Kongo : Ils sont fous ces sorciers
Florilège de sortilèges ? Disons démon de la mondialisation…
Tu sais grand-père ici ils ne croient pas
À ces choses-là
On sent quelque chose derrière les choses
Commencé sous la pluie puis épilogué
sous l’eau, le court Kongo (Hadrien La Vapeur & Corto Vaclav, 2019) retrouve via une voie diverse le cœur obscur de Conrad. Portraituré in situ et en tandem parmi une « république des ténèbres », aux
dispensables et redoutables « sorciers » classés conservateurs,
méfie-toi des « féticheurs », un « apôtre » progressiste et
paupérisé, « guérisseur » accusé de pénible procès, se laisse par
conséquent accompagner, au sein de son
quotidien guère serein. Au Congo désormais exorcisé du colonialisme occidental demeurent
en effet des « diables », dont se débarrasser en solo et en société,
des « esprits » nocifs à fissa embouteiller. N’en déplaise à la
jeunesse, ici aussi a priori atteinte d’amnésie, il convient
de se souvenir de ses ancêtres, de les vénérer en avérées divinités, à l’opposé
des supposés saints très lointains des croyants blancs,
« embrouille » prosélyte d’école pas drôle. Pourtant on se perd au
milieu des tombes anonymes, des mausolées immaculés, par la verdure envahis,
sous un ciel plombé tapis. Le mystérieux Médard y donne à boire de la bière à
sa mère, enterrée, photographiée, suppliée. Sa disciple endeuillée, au maudit
mari, y oublie l’emplacement de ses deux foudroyés enfants, sa transe cause la
chute du cameraman, écho inconscient à Cannibal Holocaust (Ruggero
Deodato, 1980), autre histoire de « pensée magique », de vraie-fausse
visite sur le vif, similaire et cependant différenciée fable anthropophage.
Puisque les spectres des disparus et les déesses océanes dérangées, survivantes,
bienvenues, tracent sur du papier à en-tête ou des cahiers d’écolier leur prose
ésotérique, mécanique, aux lignes aquatiques, Médard enseigne à mieux voir, à
posséder, sans jeu de mots, quoique, des « yeux spirituels », grâce
auxquels apercevoir, ou pas, par exemple une « sirène » par lui « neutralisée »
à l’intérieur d’une prison en plastique.
Ces présences, ces apparences, ces
persistances, ces nuisances, il faudra enfin les enfouir au fond du cimetière
de la mer amère, aux gros rouleaux furieux, boueux, presque aussi sombres que
le minerai extrait au creux des cascades fracassées, déplacées, réduites à un
fragile filet. Fasciné par l’Afrique, sa ferveur, sa folie, ses jours, ses nuits,
notre duo de documentaristes blanc de peau, à la sensibilité écolo, enregistre de facto une autre sorte de « sorcellerie »,
celle du capitalisme à présent asiatique, depuis longtemps implanté sur ce
territoire mystique, pour des raisons bien sûr économiques. Face à la « magie
noire » des « Jaunes », la « magie blanche » des Noirs
ressemble à un remède obsolète, à un placebo
peu rigolo. La mélancolie de Kongo émane donc de cette
confrontation silencieuse, solitaire, cristallisée par un plan parlant, entre
deux mondes et deux manières de le percevoir, de l’apprivoiser, de le captiver,
de le capturer, radicalement divisées, sinon déséquilibrées. La colonisation s’appelle
de plusieurs noms et l’acculturation, déjà pointée à son époque par Pasolini en
Italie, procède idem. La précarité
préoccupante de la population locale toutefois n’empêche pas les spécialisés magistrats,
dotés de l’épreuve drolatique et physique du « pilon mortel », « jugement
de Dieu » bienheureux, de porter d’éloquentes toquantes dorées au poignet,
tandis que le protagoniste, à la fois fumeux, fumiste, altier, altruiste, arbore des t-shirts footballistiques et
pratique son art utile et dérisoire dissimulé derrière d’écarlates étendards,
de misère publicitaire. Filmé de façon soignée, joliment musiqué par Gaspar
Claus & Michel Redolfi, Kongo documente ainsi un combat à
base de foi, de persona, de poétique,
de géopolitique. Conte contemporain de transcendance et de résistance, il affiche
des Africains affolants, fraternels, en train de subir, d’orienter, leur destin
tourmenté.
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