Le Chat noir
Babe alone in Babylone, rime Birkin ? Houellebecq, par le petit bout de la lorgnette…
Fiction féminine tout sauf féministe,
toutefois flanquée d’un furtif féminicide, ainsi disent, discriminatoire
néologisme, en droit qui n’existe, les médiatiques militantes de
l’anti-sexisme, Babylone n’en fait des tonnes, en dépit du titre à pedigree biblique, à exil au carré
liquide. La pas bête et plutôt chouette Élisabeth, narratrice complice indeed, à double titre, sexagénaire
guère exemplaire, se remémore donc sans remords une fête de printemps à
contretemps, à cause d’un presque imprévisible étranglement. Tandis que Lydie,
ancienne vendeuse de godasses, boit la tasse, de la honte en réunion, à cause
d’une anecdote et d’une imitation à la
con, se soucie du destin des industriels poussins, réclame illico du poulet bio, pratique une thérapie épicée, en accoutrement
et crinière colorés, le gentil Jean-Lino, vrai-faux papy de l’insupportable
Rémi, encaisse en silence l’interdit de fumer à domicile, quasi asservi, idolâtre patraque. En matière douce-amère de lien
social jamais horizontal, on baise un brin après la soirée désertée, en couple
dépourvu d’entourloupe, à peine excité selon un soupçon d’incestueuse
fraternité, l’héroïne et l’anti-héros ne frémissent, loin s’en faut, la
cigarette sur le trottoir vaut en définitive toute autre solution à la solitude
et au désespoir. Placé sous le signe de la photographie, c’est-à-dire d’un
passé figé, bref et subjectif, le récit dévide en sourdine un sentiment
familier d’étrangeté retracée, d’ordonnée absurdité, d’existences théâtralisées,
mélodrame passionnel dépassionné au décès maternel diminué, comme si, en
résumé, l’increvable Camus ressuscitait à l’unisson d’une coda en forme de
reconstitution, de condamnation, farce grotesque elle-même immortalisée en
clichés aux légendes éloquentes. L’employé ligoté au SAV d’électroménager,
bestiaire en fer, verra-t-il à son
retour la fabrique de moustiques installée à l’institut Pasteur, où sa voisine
magnanime bosse au service des brevets ? Il en doute, nous itou, en
vérité, il ne peut, menotté, emmené, lui adresser un salut dernier, un peu
penché, un peu beaucoup touché par sa voix charmante, ses souriantes
confidences, ses blessures de refusée enfance. En surface et à l’étage du
dessous embourgeoisée, Élisabeth reste la fille orpheline d’un père aux baffes
fatales et aux blagues à deux balles, au tactile envers les copines juvéniles désormais très illégal, la spectatrice assidue de Faites entrer l’accusé quand
même incapable de se positionner pourtant dans l’autre camp, celui d’un
moralisme neutre en noir et blanc. La scénariste du dispensable Carnage (Polanski, 2011)
ne se livre ici à une lutte des classes en huis clos d’impasse, elle sonde avec
une certaine assurance, sinon subtilité, une improbable et incontestable amitié,
au vouvoiement d’antan. Serré entre les Ricains chagrins de Robert Frank et les
alpinistes dépressifs de Dino Buzzati, fourni en aphorismes, tragi-comique,
tragique parce que comique, me corrigera Yasmina Reza, Babylone, économe et
modeste en somme, amitiés à Nina Simone, délesté de pages et de paysages à la
gomme, séduit à sa mesure, autant que la vertu ou la vie impure. Muni d’une
drolatique mélancolie, près de Paris ou en Italie, le roman primé de la
dramaturge acclamée mérite quelques lignes laudatives, à défaut d’admiratives,
en raison de sa prose pertinente et précise, son absence de jugement
inclément, marotte en toc de l’époque, voire l’inverse. Du sapin d’Andersen à
du jazz naufrage, d’un chat noir
italianisant à une valise rouge refermée difficilement, s’esquisse le fait divers
intime et funéraire d’un roman de maintenant dédié au Didier adoré.
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