La Terre éphémère : L’Île nue


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de George Ovashvili.


L’auteur connaît-il Kaneto Shindō, Carrie au bal du diable et Le Silence de la mer ? On l’ignore et cela n’importe pas, car son îlot fait écho (en nous), se suffit quand même à lui-même, le cinéma tel un océan d’individualités reliées par le spectateur-nocher. La Terre éphémère (jolie rime explicite, mais son avatar international, Corn Island, possède une saveur bientôt de saison, en sus d’un soupçon de Stephen King, remember ses adeptes juvéniles de secte assassine au maïs) commence et finit d’ailleurs par un homme dans une barque : le premier vient s’approprier un bout de terrain fertile, y bâtir une baraque (réminiscence de Witness), y cultiver une récolte compromise par un orage, y mourir accroché à un morceau de bois ; le second s’apprête à faire la même chose, les mêmes gestes, au même endroit, et la boucle bouclée du drame féminin possède l’élégance de s’achever par un sourire masculin. Cette circularité de la destinée, cette espérance de la renaissance, un objet, un personnage, les relient – une poupée délaissée, submergée, enterrée, d’adolescente devenue femme, dans le sang, l’eau, la brume et le soleil. Au couple premier, orpheline avérée, possible grand-père, viendra brièvement s’ajouter un soldat blessé, recherché, la fable sensuelle et sensorielle sise à la frontière de l’Abkhazie et de la Géorgie. L’homme pauvre, âgé, villageois isolé, entre deux rives, pris entre deux feux (détonations hors-champ à l’avenant), voudrait bien seulement s’occuper de son jardin, en émule de Voltaire, en neutre cultivateur. Tant mieux ou tant pis, il se verra rattrapé par le monde, par les hommes armés, en uniforme, comme la nymphe, nue au bain nocturne, faillant se noyer, devra subir les invitations salaces des troufions de passage.



« Nos douleurs sont une île déserte » disait Albert Cohen dans Le Livre de ma mère, et cependant l’insularité ontologique ne dure jamais longtemps, y compris pour les ermites. Le vieux chêne (solide, fragile) et la jeune fille en fleur (impassible, farceuse), sorte de Noé, de Suzanne, parlent peu, ne parlent pas, le film les inscrit dans un cadre éloquent, faussement apaisant, au trouble édénique, les identifie par leurs activités, leurs regards, leur silence en partage (la barrière du langage ne gênera guère les premiers émois). Film comportementaliste qui se refuse au lyrisme (à peine quelques scansions musicales, un frémissement de cymbales), au panthéisme (surtout celui en mode Terrence Malick), à l’auteurisme (la parabole demeure populaire), La Terre éphémère chorégraphie une laborieuse promesse, un regain incertain (à la Pagnol), avant le paraphe d’un naufrage, d’un retrait précipité : Dieu donne, Dieu reprend, la caméra cadre en hauteur, sinue dans le sillage de la vierge, se pose en panoramas provisoirement pacifiés. Ni Kurosawa (Dersou Ouzala, voilà, voilà) ni Cimino (hunters de deer inclus), Ovashvili signe une aimable élégie, un portrait dédoublé, reconstitué (île de lac, illusion de cinéaste démiurge, faisant, littéralement, « la pluie et le beau temps » de son récit), très contrôlé, suffisamment vivant, pourtant, pour capter l’attention durant une heure trente (pas sûr que l’opus résiste à une seconde vision, probable qu’il en vienne à sombrer, via sa revendiquée simplicité, dans les eaux claires de l’anecdote, de la découverte éphémère, de l’oubli poli). Après tout, l’Ingouri continue à couler, les métrages à se co-produire (participation française) et la lumineuse (quoique taiseuse) Mariam Buturishvili à grandir, avec ou sans l’attachant İlyas Salman…


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