L’Expérience interdite

 

Un métrage, une image : K.Z.9, camp d'extermination (1977)

« De même, le cinéma montrant sans cesse des scènes de massacre et d’atrocités, vous finissez par croire que vous  êtes vaccinés contre la mort. C’est du courage en toc. » 

Bernard Werber, Le Livre du Voyage

Voici un ouvrage lesté d’outrages, qui ne pouvait être produit que durant les excessives seventies, libertaires ou permissives, suivant l’adoptée perspective. Si mon homonyme décédé, donc ressuscité, peut-être que Mengele à ceci aussi pensait, décidait soudain de le commettre aujourd’hui, non seulement il ne trouverait aucun financement, a fortiori du côté du ciné d’Italie, en soins palliatifs, comme chacun sait, depuis disons une trentaine d’années, mais en sus il lui faudrait affronter de multiples néo-ligues de vertu, plus ou moins bienvenues. Le réalisateur des pas si redoutables, presque recommandables, L’Autre enfer (1981), Scalps (1987), des plus discutables Virus cannibale (1983) et Les Rats de Manhattan (1984), se lance ainsi au sein a priori malsain de l’éphémère et célèbre nazisploitation. Avec un pedigree pareil, on ne s’attendait certes à visionner une rareté digne d’accompagner la sacro-sainte trinité d’atrocités composée par les davantage adoubés, renommés, Portier de nuit (Cavani, 1973), Salò ou les 120 Journées de Sodome (Pasolini, 1976), Salon Kitty (Brass, idem), eux-mêmes précédés et en partie suivis par le précurseur Les Damnés (Visconti, 1969), l’incontournable Ilsa, la louve des SS (Edmonds, 1974), meyeresque ogresse revenue ensuite via l’exotique Ilsa, gardienne du harem (Edmons, 1976). En ce temps d’antan, mon enfant, celui du féminisme, du terrorisme, de la crise économique et du choc pétrochimique, de la pornographie appréciée en public, la Shoah, on ne connaissait pas, pas selon l’iconoclaste Claude Lanzmann, en tout cas, ses mânes sans doute désespérées à cause du steadicam insolent sinuant entre les baraquements et les pleurnichements de l’édifiant Simone, le voyage du siècle (2022) du spécialiste Dahan. Rivette jugeait déjà « abjecte » la coda de Kapò (Pontecorvo, 1960), on n’ose songer à ce que l’obscur opus ici concerné pourrait lui inspirer, s’il persistait à respirer. D’emblée il sied de souligner que l’on sourit souvent à ces mésaventures invraisemblables d’un gynécée très malmené, of course aux prises avec de l’inventif sadisme et un zeste de saphisme peu portés sur le réalisme. Au creux odieux de la rosse « Maison des Roses », ambiance morose, pseudo-médecine peu magnanime, toubibs juifs fortiches, homosexuels en train de tricoter, prêtre polonais congelé en train d’être illico ranimé en raison du massage pas sage d’une française prostituée, acmé d’un catalogue jamais hardcore, comprenant itou un chauve chelou, un utérus transplanté sans succès, une bastos empoisonnée, du gaz dégueulasse. Pasolini, encore lui, affirmait que scandaliser, être scandalisé, procurait du plaisir, les censeurs sudistes, face au gros mélo de Nono ne surent rester sereins, parce qu’il le valait bien. L’humour noir adoré de Breton se décelait parmi les sévices et les immondices, les garçons et les étrons, de l’enfer sadien puis pasolinien. Chez le Romain formé au montage, sérieux et in extremis sentencieux, révoltants survivants esquissés, dénoncés, on ricane du spectacle, d’approximation, d’abomination, d’évasion, d’explosion. La catharsis existe, le cinéaste s’en fiche, recycle un génocide et de salaces saucisses, se risque au sexué musical fini par un bouquet fatal. Point festif et toutefois inoffensif, ce camp cristallise ce ciné, cette société d’un monde d’avant, à l’immonde quasi innocent, en parallèle des exactions réelles…

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