Espion(s)

 

Un métrage, une image : Le Dossier 51 (1978)

Dépouillé du spectaculaire, l’espionnage apparaît en pleine et piètre lumière, jeu sérieux, spécieux, dont la dimension méta au cinéaste espiègle n’échappa. Deville & Perrault, carpe + lapin, parce qu’ils le valaient bien ? L’opus récompensé, idem produit par Dussart (L’Apprenti salaud, 1977), encore éclairé par le régulier Lecomte, toujours monté par la coutumière Raymonde Guyot, démontre et démonte une mise en scène malsaine, signée d’un tandem amène, en train d’esquisser de sinistres cinéastes, eux-mêmes en train d’observer, avec pour objectif de le manipuler, un quidam du quai d’Orsay. Pas une once de hasard si la scène de séduction dirigée, capturée au carré, sur pellicule, en vidéo, ressemble ainsi à une audition, anticipe le dramaturgique psychique du Paltoquet (1986), entrepris parmi une décennie dédiée aux images domestiques, donc individualisées, surdéterminées, selon le marché, de la publicité (à la TV, même au milieu des films), de l’intimité (le X en VHS), de la musicalité (mécanique du clip, sur chaîne à la chaîne). Dieux odieux de mythologie médiocre dotés de surnoms à la con, les espions à l’unisson se préoccupent de « contrôle », de capitalisme tiers-mondiste, s’en remettent in extremis à la psychanalyse, à l’analyse d’un pseudo-Esculape à l’assurance d’arnaque, alter ego guère rigolo. Au principe de plaisir intrusif, auditif, péché autorisé, institutionnalisé, que commettent d’obscurs concierges, celui de réalité inflige, en effet, un définitif démenti, réalise le « risque » pressenti : réduit à un numéro, révélé à lui-même, le sujet se suicide aussitôt, fissa remplacé par une seconde cible. Commencé/terminé sur écran électronique, l’art poétique et politique fait se télescoper, en plans-séquences et POV, Marker (La Jetée, 1962), Welles (Citizen Kane, 1941) et Sautet (Les Choses de la vie, 1970). Substituée au rosebud, voici la sodomie, à la place de la luge incinérée, une bagnole louée, écrabouillée, mais le mystère demeure, l’enquête reste suspecte, la destruction constitue la conclusion. Ce dossier pouvait s’affirmer foucaldien, société de surveillance, de transparence, de sécurité des intérêts publics et/ou privés, exposés via leur envahissante invisibilité, Deville le souligne. Pourtant l’item, virtuose et morose, drolatique et tragique, dévie de la satire d’un totalitarisme désormais actualisé, médicalisé, vers une réflexion en action(s), au sujet du refoulé, de la liberté, d’un mensonge généralisé producteur d’une dangereuse vérité, relisez Notre agent à La Havane de Greene Graham, allez. Tel Raphaël (ou le Débauché, 1971), Dominique ne survit à son dessillement, au complot menaçant, victime romantique, de Mabuse multiples…     

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