Real : Wrong
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Kiyoshi
Kurosawa.
Vrai ratage intégral, Real
souligne les limites d’un style et d’une certaine conception du cinéma. Durant
soixante-quinze longues minutes, on suit (ou subit) l’aventure intérieure
(celle de Joe Dante distrayait davantage, par-delà l’hommage à Dick Fleischer)
d’un homme parti réveiller sa chérie au sein de son esprit (contradiction
lexicale ludique), hybride aux « yeux bridés » d’Eurydice et de la
Belle au bois dormant. Puis survient un twist auparavant supputé à coup
d’indices colossaux, à la finesse éléphantesque (ameublement aseptisé,
environnement inanimé, architecture labyrinthique, grisaille persistante,
transparences hitchcockiennes en voiture) ou en bordure de perception
subliminale (fauteuil de cinéaste contre le canapé dalmatien) : la fausse
endormie rejoint enfin son réel dormeur (du val oriental, un brin rimbaldien)
et tente de le sauver, non seulement de la Mort, qui, comme chacun sait, « nous
programme sur son grand ordinateur » (notez le PC éteint, ici), braillait
naguère Francis Lalanne enrôlé par son brother
de René Manzor pour Alain Delon en plein Passage, mais encore de lui-même,
puisqu’un traumatisme d’enfance affreusement freudien le retient dans les eaux
glacées (« du calcul égoïste », diraient Engels & Marx) de la
culpabilité (deus ex machina de tous
les asservissements, scopiques, politiques et mystiques), à la merci d’un ado au prénom
funèbre (Morio, anagramme très recherchée de Roomi, le héros « positif »
des sombres BD matérialisées dans la diégèse) et d’une créature marine (plésiosaure
en pendentif, variation sur la toupie « prise de tête » de Inception)
lourdement métaphorique, (in)digne des dinosaures drolatiques de Terrence
Malick apparus dans The Tree of Life.
L’ultime quart d’heure, assez
hilarant de ridicule et attristant d’absence d’enjeux (tout finira bien, éveil
dans le soleil inclus), nous inflige l’affrontement de la bête et des amants,
en relecture teen,
« zoophile » (« ménage à trois » à la Jules et Jim), de Jurassic
Park ou The Host (matez-moi ce rafiot censé mettre à jour de manière
réaliste la barque de Charon, à proximité d’une île des morts encore plus
dépressive que celle de Böcklin,
cependant moins martiale que son avatar celtique et psychique dans Avalon).
Doté d’un lyrisme de telenovela, d’un esprit de sérieux risible (évitons de
pouffer lorsque les scientifiques applaudissent au « contact » mental
des deux cobayes, à la réussite d’un protocole à base « d’interface »
et « d’ondes cérébrales » à faire passer la technologie naïve de la
SF filmée US des années 50 pour un sommet de crédibilité, d’intelligence, de
préférence « artificielle ») et d’un glacis formaliste (dans les cadrages,
la lumière, la musique) en cache-misère de sa pauvreté thématique – tourte
étouffante de la permutation de point de vue, plat réchauffé de la « virtualité »,
pain rassis de l’amour plus fort que le trépas, etc. –, Real incarne sa
désincarnation (effet boomerang d’un opus comateux portraiturant un coma), son
vide réflexif (homophonie avec reel,
tu piges, Edwige anglophone ?), son enfilage d’évidences (le cinéma, art
des fantômes et des femmes mortes, des dictateurs blessés, des solitaires en
circuit fermé, « bons à enfermer », bla-bla-bla + mea culpa), ses truismes d’étudiant de la Fémis (le niveau scolaire
primaire, stase-origine du récit, duplique-situe ironiquement la hauteur du
film adulte), dans un couple « d’adulescents » au charisme d’endive,
dont on se contrefiche, à vrai dire, de l’odyssée de chambre (pas une once
d’érotisme, sinon sous la blouse immaculée de la doctoresse à la chevelure et
aux escarpins noirs, devinée un chouïa perverse), de la romance mémorielle
(faute collective maladroitement collée sur l’individuelle, au moyen d’une
imagerie de ruines, réminiscences de Hiroshima ou de Fukushima, voilà, voilà,
sans omettre la grande roue du destin taquin presque empruntée à Carnival
of Souls, possible titre de secours) et sucrée à déconseiller aux
cinéphiles diabétiques ou parvenus à leur majorité.
Le périple immobile, puéril, futile,
qui se voudrait fable, allégorie, mélodrame (heureux, comme les imbéciles),
leçon de psychologie (appliquée) et de cinéma (au carré), se déroule dans un
temps figé à la Marker sur sa Jetée, dans un temps « scellé »
à la Tarkovski sur Solaris, sa planète féminine, symboliquement humide ; on
s’y épuise (en vain, car privé de corps organique) au squash, on pérégrine au club
de gym, on visite un musée (d’histoire dite naturelle, réservoir du passé
préhistorique, fin de l’Histoire, les Adam & Ève nippons réunis en pure
abstraction, totalement à côté, ou « à l’Ouest », d’un quelconque
contexte socio-professionnel avéré, dématérialisation digne d’un film français,
« social » ou pas). Les accessoires citationnels (ou correspondances
en avance) abondent, dès lors marqueurs de la pénurie théorique et narrative, crayon
de Kubrick en apesanteur, votre honneur, grande flaque d’eau domestique à la
Nanni Moretti (celui de Mia madre), murs effondrés (la chute
se fait hors-champ, passe par le son, par un panoramique à la Carpenter)
singeant la décrépitude poesque de Roderick Usher, pistolet assourdi chipé à eXistenZ,
miroir incontournable, caricatural (Kurosawa regarde sa propre filmographie,
Narcisse autarcique) et gros plans granuleux du spectre en marcel (vade retro, Brando), en écho à l’œil
dilaté (anus visuel en rime au puits
matriciel, pérorent les psys) de Ring (jamais prophète en son pays, indeed). Un chromatisme ponctuel à la
Edgar Reitz (Heimat mon amour) ou Steven Spielberg (Petit Chaperon
d’extermination dans La Liste de Schindler) –
drapeau rouge planté dans la mer métallique, fleur parme sur une table de bar –
éclaire brièvement des trajectoires sur les rails (de travellings) d’un imaginaire de couloirs (spécialité de l’horreur,
mon saigneur, cartographie familière des coins cornus, des angles foutrement morts,
des points aveugles aux yeux crevés), dans lequel errent (souvenir refroidissant
du très gonflant Les Revenants) une mère remariée, MILF à la Colette, en sus de deux
ou trois « zombies philosophiques » (ne riez pas, please).
Tout, c’est-à-dire presque rien, si
peu, mes aïeux, se résume au final à un double accident, de maladresse-ivresse
aquatique, à un cas de harcèlement scolaire (tu ne fouetteras pas ton « petit
camarade » qui, peut-être, apprécie secrètement cela, surtout au
territoire du bondage), à une
paranoïa de plagiat (ne me volez pas mon manga inédit, implore le Phantom
démasqué, pas encore rendu au Paradis de l’Empereur démis), une bévue de nécrologie
impromptue, signes du cynisme capitaliste généralisé, de l’exploitation
d’outre-tombe (oh, la « société » me fait trop mal, je me retire en
moi-même), à une paix du cœur (baume de l’heuristique) et à un partage de pardon
(christianisme délocalisé), grâce aux bienvenus hauts faits, à la douce pugnacité
d’une super-héroïne en coda de pietà.
Kurosawa bis, outre commettre un
mauvais film (« crime » mineur, fort répandu, en vérité, péché audiovisuel
véniel), confond rêve et cinéma, en délivre une équivalence explicitement et
didactiquement formulée par une ligne de dialogue, erreur d’écolier, de
planqué, de magicien miraud et mesquin faisant mumuse avec ses effets spéciaux
de minot, voire de parvenu. Ah, ma bonne dame, heureusement que les métrages, y
compris dramatiques (double acception), nous consolent de nos vies pas si
jolies, nous dépaysent, nous sentimentalisent, nous rendent à notre « humanisme »,
à notre humanité, pensez le bazar que cela mettrait, si à l’occasion il nous
venait la tentation de tout détruire, et en priorité l’ordre « castrateur »
de l’univers, ou simplement, modestement, à son échelle singulière, de tout
questionner avec une lucidité sauvage, dynamique, mélancolique, de refonder le corpus spéculaire (défiguration de la
figuration et inversement, a fortiori
après l’irreprésentable verbalisé d’Auschwitz) de « l’être-là » muni
du marteau nietzschéen ou d’une claire caméra obscura.
J’entends d’ici, de ma cellule à la
Caligari, à la DiCaprio, les objections des belles et bonnes âmes, éprise de « citoyenneté »,
de « décence » et de « cinéphilie » (au secours), ces
dernières me parlant de Wes Craven ou de David Lynch, alors que le premier,
cinéaste foncièrement politique, sonda d’abord, sous le voile léger de
l’onirisme nocturne et griffu, le cauchemar américain, à Elm Street (JFK défile
dans sa Lincoln de corbillard) et ailleurs, explora la scène mentale (« primitive »)
des abominations familiales, de la mauvaise conscience sociale, tandis que le
second, artiste essentiellement satirique, « dévoya », avant de se
convertir aux délires de la Méditation transcendantale, l’Americana de Norman Rockwell, sut avec une maestria plastique et
sensorielle en révéler la « part maudite », cruelle, rationnelle dans
son insanité. Le rêve, ce terrain (à louer, à commercialiser) surfait, sinistré (qui dit à l’instar du
sexe ?), ne représente, au mieux, qu’un carburant immanent, un matériau d’occasion
ou un prétexte permissif (il permet de quitter, le temps d’une œuvre, tels les
amoureux de Peter Ibbetson, l’espace-temps euclidien, de se retrouver en supposée
liberté au royaume quantique, champ des possibles à la profondeur de champ
quasiment infinie) pour alimenter le cinéma, les deux expressivités un peu vite
estampillées en « langages » (quant à leurs « économies »
respectives, avec ou sans jeu de mots, elles se dissocient d’elles-mêmes, sans
que l’on y revienne) cohérents, articulés, normalisés (« l’obsession »
d’une insaisissable « normalité », le souci pathologique d’une praxis
curative, sinon eugéniste, hante le discours psychanalytique, en constitue le « contenu
latent », le fonds de commerce conservateur à peine masqué sous son
attirail de farces et attrapes « scandaleuses »).
On ne fait pas des films avec ses
rêves, même en s’appelant Buñuel, et nul ne rêve sa vie, même si la « vraie
vie » participe aussi d’une mythologie, personnelle et à plusieurs. On
écrit avec son sang (nous souffle Zarathoustra) et on cadre (avec) son cri
(renchérit Munch). Pire, KK, en VRP de la vulgaire vulgate du Sigmund au cigare,
réduit la création à de la « sublimation »,
à un recyclage cathartique, dissimulation dessinée du sacro-saint trauma, origine de l’art, du « septième » ou
« huitième » idem,
explication ultime valant pour toutes les autres (les fascistes soft ou hard se cament au sens, raffolent du « message », se
goinfrent de la moralité, unicité dernière de ce que l’œuvre veut dire, de ce qu’elle signifie, en lien, si possible, avec la
biographie de l’auteur, dorénavant son « orientation sexuelle », cf. la crasse
crétinerie des interprétations esthétiques selon les lobbyistes branleurs de la « théorie
du genre » ; l’idée d’une polysémie en métamorphose constante, d’une
absurdité pertinente et impertinente, d’un jeu de formes, de sensations, de
motifs musicaux ou intellectuels leur échappe entièrement, leur donne des Sueurs
froides, actuel totem de la doxa critique, auteuriste, qui, ne leur en
déplaise, prête également à sourire, notamment et justement lors de la scène de
rêve vertigineux, où James Stewart étêté arbore une étonnante crête capillaire
aryenne à la Flash Gordon). Oui, Kiyoshi, tu oses, en artiste, là réside ton
impardonnable forfait, nous resservir la soupe pâteuse, plâtrée, insipide, de « l’inconscient »
(du « subconscient », disent les sous-titres, énonce-t-on
outre-Atlantique), brume à la Stephen King, évanescence de suppléance (Dieu
mort, la Sainte-Trinité enterrée, il faudrait désormais se farcir le Ça, le Moi
et le Surmoi, leur triple ersatz laïque, sans même parler de
l’instrumentalisation d’une religion par un terrorisme de saison), hypothèse
balèze nous dispensant de l’épuisante conscience, de l’affolant libre arbitre
(Alex DeLarge jubile, « guéri », élargi, oh oui, chérie).
Real, placé sous le signe de l’eau (pareil
au Psychose
III de Perkins, so), se
néantise au niveau zéro (voyez sa ville dissoute, « poésie »
publicitaire de CGI, en matière de peinture, on renverra plutôt vers Pialat),
s’aplatit aux poncifs nationaux du surmenage, du suicide (peu importe s’il les
conjure in extremis), invite,
définitivement, à voguer Vers l’autre rive, précédemment loué
par nos soins (sans rancune, donc) ou, pourquoi pas, pour les plus « pervers »,
vers la prison psychogénique et SM de The Cell, « kitscherie »
fantasmatique (néanmoins appréciée par un Roger Ebert) en matrice apocryphe, JLo
versus D’Onofrio par Tarsem dans le désert de la maltraitance infantile paternelle,
ce qui nous ramène à Stanley K., cette fois à l’Overlook, Shining en étalon
(impuissant) du « film-cerveau » dans le sillage de Vidéodrome,
faux distique et vraies réussites, « pour le coup » (de fouet ou de
batte de baseball) à propos de
couple, de création, de présence des cadavres intimes dans nos vies miroitées
ou brisées de spectateurs, voyeurs ou évasifs, complices et rétifs – sors-toi
(moi) de là, camarade rétrograde, de l’hôtel, du labo, de la salle et de ton
crâne !
Quel film formidable ! Une belle exploration de l'inconscient : http://bit.ly/2o3LSH2
RépondreSupprimerFormidable ou affligeant, suivant la perspective et le divan.
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