À la rencontre de Forrester

 

Caste de concurrents, complices des maléfices, honte de la honte... 

Pascal, Blaise et billet, philosophe de force, opinion, usurpation, vérité, devrait plaire à la pensive Jacqueline Waechter. Biographe à défaut de fée, Dreyfus née, Viviane Forrester signe en 1996 un essai à l’insolite et insolent succès que l’on sait, du Médicis récompensé, placé sous le signe, sinon l’emprise, de l’exclusion, l’élimination, la déportation, la programmation, de la catastrophe, en somme, termes très connotés, en toute conscience utilisés. Parmi un entretien contemporain, publié au milieu de L’Humanité, l’écrivain au féminin, peu fanatique de féminisme, de féminisation du lexique, se rappelait Rimbaud, communard à l’écart, vite devenu marchand, pas d’armes seulement, telle in extremis l’Alice de Lewis, présente ici aussi, revue et outragée par le pas bon Burton. Le titre de l’item cite donc Soir historique des Illuminations, en conserve la valeur apocalyptique, en liquide la dimension méta et satirique. Munie de Mallarmé, à une mitraillette assimilé, la romancière alors septuagénaire, very vénère, ranime idem le M. Homais de Flaubert, l’Emma toujours hagarde, désormais banlieusarde, les démons immanents du tempétueux Shakespeare, annonce comme Cassandre la promesse du pire, intitulé allitéré, pas altéré, d’opus posthume. Détesté des doctes économistes, L’Horreur quasi homonyme ne comporte que peu de chiffres ; il ne s’agit d’un cri, registre émotif, sexisme en sourdine, on connaît les scream queens de l’horrible cinématographique, aucun scream king en rime, d’une catharsis psychologique, fils chômeur suicidé, ouvrage rédigé, CQFD, d’une occasion unique, puisque ses problématiques occupaient déjà, apparemment, La Violence du calme, édité seize ans plus tôt, coco Hugo. La bibliographie fournie occupe 8 pages des 215, s’apparente presque au bottin mondain de la pensée spécialisée : Arendt, Attali, Baudrillard, Camus (Renaud), Closets, Debray, Derrida, Dubet, Duby, Duhamel, Finkielkraut, Guillebaud, Jeanneney, Kahn (Jean-François), Keynes, BHL, Minc, Plenel, Ramonet, Rancière, Séguin (Philippe + la chèvre stoïque), Todd, Touraine, Virilio, point trop n’en faut. Sans chapitres, en douze parties, la portraitiste de van Gogh & Woolf, à l’aisé pedigree, à Marx amitiés, prend à rebours les discours, les soumet à une expertise linguistique et lucide, poétique et politique. Elle aperçoit, dissimulé derrière la disparition de l’emploi, le spectre de la Shoah, non pas chimérique mais cybernétique. Les technologies de pointe, ça pique, l’automation, ça permet de la main d’œuvre la suppression, l’ensemble transcende l’espace temporel de la civilisation ancienne. Tandis qu’auprès de Paris, capitale bancale, les cités cristallisent les impasses, les ersatz, du rassurant et suranné simulacre, ailleurs, sur les terres étrangères d’un miséreux bonheur, la colonisation se relooke, se redoute jusqu’en Occident, effet boomerang. Livre littéraire, parfois ironique à la Voltaire, moins doux qu’amer, L’Horreur économique incite au dessillement, au différemment, à la réactivité, au respect, ultime mot, à opposer illico à l’organisé chaos. Ni maudissant la mondialisation, ni fébrile technophobe, la fière Forrester, à l’écriture racée, claire, ne cherche à plaire, semble s’exprimer en plein désert, espère plus qu’elle ne (se) désespère. 26 années après, encore d’actualité, le constat éclaire, le profit profite, le totalitarisme demi doux la démocratie dissout, toi, moi, eux, nous.    

Commentaires

  1. Hommage sensible et juste de ton à une très belle figure féminine d'intellectuelle humainement engagée, si touchante et pleine de tact quand elle posait de bien délicates questions à Georges Perec devant la fameuse porte de la boutique de sa mère rue Vilin, close sur les souvenirs douloureux d'un Belleville à l'âme populaire anéantie et aux habitations en attente de démolition ou encore dans le nid du petit appartement du 5e arrondissement de Paris. Rescapée, épargnée comme par miracle ainsi que Günther Anders le bien nommé (né Günther Siegmund Stern), Hannah Arendt tous ceux et celles qui par bien des aspects de leurs oeuvres respectives ont témoigné en leur temps de l'obsolescence de l'homme (La capitulation du régime nazi n'étant qu'apparente, pour mieux ressurgir dans un empire à vocation technologique d'emprise planétaire, opération Paperclip, « Opération Overcast » oblige...
    Dysgenics: Genetic Deterioration in Modern Populations
    Lynn,Richard.
    https://www.abebooks.fr/9780956881113/Dysgenics-Genetic-Deterioration-Modern-Populations-0956881114/plp
    et
    Homo deus (Yuval Noah Harari) semblent être les livres de chevet issus des recherches sulfureuses d'auteurs qui
    nfluencent la pensée
    l'action protéiforme de certaines sombres "élites' voulant s'augmenter le pouvoir par la technologie et
    portées par une vision
    dataïque quasi religieuse désirant se substituer à la loi naturelle nonobstant
    l'ignorance de nombre de ses façons d'agir sur le monde,
    (Le capital accumulé et le coup de nasse du filet final
    leur donnant l'illusion de se croire au dessus de "certaines lois divines" pourtant constatées depuis des millénaires par diverses religions et spiritualités...)
    Un merci ému pour la dédicace.

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    Réponses
    1. Un merci ami de ceci.
      Intellectuelle peu à la truelle, elle-même se définissait ainsi, oui.
      Du darwinisme au nazisme, il suffit en effet d'un détournement et d'atrocités :
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2022/11/le-hasard-et-la-necessite.html
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2022/11/lexperience-interdite.html

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