Fair Play : Violence des échanges en milieu tempéré
« No sport », prétendait
Winston Churchill – rajoutons, dans ce cas-là, no cinema.
Étirement (terme idoine) d’un court
métrage généreusement multi-primé, présent en supplément sur le double DVD, le
bien nommé Squash, Fair Play peine à s’extraire d’un
procédé structurel et narratif à vocation (à prétention) métaphorique, n’y
parvient jamais, en vérité. L’exercice (terme idoine, bis) de style (plutôt de scénario) enquille une série de cinq
séquences fondamentalement indépendantes – exit
la fameuse « progression romanesque » – agrégées en guise de récit,
chacune située dans un espace précis et en illustration d’une activité sportive
particulière. Martine, la gamine-héroïne de BD, déclinait naguère sa vie de
papier pareillement, modulation plus tard reprise par la publicité à « cœur
de cible » féminin (tampons ou protège-slips vous permettront, Mesdames,
de faire ce qu’il vous plaît, où et quand il vous convient, malgré vos
écoulements sanguins). L’aviron, le squash,
le parcours santé, le golf et in fine (littéralement, puisque coda en
accumulation de trépas) le canyoning
deviennent ainsi des ersatz de scènes (double voire triple acception)
dramaturgiques, le lieu identique, renouvelé, de joutes verbales, de dialogues
portés par le corps, dédoublement d’un body
language en sueur, en fureur, pour une allégorie (incarnation de la
représentation) des rapports de force en entreprise, le sport devenu, dans le sombre
sillage d’un Perec (celui de W ou le Souvenir d’enfance, par
exemple), une « extension du domaine de la lutte » (merci à Michel
Houellebecq) des classes, des sexes, des ego, des pectoraux.
L’idée du film, la seule, traduire le
« harcèlement moral » (ou sexuel) au travail, au bureau, dans un
épuisement physique, le délocaliser en plein air, au grand air anxiogène,
tourne vite très court, à vide, dès le premier plan, à vrai dire, qui
accompagne au steadicam deux
protagonistes d’un entrepôt d’accessoires vers le quai ensoleillé. Si Éric
Bialas, opérateur par ailleurs auteur du cadre, à l’ouvrage sur le patchwork du Pacte des loups et moult
insipides produits télévisés, se « démène comme un beau diable » dans
la salle à baballe eugéniste (la technique fantomatique en vitamine de l’essai
récompensé), il ne peut guère insuffler une quelconque vie, encore moins une
âme, à cette bande de requins mesquins, à ce nid (ou nœud) de vipères
impubères, clique pas une seconde crédible de pantins qui se voudraient bien
fassbinderiens (cf. Roulette chinoise). En matière de pertinente peinture sociale
(ou de « jeu de massacre » supposé sociétal), on renverra de
préférence le lecteur, syndicaliste ou non, vers le réussi (téléfilm) De
gré ou de force de Fabrice Cazeneuve. Ancien de M6 (il s’y souciait de
la supervision des fictions), Lionel Bailliu affiche (dans le making-of) une appréciable modestie (un
premier film se nourrit aussi des bonnes idées d’autrui, de « collaborateurs »
plus expérimentés) mais son opus,
outre son ironique désincarnation, souffre d’une rédhibitoire absence de point
de vue (donc de discours), esthétique et politique (je ne sépare pas les deux,
ne vous en déplaise). Dès lors, on se contrefiche du triste sort de ses
fantoches, de l’épilogue immoral dans une piscine plus claire (ou trouble,
selon la perspective) que celle de Suspiria, quand bien même son humour
noir avéré, ou involontaire (médaille de JO à Benoît Magimel en rouquin taquin à
lunettes, à bidoche et polo rose), et sa BO orchestrale inspirée (composée par Laurent
Juillet & Denis Penot) demeurent deux points positifs indiscutables.
Résumons (la partie perdue) : il
ne suffit pas d’assembler artificiellement des instants de dépense d’énergie
pour savoir les filmer, les faire éprouver au spectateur ; quant à
l’inégale distribution (euphémisme fair-play,
ouais), elle révèle sa foncière théâtralité (hormis le délectable caméo de
Jean-Pierre Cassel en golfeur-propriétaire pluvieux, onctueux, incestueux)
durant l’acmé en toc d’un labyrinthe aquatique, anatomique (utérus, le retour)
et mélodramatique, reconstitué du côté de la Tchéquie amie (et à moindres frais
capitalistes, sans doute). Jérémie Rénier, irréprochable en Cloco/Méphisto,
rafle la mise, remporte tout, récolte une jambe estropiée, assène en dernier
mot le titre sarcastique du film – et donne envie de jouer au paintball avec ses propres comparses
professionnels, peut-être même, par pure perversité fantasmatique, avec de
vraies balles…
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