Naples au baiser de feu
Un métrage, une image : Voyage en Italie (1954)
(…) calendriers solides et
contraignants qui offraient souvent, dans la chaleur des groupes, l’illusion de
saturer le temps et de faire ainsi écran à la mort.
Vivane Forrester, L’Horreur
économique
À le visionner en version restaurée,
il s’avère qu’il s’agit d’un road movie immobile, travelogue en toc, item
modeste, qui n’annonce ni l’ennui de La Nuit (Antonioni, 1961),
même si une faune de « naufragés » y figure, flanquée de faunes
clairs et obscurs, ni la casse ou le crash
à Capri du Mépris (Godard, 1963), itou entourloupe de couple en déroute sur
la route. On pense plutôt illico à Psycho
(Hitchcock, 1960), conductrice idem,
environnement mortel, bien sûr à Stromboli (1950), puisque épiphanie
finale et en fanfare, miracle laïc, en sus du Vésuve, aux Onze Fioretti de François
d’Assise (1950), suite de saynètes, progression et non narration.
Lui-même en tandem avec Vitaliano
Brancati (Le Bel Antonio, Bolognini, 1960, coécrit par Pier Paolo
Pasolini, d’après le roman homonyme), Roberto accompagne en Campanie un beau
duo de vieux amants à la Brel, guère modèles, de meilleurs ennemis aux
sensibilités désaccordées, séduits à l’idée de divorcer. Au début, Alex suggère à
Katherine de (re)jouer aux inconnus, durant ce temps d’estivale oisiveté, délivré
du calendrier, des habitudes faciles du domicile. Ils viennent vendre une villa héritée de l’oncle Homer, ils vont
effectuer, réunis, séparés, leur propre et en accéléré odyssée, pas si
dissociée de celle de Homère, car l’objectif, in extremis, consiste à
se retrouver, au propre et au figuré, a
fortiori au sein point malsain d’une
foule pas déchaînée, festive et fervente, presque en mode King Vidor (The
Crowd,
1928). Entre classicisme et modernité, catacombes et maternité, guerre
collective d’hier et conflit individuel d’aujourd’hui, Voyage en Italie,
d’humour et de mélancolie muni, ne succombe une seconde au banal du tourisme
sentimental, à l’amateurisme un brin autobiographique d’un tournage désargenté, improvisé. Qu’il l’ignora ou pas, l’impressionniste Rossellini savait où il
allait, emportait sa paire de stars
en costards, à l’Ingrid dubitative, au Sanders à bout de nerfs. Échec
économique et critique, certes consacré par l’équipe des Cahiers, Rivette en tête,
ce film faussement infime, magnifiquement intime, scandé de ritournelles
napolitaines, d’un musical lyrisme dû à Renzo le fils, cf. l’ascension en solo,
« vieux dingo », sur le toit du temple de la sibylline Sybille, nous
remémore notre mort, memento mori, les amis, les maris, les
mal mariés, la lucide Judy, la guérie Marie, la poignante prostituée, orpheline
anglophone et quasi suicidée,
qu’interprète Anna Proclemer, alors épouse du coscénariste précité, nous
appelle donc au carpe diem, au risque du didactisme, d’une
mise au jour d’un possible amour, incendié, immaculé, que les morts-vivants, sans
enfants, ensemble depuis huit ans, en prennent de la graine, grâce à la grâce,
majuscule optionnelle, des macchabées déterrés, d’une autre manière
ensommeillés, au terme du métrage s’étreignent soudain, un brin joyciens.
Comment continuer, délocalisés, émancipés du romantisme démodé, désincarné,
d’un pragmatisme empreint de jalousie, tenté par le démon de midi ? Il
convient que ce couple se redécouvre, se retouche, recommence à se voir, réapprenne
à ne plus faire chambre à part, se tutoie, toi et moi. Au musée antique,
érotique, à l’altruiste cimetière, en plein air, à l’occasion de « l’ionisation »,
à Pompéi pareil à Oradour, mon amour, le spectacle du passé, des décès, invite à
la vie, la caméra s’élève deux fois, doublon d’assomption, surprenante seconde
chance d’immanence.
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