance à distance. Sophia, on le sait, signifie sagesse en grec, et Sofia Villani Scicolone, tout sauf conne, en disposa, sut en user de bon aloi. Aïda & Vénus, Cléopâtre ou fille (du fleuve) formidable, orchidée noire ou espèce de garce, diablesse ou millionnaire, sans-gêne ou Romaine, comtesse de Hong Kong ou femme du prêtre, Lady L & Judith, Angela & Madame Rosa, la pépée du gangster ne déploie du pervers, se déguise et (me) grise, cristallise pas tant le déclin du ciné italien, années 80, Berlusconi et tutti quanti, que sa clarté, sa générosité, sa tragi-comédie réussie. 

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