Bienvenue à Pornoland : Candide
Entrer, sortir, pour le meilleur et pour le pire.
Écrit par et comme un journaliste,
voici un ouvrage de deux cent dix-sept pages vite lu et vite limité. Après une
« note de l’éditeur » (les petits gars de Respublica, pas de jeu de
mots priapique, merci) se signalant par sa modestie, son refus de l’hyperbole –
« Il s’agit, y compris dans l’histoire de la pornographie, d’un témoignage
saisissant, aussi inédit qu’exceptionnel » – et une lucide préface de
Céline Tran, encore (en 2009) désignée Katsuni – « On désire aussi ce qui
nous manque, et l’on finit par insulter ce qu’on ne peut avoir. C’est là toute
la fatalité du monde du porno qu’on regarde avec envie et rage » –, avant
des remerciements adressés à l’épouse, aux amis, à la maison d’édition, à la
famille, au rédacteur en chef et aux collègues d’une célèbre revue spécialisée,
à ceux qui ne le recrutèrent pas et à « l’industrie du X », surtout
ses actrices, l’auteur se fend d’un avant-propos lexical dans lequel il fustige
la « laideur » du vocabulaire anatomique (une probable invention de
puritains, hein, tant pis pour le brûlant et glacé Crash de Ballard) et
justifie son emploi récurrent de termes disons un chouïa moins élégants, mais
jugés « légers, imagés et joyeux ». Réjouis-toi, lecteur (ou
lectrice), car « Le sexe est avant tout une joie, la meilleure qui soit.
La pornographie aussi, son but premier étant d’apporter du bonheur et du
plaisir à ceux qui la regardent. » Le dernier paragraphe précise la
démarche : « Comme la majorité des actrices X dans l’exercice de
leurs fonctions, les pages qui suivent espèrent juste remplir sérieusement leur
rôle de divertissement, mais sans jamais se prendre au sérieux. »
Dans un chapitre liminaire, autobiographique,
Paul-Jérôme Renevier (allez voir ce que signifie l’ultime syllabe de son
patronyme prédestiné dans le « parler marseillais ») évoque ses
émois, ses études de droit, son milieu petit-bourgeois, son emploi au Parisien-Aujourd’hui
en France, le chômage et l’embauche. Puis on le suit à Paris (seizième
arrondissement) en compagnie de Nina Roberts (Julia rougit), à Rimini sans
Fellini, flanqué de Manuel Ferrara (étalon de Bondy) & Steve Holmes (érudit
polyglotte). Ici se tourne un gonzo avec Allison More (pas une once d’amour, so), la vingtaine, « encore plus
inexpérimentée » que lui-même. La sodomie de la débutante absolue, ou
presque, se passe mal, elle devient littéralement sanglante, devant les yeux de
l’apprenti sidéré qui, à défaut de faire, de pouvoir faire, autre chose,
l’encourage et la soutient moralement : « Pendant dix minutes encore,
Allison a donc supporté ça, le cul en chou fleur [sic], les yeux trempés et les joues noircies par son maquillage
dégoulinant. Une boucherie » (héroïque, rajouterait Voltaire). Peu après,
interrogé, pragmatique, Ferrara affirme : « Si je me mets à y penser,
comment je lève ma bite pour finir ma scène, moi ? » La novice,
« consentante » et « payée » (ouf, nous voilà rassurés),
« on ne l’a jamais recroisée sur un plateau de tournage hard » (après
une chute de cheval, il faut rapidement remonter, se console Marnie). À Prague,
la « ville aux mille clochers », similaire son de cloche, Sharka
confie un (vol) viol d’enfance, tandis qu’une de ses consœurs, ailleurs, parle
de son papa qui les abandonna, elle et sa maman, de son amant et père de son
enfant qui la battait (« C’était du Camus » commente le confesseur,
confondant sans doute avec Zola).
Haut les cœurs, néanmoins, oublions
vivement les haut-le-cœur et le double baptême (ou dépucelage de carnage) peu
amène : « l’ambiance est chaleureuse, les gens sont sympas et pour la
plupart, loin d’être des cons », la preuve avec Rocco Siffedri, au bout du
fil, les mains prises, pourtant davantage disponible et urbain qu’un certain
Thierry Henry, au bord de la paranoïa par téléphone. Le chapitre suivant,
explicitement intitulé Le rêve
éveillé !, donne le ton de l’ensemble (du récit, du milieu),
professionnel, international, lubrique, ludique et corrige la première impression
(pas toujours la bonne, donc), s’ouvrant sur la couverture d’un « tournage
idyllique » au « paradis » de la République dominicaine (Sea, Sex
and Sun, indeed). Hervé
Bodilis (lisse séide de Marc Dorcel) à Budapest ou l’angélique (et démoniaque) Silvia
Saint en Espagne serviront de Virgile d’occasion, de visas en chair et en os
pour le merveilleux pays de la pornographie filmée (le titre ne possédait par
conséquent aucun second degré, il participait d’une appréhension du sujet en
pur parc d’attractions à la Disney, pour et entre adultes consentants,
évidemment, pas question d’envoyer, « dans quelques années », son
propre fiston alors âgé de sept ans acheter un magazine de golf, des fois qu’il
tomberait sur le dernier numéro de l’employeur paternel). On retrouve ensuite
notre habile Rouletabille, notre Tintin badin, à Las Vegas (Parano, of course, dans le sillage de Hunter S.
Thompson, inventeur du journalisme gonzo, boucle bouclée, allez), promu
cartographe-ethnographe (« Le marché américain est à l’image du pays, un
oxymore véritable »).
La pirate (pas Judy Garland) Jesse
Jane, la clean (pas Maggie Cheung)
Briana Banks, la magnanime Janine, la reconnaissante Jenna Jameson, deux stars incontestables, l’haltérophile
Jean Val Jean (pas si misérable au générique des Experts) – tous se
donnent rendez-vous au salon Adult Entertainment Expo, hébergé dans le casino
du Venetian (faux Rialto inclus, mon coco), royaume bipolaire entre des
« compagnies de films scénarisés » (Digital Playground, Vivid, Wicked
Pictures), ersatz du glamour
hollywoodien de naguère et des sociétés moins argentées de pure efficacité, les
Jules Jordan, Elegant ou Evil Angel, au sexe anal en norme banale. L’occasion,
mon colon, d’esquisser des parcours, des portraits, ceux de jessica drake
(pièce de collection rétive aux majuscules), Savanna Samson (correspondante
siffredienne), Katsuni bis
(affectueusement apocopée en Katsu), incarnation 2.0 de la fameuse devise
d’Arletty sur la nationalité de son cœur et l’internationalisme de son
postérieur, ou Brigitte Bui, refroidissante beauté (on pouvait lui préférer
Lahaie). Mister Renevier, épris de
psychologie, s’attache dans la foulée à l’exercice du profilage, humblement
assimilé à une « philosophie de comptoir ». En résumé :
« Si la vocation d’actrice X est précoce, elle répond moins à un désir
d’épanouissement professionnel qu’à un profond besoin personnel. Ce n’est pas
un métier qui leur apportera un bonus pour l’avenir, mais qui viendra combler
un manque du passé » (approbation des psys).
Les (souvent) anciennes infirmières
(Lou Charmelle, Nina Hartley, Tera Patrick, Dora Venter, Yasmine) s’envoient dorénavant
en l’air, dotées d’un « côté masochiste » flagrant,
« léger » ou « très prononcé » (l’assertion « Qu’une
femme aime sentir le pouvoir, la force d’un homme pendant l’acte sexuel, c’est
un besoin social, culturel » ravira les féministes, a fortiori façon Femen),
à l’instar de la stupéfiante Melissa Lauren, amatrice de batte de baseball insérée où vous devinez,
revenue à une modération de saison, « décidée à se respecter ». Dans
toutes ces acrobaties, il conviendrait de lire « une sensibilité à fleur
de peau et une estime d’elles-mêmes souvent défaillante », associées à « une
demande d’attention appuyée. La plus vieille du monde » (les mauvais
esprits citeront plutôt le supposé plus vieux métier du monde, passons). Le
besoin d’amour, la sensation d’exister, l’émancipation sociétale, passent
accessoirement par le viol fantasmé (un salut à Isabelle Huppert chez Elle
chez Verhoeven), les tatouages-piercings
(propriété, liberté, douleur d’un corps décoré, labellisé), le danger (la coke devenue denrée rare). Le chapitre 6
énonce un progrès généralisé, point d’exclamation à l’appui : Sexe et argent, grâce au X les femmes
s’épanouissent ! Fi de la vénalité (Laetitia en vidéaste pionnière
pour ménagères délurées), remisez le rassurant misérabilisme de la
« misère sexuelle », des « pauvres filles », des filles
pauvres, au vestiaire, observez la démocratisation de l’onanisme numérique et
la mode du sex toy (cachet de Sonia
Rykiel, quand même, l’insertion de l’objet dans la collection printemps-été
décrite sans rire par P.-J. Renevier « comme le véritable point de départ
de la libération sexuelle en France ») – les femmes « aiment ça, point »
et, un sondage IFOP en atteste, beaucoup d’entre elles s’intéressent au X.
Face à une « sexualité féminine
déculpabilisée, ouvertement provocatrice parfois », les hommes peinent à
pratiquer ou seulement admettre une bisexualité (constat confirmé par une
Ovidie) et se voient concurrencés par un appétit de puissance empreint de parité
(« Désormais, je suis une femme qui pense comme un homme. Je veux
tout : le pouvoir, l’argent, le fun et le sexe » revendique la peu
timide Shy Love), d’enrichissement sonnant et trébuchant (« D’une manière
générale, ce sont les filles qui gagnent de l’argent dans le X »). En mode
réflexif, l’opus s’en prend par la
suite (sous patronage gainsbourgesque) à l’hypocrisie médiatique (à quoi bon,
cependant, tirer sur l’ambulance de la bien-pensance ?), celle du vieillot
Charles Villeneuve dans le racoleur Droit de savoir, du Parisien
guère serein (Adeline Lange y joue les diaboliques Brutus), du bientôt freudien
Marc-Olivier Fogiel (Adeline, pas Jessica, bis)
de l’inénarrable Marie-Claire de Tina Kieffer, à deux doigts (dans la braguette)
d’une diffamation ou d’une séparation. PJR, « membre de la grande famille
du porno », s’insurge et son sang ne fait qu’un tour devant un tel
ramassis de conneries, de mauvaise foi tous azimuts. Il reprend les arguments
balisés, entreprend de les démonter, sans toutefois vouloir « s’ériger en
défenseur intégriste du X » (Daech, à la niche). Non, personne n’exploite
financièrement les actrices, par ailleurs (estampillées filles de l’Est) conductrices
de Mercedes (Cristina Bella) ou future propriétaire multiple (Claudia Rossi),
ni ne les abuse sexuellement, ni ne les influence fortement (pas de producteurs
mafieux dans le milieu, malgré la présence à succès du crime organisé à
l’époque de Gorge profonde, objectent les nostalgiques
ou les non amnésiques).
Pas plus hard qu’hier, la pornographie, si elle peut représenter une réelle
agression par inadvertance (suggestion de création « d’une police
internationale sur Internet », on ne rit pas au souvenir du fiasco Hadopi,
please), si « Aucune œuvre à
caractère pornographique ne devrait tomber entre les mains d’un ado, c’est
d’ailleurs une disposition légale très stricte », ne s’avère finalement
pas un fléau, responsable de tous les maux, elle n’incite à aucune misogynie
facile, mimétisme nocif (en dépit d’une nocivité admise « sous certains
aspects extrêmes »), érosion de la distinction réalité/fiction, ou alors
autant interdire les films d’horreur, Le Parrain et Scarface. Tressons par
conséquent et a contrario des
louanges à Helena Noguerra (sœur de Lio), Fabrice, Lagaf’, Nagui, Stéphane Collaro, Antoine de Caunes, Michel Houellebecq (cherchez l’intrus), Lord Kossity (ami vocal
de Clara Morgane), Thierry Roland (titillé par Delfyn
Delage), Patrick Sébastien pour leur naturel, leur franchise, et laissons son pathos à la
documentariste Mireille Darc. L’objectif inavoué de cette imagerie policée,
frigide : « ne pas laisser penser aux gens ‘normaux’ qu’on peut être
heureux dans ce métier. » Vive Canal+, vive les Hots d’Or, vive la série Hard
(homonyme du document éprouvant de Raffaëla Anderson) et les courts métrages
interdits aux mineurs signés Lou Doillon et Arielle Dombasle. L’enjeu de la
harangue ? Proposer « un point de vue éclairé sur ce sujet
passionnant que peu de gens maîtrisent vraiment » (moi insider, toi outsider, capito, espèce de puceau ?). Le segment Éthique, morale et perversions comprend
un trio de mantras : « Dans tous les pays, la morale se confond
généralement avec la loi », « La morale est la pierre angulaire du
X », « Conclusion, on pourra interdire la pornographie tant qu’on
voudra, on ne fera qu’accroître sa consommation » et retrace la matrice de
moult repas.
Au menu, le roboratif (ou
écœurant, cela dépend) 65 guy [sic] creampie 2 avec la gastronomique et athlétique Arianna Jollee,
plat principal et unique à 20 000 euros (à peine 50 concédés à la
cinquantaine d’éjaculateurs recensés), des MST, des certificats médicaux, des « trans »
et le sentiment-volonté de participer au « redressement de la production
pornographique ou à sa démocratisation ». En guise de digestif, on parle
d’argent dans Secrets, techniques et
performances, on sonde le « vrai mystère » des budgets du X et le
récurrent « manque de moyens » (antienne nationale corporatiste),
petit exercice comptable intégré afin de calculer la moyenne d’un tournage
moyen (moins d’une semaine), 10 000 euros, répartis ainsi : 4 000
pour 5 actrices, 2 500 pour 5 acteurs, 1 500 pour la maquilleuse
(convoitée en nouveauté de chasteté), 500 pour le photographe de plateau, 500
pour un ou deux jours de maison en location, plus un surplus pour « un peu
de matériel ». Panne, impuissance, prestance, panoplie de beauté retouchée,
rhabillée, blanc d’œuf mélangé à du savon, lubrifiant débandant et lavement
recommandé – autant de trucs, d’astuces, de farces et attrapes nécessaires,
complémentaires, avec pour acmé l’art manuel du squirting, enseigné de main de maître (ah, le point G, point alpha
et oméga de la jouissance du sexe classé deuxième) par Axel Braun, « fils
de l’illustre Lasse ». Notre grand reporter
à demeure nous en offrira l’éloquente démonstration-imitation, secondé (à son
service) par une « Meetic girl » au téléviseur drôlement
éclaboussé par son éjaculation purement féminine. Et moi dans tout ça ? se questionne, pour la forme, au miroir
rhétorique, l’explorateur des profondeurs.
Il reconnaît avoir « beaucoup
appris », via un
« perfectionnement subtil et involontaire ». Remarquez en outre que
le père « boursicoteur » ne peut qu’approuver la viabilité du
voisinage « d’une entreprise de vingt-cinq salariés générant quinze
millions d’euros de chiffre d’affaires », que l’acceptation de la
profession du rejeton se déroule dans un climat de « décontraction »,
que le trentenaire autrefois célibataire rapporte une relation orpheline avec une
actrice française à présent retirée, retraitée, anonyme, « une fois en
presque six ans », résistant aux tentations très tentantes d’une Angel
Dark, « sublime Slovaque », d’une Liza del Sierra, « adorable
enfant souriante et malicieuse », d’une (solaire) Silvia Saint, son « fantasme
d’adolescent ». L’odyssée feutrée, sinon édulcorée, déplore une poignée de
lecteurs on line, s’achève en romance
mélioriste, par un mariage religieux après son homologue civil à Vegas,
plaisanterie gay du père de La
Morandais en bonus. Auparavant, Paul-Jérôme
Renevier concluait « ne plus rechercher le sexe pour le sexe », il « préfère
de très loin les jeux de séduction, les instants de complicité subtile, le
moment exaltant de la découverte », il ose une citation d’escalier de Clémenceau
(possiblement en route vers le septième ciel, pas celui, mortel, de Félix Faure
le bien nommé, certes). Oui, Leibniz disait la vérité, tout va vraiment pour le
mieux dans le meilleur des monde possibles, cultivons notre gazon pas si maudit
(cf. l’horticultrice saphique Nica Noelle), continuons à jouir sans entraves, à
vivre sans temps mort, à visionner à l’infini, à consommer avec modération, le
spectacle mondialisé de la petite mort sur tous les écrans de la modernité. Bienveillant,
Pornoland nous tend les bras, principalement peuplé des sirènes
virtuelles ; au nom de quoi refuser (remettre en cause, en question) leur
bel appel ?
« Il faut un peu de courage et de liberté
pour pouvoir communiquer honnêtement sur le X » assurait le
signataire ; cette expression-là requiert également un minimum d’indépendance, de distance,
d’absence de connivence. Juge et partie, amphitryon et VRP, clone de Fabrice
del Dongo à Waterloo, avatar d’Emmanuelle Riva à Hiroshima, le scribe placide
enfile les truismes assermentés et les aveuglements (tamisons : la myopie)
d’autodéfense, il prend bien garde à ne jamais mordre la main nourricière, à
exercer un semblant d’ironie, d’esprit critique, de position singulière, apologue soft et sympa, inoffensif et, in fine,
fondamentalement conformiste, dans sa prose et son optique. On se gardera ici
de revenir sur des thématiques développées ailleurs (sur ce blog), en cinéphile, en citoyen, en
marginal cérébral, sentimental, nanti d’un œil, d’un cœur et d’un pénis, l’on
bouclera ce compte-rendu (de lecture), ce reflet (d’écriture) à la fois fidèle
et subjectif, par le rappel du cynisme, du mercantilisme, de la paresse, de la
hideur, de la dérision d’une imagerie nonobstant riche de possibilités, de
beautés, de sourires, de complicités, de noirceurs, d’éblouissements, d’esthétique
et de politique, de dialectique scopique, libidinale et sexuée, pas uniquement
sexuelle, par un appel en écho, en solo, à la révolte, à la mise à sac (à nu)
de l’empire dédoublé de la tristesse, celui du X, celui de l’existence (une
vision tragique de l’être s’autorise la sensualité, congédie l’hédonisme
démagogique). Lorsque nous réclamons, mélancolie, folie, de réinventer le
cinéma (la société, le cosmos, collatéralement), nous visons aussi ce
cinéma-ci, anti-cinéma et horizon des événements (au-delà, la mort). On arrête
cinq minutes de se masturber, au propre, au figuré, on s’y essaie, pour de
vrai ?
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