Où est la maison de mon ami ? : Adresse inconnue
Suite à son visionnage sur le site
d’ARTE, retour sur le titre d’Abbas Kiarostami.
Conte de cahier, histoire de société,
fable d’enfance, parabole de pédagogie : « sur tous les tableaux »
Kiarostami réussit, car il ne sacrifie au pictural, ne s’avère jamais scolaire.
Opus majeur, tramé en mineur,
consacré, pas seulement, à des mineurs, doté d’un regard, d’un cœur, davantage
documenté que documentaire, Où est la maison de mon ami ?
(1987) déploie durant quatre-vingts minutes épurées son suspense modeste, sincère, aspectaculaire, ses personnages, sinon
ses paysages, d’un autre âge, sa sensorialité rude, tendre, d’un Iran advenu au
présent, redevenu présent. La beauté de chaque plan, de chaque enfant,
caractérise ce métrage acclamé, à succès, dont le réalisme s’autorise, pendant
sa dernière partie, déroulée de nuit, un filigrane fantastique, qui renvoie d’évidence
vers les récits d’ici, d’autrefois, puisque toutes les cultures, surtout au
ciné, se réfléchissent en reflets familiers, par définition renversés. Petit
Poucet têtu, le gosse studieux, altruiste, déterminé, un peu triste, décide
donc de rapporter à son camarade sur le « siège éjectable » son bien
ressemblant tant au sien. Pour accomplir sa mission d’insoumission, il va
devoir désobéir, démissionner, quitter aussitôt la maisonnée, s’aventurer au
sein du village voisin, demander son chemin, revenir en vain, au point de
départ désormais venté. Un fondu enchaîné, l’unique du titre, nous amène au
lendemain, nous ramène en classe. In extremis, tout finit bien, l’instit
félicite, la fleur s’affiche. Auparavant, la maman impérative, en pleine
lessive, posait sa main sur la tête de son fiston à l’appétit coupé, contrarié,
au bord des larmes, en train de travailler, de l’observer en train de décrocher
son linge immaculé, agité.
Dans Où est la maison de mon
ami ?, périple de poche, au picaresque tempéré, animé par des
« acteurs du réel », dépourvu de « professionnels » (de la
profession, Godard se marre), on aperçoit des portes, on en parle, on en passe,
on en paie, on en répare, on en pose, on y appose en surimpression le générique
incipit. Marilyn Chambers voltigeait Derrière
la porte verte (Artie & Jim Mitchell, 1972), notre Gavroche du Shah,
ou presque, cherche une porte bleue, tant pis pour le précité blue movie.
Tandis que des baskets suspectes reliaient jadis le sadique, le flic, de La
Corde raide (Richard Tuggle, 1984), les célèbres bandes mondialisées d’Adidas
différencient les godasses des petits. En écho à Julien Duvivier (Poil
de Carotte, 1932) & Jean Vigo (Zéro de conduite, 1933), à Roberto Rossellini
(Allemagne
année zéro, 1948), Charles Laughton (La Nuit du chasseur, 1955),
Luigi Comencini (L’Incompris, 1966), Maurice Pialat (L’Enfance nue, 1968)
& François Truffaut (L’Enfant sauvage, 1969), à la
« trilogie » de Bill Douglas (My Childhood, 1972, My
Ain Folk, 1973, My Way Home, 1978), liste
cosmopolite, impressionniste, un brin « auteuriste », subjective,
tout sauf exhaustive, Abbas Kiarostami, en simultané mais a contrario des années 80
molto « pédos », voir le versant étasunien, magnifie ses minots,
immortalise leur candeur, leur labeur. Du côté des adultes, un calme tumulte,
des femmes actives, des hommes assis, des figures fatiguées, des muets
sourdement menaçants, cf. le père solitaire du protagoniste, obsédé de radio, à
transformer le Torrance de Shining (Stanley Kubrick, 1980) en « papa-gâteau ».
Deux ancêtres dialoguent à distance, jouent le jeu dangereux de la nostalgie, (im)mobile,
volubile, dissertent d’une éducation à coup de répétitive punition, assez
malsaine, administrée par quinzaine, peu importe l’absence de faute du coupable
familial, de la ville attractive, convoitée, à éviter, Gepetto en duo pour
vrai-faux Pinocchio.
Film linéaire, point austère, film
réversible, je pense aux panoramiques inversés, à la colline en Z, à son
sommet, un arbre tarkovskien, à la fois arpentée puis dévalée par le
marathonien iranien, Où est la maison de mon ami ?
associe ainsi une réalisation millimétrée à une respiration conservée, en
apparence contradiction, en vérité consécration, démonstration d’une
stylisation disons d’immanence, de la capacité du ciné à s(t)imuler l’existence,
enregistrée, reconstituée, à faire ressentir la mystérieuse sensualité de
l’instant, au moment même où il s’évanouit, se dilue dans le fleuve vide,
valeureux, de la vie. Lorsque le gosse obstiné, flanqué d’un guide guère
lucide, se retrouve devant la maison déjà vue, on se surprend à (re)penser à L’Antre
de la folie (John Carpenter, 1995), à son ironique dédale rural, nocturne,
motorisé ; au fond, à trop marcher, rouler, on court en effet le risque de « tourner
en rond ». L’assureur de Carpenter, on s’en souvient, essayait, en vain,
d’échapper à l’horrifique fiction d’autrui, alors que le gamin de rien, sorte
de Thésée aux chaussettes trouées, devient in
situ, in fine, le héros
piccolo, avéré, de sa courte odyssée enracinée, esquive un clébard invisible,
tel un matou relou, sorcellerie sonore, dépasse une espèce de rosace
surréaliste, ombre au royaume des ombres, qui ne renonce, ne succombe. Ouvrage
d’inadvertance, d’endurance, de résistance, voire de résilience, Où
est la maison de mon ami ? doucement dément sa morale patriarcale,
formulée par le grand-père édenté, d’obéissance bornée, dénoue son drame
infime, intime, via une astuce audacieuse,
généreuse, logique, symbolique, correspondance des apparences, pantalon ou pensum. Film poétique dédié à un poète, film
politique rempli d’éthique, « course contre la montre », contre le
monde, émouvante, décevante quête parfaite, fraternelle, entre frères, il se développe
avec Et
la vie continue (1991), Au travers des oliviers (1994) – on y
reviendra fissa.
Hommage sensible à la jeunesse, à la générosité fraternelle d'un film de tous les instants stimulant.
RépondreSupprimerJulien Doinel :
Y'a presque plus de chaussette autour de ma paire de trous !
Albert Rémy, Les Quatre Cents Coups (1959), écrit par Marcel Moussy
https://jacquelinewaechter.blogspot.com/2018/02/balzac-doinel-portraits-de-jeunesse.html
Portrait(s) en parallèle inspiré, inspirant, respirant le bord de mère pas si amer...
RépondreSupprimerLéaud en trio :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/07/entre-ciel-et-terre-le-cinema-de-julien.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/12/le-pere-noel-les-yeux-bleus-le.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/01/alien-crystal-palace-le-jour-et-la-nuit.html