Xanadu : Kelly’s Heroes
Exécrable, excrémentiel, à excommunier ? Pas exactement : expositions,
explications.
So
let’s dance through all our fears
War
is over for a bit
The
whole world should be moving do your part
Cure
a lonely heart
Kylie
Minogue, Your Disco Needs You
De Kane le caveau devient illico une boîte disco. Films
mortifères, Citizen Kane (Orson Welles, 1941) et Xanadu (Robert Greenwald,
1980) partagent un toponyme, un esprit de déprime, un feu de final. Le magnat
des médias rêvait de transformer sa maîtresse médiocre en diva, elle possédera d’ailleurs
son propre établissement nocturne, nommé El Rancho, Dio mio. Sonny Malone,
sinon Bugsy, comme au milieu des mômes d’Alan Parker (1976), peintre dépité, accomplit
encore mieux, car il rencontre une muse (murale), au sens littéral du terme, en
la personne d’une mystérieuse patineuse, belle et providentielle, appelée Kira,
voilà, voilà. En vérité, il s’agit d’Olivia (Newton-John), vraie
chanteuse/danseuse, issue du saisissant succès de Grease (Randal Kleiser,
1978). Exit Bernard Herrmann, addio à
son Salammbô
sado-maso, aria sympa, en français trafiqué, merci Racine, auquel se substitue
le tandem John Farrar & Jeff
Lynne, aux compos écoutables. Peu avant les duos éclectiques de Electric
Dreams (Steve Barron, 1984), autre récit disons de métissage
impossible, voici ceux de Xanadu, notamment le numéro de la
valeureuse et survivante Olivia, ici au bras du « légendaire » Gene
Kelly, alors dans son dernier rôle, clin d’œil inclus, doté de parapluies, de Suddenly
(ONJ & Cliff Richard, doublure vocale de Michael Beck) à Chantons
sous la pluie (Stanley Donen, 1952). Les deux artistes s’apprécient, se
respectent, ceci se sent, leur donne de l’élan. Tel naguère Fred Astaire chez
Vincente Minnelli (Tous en scène, 1953), Kelly incarne un type has-been, une célébrité à présent
dépassée, sa clarinette remplacée par le BTP. Co-chorégraphiée, co-réalisée par
le principal intéressé, shootée en plateau fermé, une fois le tournage du reste
terminé, placée sous le signe de la transmission, de l’émotion, la séquence
spectrale, aux surimpressions mentales, prend acte de la disparition d’une
certaine forme de « comédie musicale », de formation orchestrale, bye-bye aux big bands, rend hommage via son filmage, sa confection « à
l’ancienne », sereine, aérienne, allez, ballet découpé de caméra
souveraine, accordé à celui du couple improbable, pourtant impeccable.
Si la nostalgie de Grease
(re)jouait sur les « jours heureux », à la Happy Days, Xanadu
se souvient des forties, cf.
l’uniforme de Mademoiselle Newton-John. D’une période aux prochaines, il faut
une femme qui vous inspire, à proximité du pire, et contrairement aux pauvres hommes,
les déesses ne vieillissent, elles peuvent même revenir (sur Terre) in extremis,
en serveuses malicieuses. Bien plus tard, pendant l’inauguration du club, aux allures de géant billard, Xanadu
ose entrecroiser Rollerball (Norman Jewison, 1975) et L’Âge de cristal (Michael
Anderson, 1976). En 2020, le spectateur auditeur, assez sidéré, assiste subito à une cérémonie secrète, à une
sorte de happening en direct, à un patchwork psychédélique, de styles et de
rythmes, certes délestés de la folie furieuse de la coda mélodramatique, yes indeed, du phénoménal Phantom
of the Paradise (Brian De Palma, 1974), davantage satirique, moins
ésotérique. Risible et sublime, (re)lisez ma prose à propos de l’opus de Kleiser, la scène séduit par son
énergie, chamboule par la houle de sa foule. Multiple et lisible, y compris
déployée en trinité seventies de split screen, l’action s’accumule, le
mouvement se maintient de lui-même. Au sein de cette centrifugeuse audacieuse,
les figures s’effacent face à la star
Terpsichore, en effet « olympienne » et précédée par un X (fluo) extrême,
à suffoquer le Scarface (1932) de Howard Hawks. On pourrait reprocher au
réalisateur débutant son évidente maladresse, son amateurisme manifeste, les
spécialistes ne s’en privèrent, aujourd’hui, hier, cependant il s’en sort de
manière intéressante, surtout soumis à la pression du studio, because calendrier de sortie de six mois
avancé, il ne dessert les dess(e)ins de Kenny Ortega, bientôt au boulot sur (l’électro-vidéo)
Coup
de cœur (Francis Ford Coppola, 1982) ou Dirty Dancing (Emile
Ardolino, 1987).
Une discrète ivresse irrigue ces travellings arrière, tandis que la
finale fixité en plongée, sur l’étoile colorée, renvoie bien sûr vers
l’érotique géométrie de Busby (Berkeley, who
else?). Jewison délivrait une dystopie sportive et violente, réactivation
des jeux du cirque antiques, au fascisme cette fois-ci médiatique. Anderson
donnait une contre-leçon de jeunisme eugéniste, sur fond de sacrifice, motif
récemment retrouvé dans le « désastre » de Cats (Tom Hooper, 2019), par
conséquent réinsérait, revisitait la vieillesse, pas celle de Kelly, presque.
Flanqué d’un futur indéterminé, pourvu d’un DP expérimenté, Victor Kemper
collaborateur de Cassavetes (Husbands, 1970), Sidney Lumet (Un
après-midi de chien, 1975), Elia Kazan (Le Dernier Nabab, 1976),
Robert Wise (Audrey Rose, 1977) ou Richard Attenborough (Magic,
1978), par la suite reconverti en documentariste, Greenwald documente des
deuils démunis de douleur, dont celui de Los Angeles, de son architecture
désormais modifiée, par exemple l’exemplaire Pan-Pacific, auditorium funérarium, incendié en série durant la décennie,
définitivement rasé douze ans après. On s’en aperçoit, le projet opportuniste,
pseudo-socio (la vie à Venice, vouais), des épiciers, pardon, des producteurs
Gordon & Silver, propose une alternative au revival, une moralité de ténacité, où Eurydice, relookée en rollers, à l’instar de sa consœur de BD Dazzler,
sauve à deux reprises son Orphée dédoublé. Fracassé par la critique, repoussé
par le public, qui nonobstant en adouba la BO, renié par Universal, le très
financé, en partie improvisé, Xanadu lutte contre la nécrophilie,
l’ennui et l’entropie avec tous ses moyens à lui, ses atouts limités, les
défauts de ses qualités, voire l’inverse, ses acrobates de barnum patraque et
ses jolis jongleurs dérangés en rangées.
Mentionnons en sus, à destination des
amateurs, une aimable animation, rotoscopée, pas ratée, de Don Bluth, longtemps
avant les aventures maritimes du Monde de Nemo (Andrew Stanton, 2003)
et de Ponyo sur la falaise (Hayao Miyazaki, 2008). Signalons de
surcroît, aux volontaristes de la « diversité », la représentativité very US, comprendre cosmopolite, « pluriethnique »,
des neufs muses concernées, amitiés à la mémorable Sandahl Bergman, déjà jaugée
dans All
That Jazz (Bob Fosse, 1979), gaffe à l’infarctus, sous peu sculpturale (et in fine cramée) compagne
de Conan
(le
Barbare, John Milius, 1982). Matrice apocryphe du Choc des Titans (Desmond
Davis, 1981) et de Tron (Steven Lisberger, 1982), puisque le Ciel de Zeus
ressemble à un logiciel de solitude, d’autarcie, le conte recalé, mal-aimé,
hormis par des cinéphiles « orientés » vers l’homosexualité,
supposons sensibles à l’ensemble, à sa sentimentalité assumée, à sa festivité
attristée, aux lyrics précis de All
Over the World (« We’re gonna hit the night down in gay Paris »),
le métrage d’un autre âge démontre par le son et l’image qu’un véritable
ouvrage, estimé estimable ou lamentable, fonctionne de façon autonome, en
mécanique organique irréductible à ses intentions, aux conditions de son
élaboration, à sa réception. Confessons-le fissa : on se fiche des
fastidieuses analyses (littéraires) mécanistes du structuralisme, dommage pour
Roland Barthes ; on se contrefout du « camp », du
« culte », du « kitsch » et tutti quanti ; on cède bien
volontiers le recyclage, le cynisme et la stérilité de l’épuisante-épuisée
« post-modernité », pas seulement au ciné, à Tarantino and Co. À base de visionnages (des songs) et de témoignages (d’équipe, tant
pis pour l’absence de l’Australienne), ce (pré)texte ne vise ni à réhabiliter –
Zola n’écrivait pas sur le cinéma – ni à favoriser un film de facto imparfait.
En 1956, Alfred Hitchcock
transcendait Doris Day, mater dolorosa donnant de la voix, en pratiquant l’auto-remake exotique, « opératique », inspiré, inspirant, de L’Homme
qui en savait trop. À défaut de transfigurer Olivia Newton-John, elle
le fit herself, dans la foulée, a fortiori en affirmant la féminité
« féministe », sexualisée, explicite, de Physical, l’excessif Xanadu
défie le temps qui passe, nous (tré)dépasse, impitoyable et pitoyable. En dépit
d’une volonté affichée de fusion, au risque de la confusion, il illustre une
césure impure, symbolisée par la schizophrénie acoustique et chorégraphique de Dancin’ ;
il se revendique de la « magie », celle de la mythologie, celle d’un
mariage, d’une maternité ; il repeint le réel, molto « à la truelle »,
fantasy fraîche et défraîchie à la Demy,
plutôt piètre Parking (1985) que fort Les Demoiselles de Rochefort (1967),
d’accord ; et, last but not least,
il carbure à la mélancolie ludique du disco, ABBA ne me démentira pas. Si le
(trop) chou Xanadu échoue, il le doit, au-delà des modes immédiatement
démodées, des avis différenciés de nos subjectivités, au sujet de l’item, de sa musique, de son script, à la nature interne d’un art
funéraire, sachant cependant simuler le solaire, stimuler le sensoriel, Pagnol
opine, même au moyen du mirage de La Belle Meunière (1948), biopic pathétique. En résumé, le drame
de la comédie musicale repose sur ses fondations de mélodrame, et les
réussites, parfois magnifiques, de l’imagerie amie, sur laquelle j’écrivis aussi, sorry, savent s’appuyer
sur ces tonalités opposées, les inviter à dialoguer en duo, élaborer le beau,
oblitérer le trémolo. La nécessité nietzschéenne de « danser sa vie »
dissimule en sourdine une conscience lucide, voisine du suicide, de la laideur,
de la lourdeur, du manque de cœur et de chœur. Raison supplémentaire pour ne
pas (se) laisser faire, alléger la chair, à la lumière de la « pensée de
midi » camusienne, idéale, estivale, sensuelle et point hédoniste, adulte
et point dépressive.
Depuis quarante ans, n’en déplaise à
ceux qui le maudissent, le ridiculisent, Xanadu « fait un bien fou »,
Olivia Newton-John dépose son baume, en tout cas auprès de milliers d’anonymes,
que je m’interdis, vacciné contre pareil mépris, de considérer comme des
crétins, de surdité atteints, portés sur les « plaisirs coupables »
et les réunions régressives. Tel le radical Youkali de Kurt Weill
(& Roger Fernay), à l’unisson de l’asiatique Shangri-La de Frank Capra (Les
Horizons
perdus, 1937), Xanadu n’existe pas, n’existe qu’au cinéma, en moi, en toi,
en tant que mise en scène méta, mausolée américain aux couleurs criardes, aux
costumes immettables, où tomber amoureux, où se trémousser à deux, où, ensemble
et individualisés, imaginer l’immortalité, l’éternité, d’un fragile et fugace
fantasme filmé, CQFD.
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