La Charrette fantôme
Un métrage, une image : Un carrosse pour Vienne (1966)
Une forêt de conte de fées défait, à
défaite (« Hitler fichu ») guillerette ; une paysanne pas
bavarde, veuve guère joyeuse de guerre affreuse, décidée, Dieu merci, à « réparer
l’injustice » d’un mari trop tôt parti, parce que pendu pour l’exemple
après avoir volé du ciment, tu m’en diras tant ; deux chevaux « braves »
au cœur et à l’écart du drame ; deux soldats à hue et à dia, le premier
malade, pessimiste, lucide, le second assez bon, au fond, « bon à rien »,
il le vaut bien, avec ses photographies de famille, son sommeil d’épuisé, d’employé
des pompes funèbres improvisé, où sa Mutter maternelle il appelle :
immobile road movie, dont le révisionnisme sentimentaliste évidemment déplut en Tchéco
coco, fable affable fournie en hommes mais flanquée d’une seule femme, Un
carrosse pour Vienne (aka le
plus pragmatique et moins satirique Un chariot pour Vienne) se fiche de
l’Autriche de Sissi la pasteurisée impératrice, prophétise en tant que survival, of course forestier, les slashers ricains pas uniquement des
années quatre-vingt. La « chasse gardée », la chasse à l’humain
gibier des « échappés », en raison de sa stylisation, de son réalisme
onirique, de son érotisme frigorifique, cf. le strip-tease à main armée, à chemise et sous-vêtement immaculés,
pourrait évoquer Belle de jour (1967) de Buñuel, car cloches/clochettes, hippomobile perverse, féminité tourmentée idem.
Entre les troncs phalliques du générique se déroule donc une battue bienvenue,
en dépit d’une baston de mecton teuton à faire frétiller les furies féministes,
de partisans patibulaires et en plein air portés sur la torture à pied ainsi
que sur le viol collectif, de quoi faire frémir ou confirmer les pires craintes
des critiques précitées. Avant que le rural patriarcat ne vienne reprendre de
force ses droits, écarter à plusieurs, dans la bonne humeur, les cuisses de la surprise
« putain », coupable de « proximité », sinon de
promiscuité, avec un ennemi de tous ses accessoires de mouroir au fur et à
mesure démuni (sleeping with the enemy
résume l’anglais, CQFD), le couple improbable, in extremis accouplé, taille vaille que vaille une route de
déroute, en ligne droite patraque, dépourvue d’issue et de délicieux demi-tour,
mon amour. La charrette transporte un mec à moitié fantôme, qui crache sur
l’Ukraine, tous les autres « trous du cul du monde » immonde, sur son
médecin incertain qui, quelle ironie, ressemble en sus à un « Juif »
selon lui ! De l’adversité sexuée à la trêve sexuelle, il suffit d’un brin et
d’un lit de foin, puisque la carriole pas drôle soudain se transforme,
jusqu’alors corbillard à la conductrice en noir, ersatz d’occase, nazi et
diminué, de nativité délocalisée, au jésus geignard. Tandis que des chevreuils
s’aperçoivent depuis le roulant cercueil, qu’une colonne de prisonniers en
uniforme sent la fin et le sapin parmi la masse d’arbres spectrale, calligraphiée
en contre-plongée, l’héroïne mutique et magnanime agit en stratège, incapable
de commettre l’ultime sacrilège, le Notre Père ne résiste à la mère étrangère
et familière. Cadrée au cordeau, dotée de travellings
millimétrés, ponctuée par contraste d’une musique classique anachronique,
malsaine d’être sereine, cette curiosité restaurée mérite d’être redécouverte
en ligne, à domicile, exercice de style à la fois cruel et fraternel, vilain
rêve joliment filmé, constamment séduisant malgré sa densité et sa durée
limitées. Le cinéaste, attentif aux paysages, aux visages, aux rejets, aux
objets, mention spéciale à une hache cruciale, escorté d’un DP doué, d’un beau
duo de bref mélo, signe en définitive une mineure réussite, propice à consoler
de l’interminable médiocrité aujourd’hui en salle déversée, conflit point fini,
celui-ci, entre la nouveauté, le réchauffé, la mélancolie et l’ennui, le ciné
et la TV, encore les morts et la vie…
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