Pay the Ghost : Little Children
Charlie sans chocolaterie, carnaval infernal, culpabilité de paternité…
Le père frémit, il presse son cheval,
Il tient dans ses bras l’enfant qui gémit ;
Il arrive à sa maison avec peine, avec angoisse :
L’enfant dans ses bras était mort.
Goethe, Le Roi des Aulnes
Délesté d’une sortie en salles
hexagonales, réservé à la VOD, Pay the Ghost (Uli Edel, 2015) s’apparente,
en effet, à un affreux téléfilm fantastique inoffensif, comme en produisent/diffusent
« à la pelle » les spécialistes cyniques de la stakhanoviste Syfy,
aïe. Cette transposition d’un bouquin de Tim Lebbon, Britannique prolifique, se
caractérise par son insipidité, son aspect désincarné, formaté, prémâché, par ses
effets spéciaux et ses jump scares au rabais, ressassés. Côté casting, Sarah Wayne Callies, venue de
la TV, on le devinait, s’avère inexistante, transparente, écrasée par un rôle
de mère endeuillée, d’épouse séparée. Quant à Joseph LoDuca, compositeur mineur,
mais estimable, cf. ses partitions pour Sam Raimi (Evil Dead 3, 1992),
Christophe Gans (Le Pacte des loups, 2001) ou Stephen Kay (Boogeyman, 2005), il manie
le minimum syndical, voire spectral,
d’acoustique anecdotique. Derrière la caméra se tient le Teuton Uli Edel, issu
lui aussi du « petit écran », vers lui vite retourné, en dépit
d’incursions-adaptations d’occasion, par exemple celles de Moi, Christiane F., 13 ans,
droguée, prostituée… en 1981 et de Dernière Sortie pour Brooklyn en
1989. À la suite de l’historique et terroriste La Bande à Baader (2008),
amitiés à la cara Martina (Gedeck), après le dispensable Houdini (2014), incarné,
sinon dénaturé, par Adrien Brody, Edel délivre donc un récit de disparitions
enfantines, sises à Halloween, à la dimension méta assez sympa, puisque Nicolas
Cage interprète un professeur de faculté, sur le point d’être titularisé, expert
en littérature « impure », Irving, Lovecraft, Stoker, Poe and Co. autopsiés par ses soins point
malsains, à destination d’un public complice, dont une étudiante taciturne, presque
sexy, en diablesse à la dear Traci (Lords).
Gare à Goethe, néanmoins, la lecture
animée du Roi des Aulnes, bientôt revisité par Carter & Tournier, en
présage forcément funeste du reste. La masculinité du poème, reprise par
l’auteur allemand selon sa version de la légende du Joueur de flûte de Hamelin,
autre histoire de sombre ravissement vengeur, retravaillée par les Grimm &
Mérimée, mise en images par Jacques Demy (The Pied Piper, 1972) & Atom
Egoyan (De beaux lendemains, 1997), se voit ici évacuée, tant pis pour
les exégèses sexualisées de la psychanalyse perverse. Annie aime peut-être les
sucettes, surtout à l’anis, Gainsbarre se marre, elle veut avant tout, telle sa
consœur en feu et en fureur du Masque du démon (Mario Bava, 1960), prendre
sa revanche sur son infinie souffrance, celte pseudo-sorcière de naguère, jadis
brûlée vive, en compagnie de ses petits, par une foule insensée, par la grippe et
la superstition déréglée, évocation évocatrice à la The Village (M. Night
Shyamalan, 2004), depuis quatre siècles revenante peu marrante, jamais
clémente, bien décidée à (se) faire
payer (par) les habitants de Manhattan, via
leurs descendants, hélas innocents. Au cours de son parcours, au creux des
ténèbres conradiennes de la « vie réelle », l’enseignant croise des
SDF à la Carpenter (Prince of Darkness, 1987), un médium au féminin, fissa secoué,
cramé, choc de la « combustion spontanée », du cadavre évidé,
incendié, des participants avenants, d’obscure cérémonie à la Midsommar
(Ari Aster, 2019). Pendant ce temps, sa Kristen se scarifie, ne se sacrifie,
conduit la quête, oriente l’enquête, grâce au symbolisme ésotérique, écarlate,
tracé au couteau maso, au-dessus de son poignet, olé. Finalement, tout finit
bien, sauf pour la collègue archéologue de Nic, futée, défenestrée, empalée,
possédée, surprise sinistre, glissée au milieu du générique conclusif, à vol de
vautours de désamour.
On le voit, tout cela, outre « parler »
de près à chaque responsable parent, redoutant, évidemment, la perte de son enfant,
pouvait viser le divertissement troublant, in
extremis rassurant, Cage relooké en émule
de musicien désormais magnanime, en père héroïque, à fiston amnésique. Pourtant
Pay
the Ghost, en raison des raisons énumérées supra, ne risque pas une seule seconde de renverser ni de
réinventer Ne vous retournez pas (Nicolas Roeg, 1973). Il parvient quand
même à créer un climat de métropole maudite, somnambulique, de mélancolie
morbide, de festivités funèbres, qui remémore en mineur une fameuse séquence
masquée du Chant du Missouri (Vincente Minnelli, 1944), parenthèse
d’acidité, instaurée au milieu du royaume sucré. Bien éclairée par Sharone Meir
(La
Dernière Maison sur la gauche, Dennis Iliadis, 2009, Whiplash,
Damien Chazelle, 2014, Le Cercle : Rings, F. Javier
Gutiérrez, 2017), bien escortée par la fréquentable Veronica Ferres (Paganini,
le violoniste du diable, Bernard Rose, 2013 ou Salt and Fire, Werner
Herzog, 2016), le mystérieux Stephen McHattie (A History of Violence,
David Cronenberg, 2005, Pontypool, Bruce McDonald, 2008, Death
Wish,
Eli Roth, 2018), le convaincant Lyriq Bent (Skinwalkers, James Isaac,
2007 ou Mother’s Day, Darren Lynn Bousman, 2010), la performance plurielle
de l’aimable Nicolas survit à tout ceci, traverse l’ensemble et les apparences,
avec une sincérité digne de respect. L’acteur dépourvu de peur (du ridicule),
déguisé en cow-boy de macadam, salut
à celui de Schlesinger (Midnight Cowboy, 1969), forme avec
son gosse de ciné, juste Jack Fulton (Neverknock, Sheldon Wilson, 2017), lui-même
vidéaste « pirate », un couple improbable, discrètement poignant.
Le meilleur moment du métrage se
déroule durant la découverte de la maisonnette suspecte, une fois franchi un
pont en sous-sol de cimetière, suspendu au-dessus de l’au-delà dépressif, Fulci
s’en fiche (...E tu vivrai nel terrore! L’aldilà, 1981). Croyez-le ou pas,
quelque chose de la Shoah passe par là, parmi la masse de gamins et gamines
immatériels, livides, aveuglés, grisés, muets, pauvre main levée en vain, à
l’appel du prénom personnel. Dans La Liste de Schindler (1993), Steven
Spielberg osait filmer une douche, de surcroît une vraie, Claude Lanzmann ne
lui pardonna pas ; il s’autorisait itou à cadrer en couleur un Petit
Chaperon rouge de gros ghetto, promis à être dévoré par un Grand Méchant loup dénommé
Amon Goeth. Dans Pay the Ghost, Cage le sauveur redonne littéralement des
couleurs aux trois mioches pas moches. Si le massacre industriel, essentiel,
invisible, irréversible, demeure paraît-il « irreprésentable »,
excède et anéantit la mimesis, ou minore les puissances de la représentation,
débat toujours d’actualité, plus de soixante-dix ans après, alors reviendrait
au cinéma dit d’horreur la mission précieuse d’en proposer un simulacre sorcier,
sens duel. À son insu, l’item d’Edel,
médiocre, anémié, manquant d’âme(s), un comble, ainsi acquiert, de manière
éphémère, une inespérée grandeur, à cet instant et pas ailleurs.
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