Les assassins sont parmi nous : The Good Doctor
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de
Wolfgang Staudte.
Hildegard Knef fréquenta un nazi à la
tête de la Tobis, Wolfgang Staudte joua dans Le Juif Süss (Veit Harlan,
1940), d’ailleurs déjà décoré par le même Otto Hunte : par conséquent, on
pourrait supposer que Les assassins sont parmi nous
(Staudte, 1946), appréciez, au passage, la référence transparente à Fritz Lang,
au titre d’origine, illico recalé, de
M
le maudit (1931), représenta pour les trois intéressés un sorte
d’exorcisme intime, d’expiation de saison, à tout le moins d’examen de mauvaise conscience transposé.
Le mea culpa, l’URSS connaissait ça, très portée sur la dite autocritique,
particulièrement celle de ses soi-disant opposants, du peuple déclarés ennemis,
fissa déportés en Sibérie. Au lendemain de la débâcle d’un régime mortifère,
censé être millénaire, il convenait donc d’éduquer, voire de rééduquer, la
masse citoyenne, cinéphile, au mieux irresponsable, au pire coupable. Alors les
cocos créèrent la DEFA, bientôt propriété de la RDA, la didactique
dénazification débuta, tandis qu’à l’Ouest, les Américains misaient sur le
marché, sur la massive diffusion de leurs produits, de leurs idées, sur la
promotion de leur mode de vie, leur état d’esprit, puisque partout, tout le
temps, n’en déplaise aux naïfs, aux abstentionnistes, l’esthétique écoute
l’économique, la poétique épouse la politique. D’une propagande à la suivante,
le cinéma allemand s’en accommoda, sans avoir vraiment le choix. Si les
Soviets, in fine financiers, dommage
pour les démocrates patraques, se permirent d’en réécrire le script, en tout cas sa coda, pas de vendetta
individuelle, danke, juste une justice juste, toi comprendre ma langue,
camarade ?, Les assassins sont parmi nous, modèle de germanité filmée, se
souvient évidemment de l’expressionnisme, le tamise d’un vernis de
néo-réalisme, réactive le romantisme des ruines, portraiture le parcours d’un
médecin célinien, de TSPT atteint, co-locataire réfractaire, puis amoureux rédimé,
au mitan chronométré, de l’ange gardien placé par le cinéaste/scénariste sur
son chemin, une veuve juvénile, ravissante rescapée, en bonne santé, des camps
de concentration, allons bon.
Tout ceci frise le factice, témoigne
d’un tournage surtout en studio, paraît trop propre, trop beau. Carburant à
l’édifiant, le métrage d’un autre âge manque de finesse, de délicatesse,
accumule les cadrages débullés, comme pour souligner à satiété l’ivresse dépressive,
chronique, du toubib cynique, le malaise d’un monde par la bête nommée immonde désaxé,
où cependant continuer à cancaner, au creux du couloir, à s’amuser, de
préférence au cabaret, à profiter de son prochain, pauvre vieux père opticien,
presque orphelin, à prospérer, grâce au recyclage de casques en casseroles,
pragmatisme assez drôle. Deux fois soumis à la tentation de l’homicide, in extremis
sauvé par un tandem de femmes en
effet providentielles, Hans s’en sort, ne désire plus la mort, se remet à
espérer, à opérer, à respirer, à l’image de la gamine à laquelle il administre
aussitôt une salutaire trachéo. Hélas, vers Christmas,
le sinistre passé se planque sous le sapin, refait surface en flash-back, démasque l’industriel
installé, respectable, insoupçonné, insoupçonnable, paternel, paternaliste, en
vérité capitaine épistolaire, plutôt que suicidaire, responsable d’un massacre comptabilisé
de civils polonais, olé. Arno Paulsen incarne à merveille ce chic type, Susanne
dixit, pleinement répugnant, auquel
une manchette froissée, au sujet de deux millions de mecs gazés, ne saurait
certes l’appétit couper, ni l’envie de s’encanailler à l’écart de sa famille en
famille. Face à lui, à son émétique bonhommie, à sa nostalgique hypocrisie, Ernst
Wilhelm Borchert, suspecté par la presse de l’époque d’une appartenance
dissimulée au NSDAP, affirme sa formation théâtrale, en soldat sentimental, au trauma kolossal, au jeu un peu en écho à
celui du confrère Conrad Veidt (Le Cabinet du docteur Caligari,
Robert Wiene, 1920). Leçon de cinéma par rapport aux téléfilms fumistes, à
l’infini, du mercredi, Les assassins sont parmi nous
demeure néanmoins une leçon de morale, audacieuse, tendancieuse, nécessaire,
scolaire, importante, distante.
Plus tard, pour des raisons en partie
personnelles, en fin de carrière, la chère Romy Schneider endossera, à son
tour, la défroque de la Faute, de l’inconcevable national, actrice courageuse, pourtant incapable de comprendre que les crimes, comme les
récompenses, se partagent : l’insanité des assassins nous appartient, à
nous tous, citoyens étasuniens, européens, d’outre-Rhin, transsibériens, complices passifs ou actifs,
parfois résistants, heureusement, d’une barbarie bien à l’abri, dans la
noirceur de nos cœurs.
Romantisme allemand et cortège métaphysique de ruines, le temps triomphateur de tout, et l'homme méditant son interrogation face au sacré, dans ce film le passé intrigue dans le présent de l'homme réduit en cendres par la culpabilité et l'échec guerrier, tandis que la femme pragmatique, figure amoureuse, fait le ménage et tente de recoller les morceaux, une fois l'héritage du passé dépoussiéré, trouble tableau moral...le cas des origines sulfureuses de Romy est tellement particulier que son autodestruction maladive fait figure romantique iconique, reflet cinématographique à la Visconti et son troublant double visage en miroir de H. Berger...
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