L’or se barre : Le Grand Embouteillage


Les hommes (spécialistes à la Patrice Leconte) qui valaient quatre millions de dollars.


Une comédie very British ? Une réaliste demo reel pour Rémy Julienne ? Un document sur les années 60 finissantes ? Un « film culte » redécouvert via un DVD exemplaire ? Bien sûr et davantage : le titre le plus connu d’un réalisateur emporté par un cancer à la quarantaine (Peter Yates pressenti). Une réussite collective qui doit quelque chose à tous ses collaborateurs. Un divertissement « bon enfant » à déguster en VO avec un sourire constant. Un film foutrement freudien commencé dans un tunnel et terminé au bord d’un ravin utérins (« de l’or en barre », en lingots phalliques, pour tous les psys épris de cinéphilie, d’engorgement d’automobiles-spermatozoïdes). Une réflexion ludique et mélancolique sur la virilité européenne, Michael Caine (alors sans permis, flanqué de son frérot) en étalon (Lelia Goldoni, veuve cassavetesesque vite consolée, harem peu politiquement correct offert par sa chère) libéré d’une prison très masculine (Queen Mother pour queer en costard, Noel Coward et son compagnon s’y collent), plus tendre que « Bond, James Bond » (massacre métallique de son Aston Martin favorite), houspillé par sa mégère apprivoisée grâce à un timide aveu d’amour à demi-mot, l’affrontant à coup d’ours en peluche géant, « cerveau » d’une bande de « bras cassés » in fine émasculés, en suspension-débandade à l’horizontale, dans un autocar conduit par un chauffeur noir hilare surnommé Big William, la coda ironique en relecture de celle, tragique, du Salaire de la peur, autre « film de mecs » (en marcel à la Brando) et fleuron d’homoérotisme motorisé, contre la montre, les mains et les reins dans le cambouis. Une surprenante prophétie de l’actuelle importance financière de la Chine, du contemporain euroscepticisme, une préfiguration implicite du Brexit en affirmation-autodérision de l’insularité anglaise, qui se fichait déjà pas mal du marché commun, le match de foot invisible comme une couverture posée sur le jeu des identités rivales, du défi mécanique infligé aux Ritals, victoire éphémère avant la chute possible, promise, en Alpine ou pas, dans l’écrin enneigé, estival, d’un paysage alpestre.



Et, histoire de rester à l’écoute d’une « symphonie des Alpes », Strauss (pas le même, presque, Johann versus Richard) au Danube bleuté pour accompagner le ballet supprimé (merci à Robert Evans, manitou de la Paramount) des Austin Mini, effectué seulement un an après celui des vaisseaux stellaires de Kubrick au monolithe. Un état des lieux et un avant-goût, sis dans le sillage de la douceur de vivre à la Fellini, les opportunités du « miracle économique » transalpin et avant le réveil amer ou disons le « grand sommeil » des « années de plomb » annoncées-assénées par balle. Un exercice formaliste en Scope où la précision des cadres, leur composition géométrique, le montage à l’avenant, concourent à cartographier un espace routier, carcéral ou urbain, à la surface et jusque dans les égouts (Sigmund, bis) envisagé en gigantesque terrain euclidien de jeux adulte(s), par un grand enfant (placé en orphelinat) amusé par « le plus beau des trains électriques », dirait Orson Welles, reproduction à grande échelle du circuit d’enfance ou d’adolescence, garni de voiturettes et de manettes. Une parabole sur l’échec, plus souriante et légère que chez John Huston, sur le « bien mal acquis » dont personne ne jouit, sur la stérilité d’une « grande idée », d’un « coup » garanti « en Italie », titre original préférable à sa traduction française paresseusement humoristique (au rayon lexical, signalons l’italien de collégien, fautes d’orthographe comprises, de la jolie chanson nostalgique d’introduction). Un patchwork à base de funérailles mafieuses, de cimetière subliminal à la Hammer, de message liminaire et programmatique d’outre-tombe, de caméo du secret Benny Hill en professeur d’asile émoustillé par les filles obèses, de trafic à la Tati, de brève (rencontre) violence de hooligans, de musée archéologique transformé en planque défoncée, d’échos de hasard du Cerveau de Gérard (Oury, who else ?) pareillement sorti en 1969 (« année érotique », certainement, de jeunes femmes en mini-jupes, en tout cas). Oui, tout ceci étonne et charme aujourd’hui, en 2017, parmi un panorama politique obscurci par tout ce que l’on sait, au sein de filmographies nationales appauvries, essorées.



Ouvrez la portière, glissez-vous à l’intérieur de la petite Cooper, attachez votre ceinture et filez à travers Turin, en route vers la Suisse, le fisc aux trousses, à peine plus clément que la mort : ce film-champagne (pas pudding, please) emporte dans son élan, jusqu’au dernier plan dans un désert à la Schaffner (sinistre planète simiesque) ou à la Antonioni (direction Zabriskie) – good job, really, Mister Collinson !...

PS : le trailer du remake ricain avec Mark Wahlberg donne vraiment envie de vomir (à Venise) et de fuir fissa, voilà.             
       

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