La Lectrice

 

Rêve éveillé, rêverie d’aujourd’hui, soupirs de sainte et cris de fée…

On ignore son nom, de qui il s’agit, ce qu’elle lit, en définitive, on s’en fiche, on l’avise de profil, on la devine tranquille, femme calme, au calme, aux pieds et mollets ensoleillés, au silence concentré, au fauteuil tapissé, au rideau disons à demi, à moitié tiré. N’en déplaise à Deville, donc à Miou-Miou (La Lectrice, 1988), voici notre lectrice à nous, moins blonde, pas moins gironde, elle aussi à domicile, peut-être se déplace-t-elle idem, en petite tenue bienvenue, jolie lingerie chic et pudique. Par rapport à l’inconnue cadrée dans un coin, mise au piquet point, à l’érotisme apaisé, subtil, à l’intimité portée au carré, mise à nu des formes et de l’effort, de la dame et de l’âme, la cara Claudia Cardinale, pas autant dévêtue, paraît presque tendue, en train d’étudier en solitaire, cadrage similaire, position à l’unisson, identique et différenciée focalisation, sinon de mémoriser sur le set, en costume, en bas noirs et au bord du miroir, un exemplaire du script austère de La viaccia (Bolognini, 1961), voilà, voilà, voyez-la, voyez ses doigts au milieu des mèches, d’apprendre mes répliques rien ni personne ne m’empêche. À chacune sa solitude, habitude accompagnée, le mouvement des mots et des yeux au milieu de l’immobilité, le retrait posé, composé, mise en scène guère malsaine, mimétisme d’instants charmants, émouvants, muets mais éloquents. Face à ces femmes fréquentables, prises en reflet près d’une glace, à la fois profondeur et surface, Gary Cooper, pareillement en panoplie, donne l’impression impressionniste d’un acteur bosseur, d’un lecteur très attentif, froncement de sourcil en attestation de saison. Sur le plateau éclairé un peu trop a giorno de L’Adieu aux armes (Borzage, 1932), il révise à la source, il tient d’une main d’Ernest Hemingway le roman maousse, tel un modèle d’humilité.  

Les langues vipérines déliées parlent de pure publicité, de vrai-faux conflit frelaté, martial mélodrame hollywoodien, quand tu nous (dé)tiens ! Pourtant, n’importe où, n’importe quand, les stars savent lire, pas que leur contrat, oui-da, les images sages de pages à parcourir font aussitôt resurgir le souvenir de Pier Paolo Pasolini occupé à bouquiner de nuit, assis à poil sur un lit, lisez la biographie de René de Ceccatty, ouvrez le cahier photo illico, puis repensez, dans la foulée de feuillets effleurés à feuilleter, à Marilyn Monroe, lectrice de l’Ulysse de James Joyce sur une sorte de manège, culture parmi la verdure. La lecture se résume ici à ceci, une mise à distance, un retour à soi, à l’intérieure voix, à la voie de l’intérieur, abandon d’abolition express, provisoire, du monde alentour, bruyant toujours. Imagination ou non, prose ou poésie, mélange les deux, l’ami, lire participe du repli, du précis, du temps trouvé, retrouvé, Marcel Proust opine, de la conscience assurée, dépersonnalisée, petit exercice de schizophrénie jolie, de division d’évasion, de visite d’un univers mental laissant loin derrière le risible « métavers » de Mark Zuckerberg l’anecdotique milliardaire. Privilégier les livres au détriment des films, préférer le texte au ciné ? Davantage rendre hommage à un acte trivial, vital, délocalisé, démultiplié, puisque désormais dématérialisé, numérisé, à base de matériau dénommé augmenté, commenté, approuvé, polémiqué. Si l’on crée encore contre le monde immonde, en réponse évidente ou absconse, altière ou populaire, lire nous réapprend à nous taire, nous ramène au monastère, anonymes ou légendaires, pusillanimes ou téméraires, vous ne direz le contraire, vous qui me lisez, me démoralisez, cinéphile littéraire, à l’écriture inconsolée, douce et amère.       

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