Un été inoubliable : Le Jardin du diable
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Lucian
Pintilie.
Actrice aristocratique, Kristin
Scott Thomas incarne une aristocrate altruiste, alcoolique in extremis, affirme/se
souvient en voix off son fils. Western dépressif, dont la scène de bain
sensuelle, innocente, à nudité « frontale », enfantine, étreinte
soudaine, mousse à raser essuyée, chocolat inaccessible aux locaux, rappelle
celle de Un nommé Cable Hogue (Peckinpah, 1970), Un été inoubliable (Pintilie,
1994) forme avec Le Chêne (Pintilie, 1992) un diptyque géographique,
géopolitique, où des couples sympathiques s’opposent à une insanité
généralisée, durant les années 20 ou sous Ceaușescu. Il s’agit d’une
tragi-comédie, commencée comme du Tinto Brass, c’est-à-dire au bordel, bientôt
fermé le temps d’un week-end, because bal de notables. Une prostituée
callipyge, d’origine hongroise, à la colère révolutionnaire, les défie de ses
fesses à la fenêtre, se fait fissa tabasser par un familier, ainsi le
nationalisme sexué musèle/soumet le féminisme furieux. En effet, ce film
appréciable affiche une femme fréquentable, joyeuse, audacieuse, courageuse, en
définitive dessillée, désabusée, presque lynchée par des veuves vénères, Euménides
montagnardes, au milieu de moutons, mince. Entre Louise Brooks & Karen
Blixen, Marie-Thérèse, issue de Budapest, dotée d’un prénom composé doublement
connoté, affole un officier, s’adapte à l’âpre territoire, fréquente les
jardiniers bulgares, leur apporte à boire, leur raconte une rassurante histoire,
sur la route de l’abattoir. Hélas, la salade pacifique devient vite acide, car
l’héroïne découvre la vile, vaine violence de
visu, linceul improvisé soulevé sur un visage de soldat mutilé par de
mystérieux contrebandiers. Son mari à monocle moqué, muté, tourmenté, malmené, ses
marmots inconscients des événements, l’humanisme de la claveciniste
mozartienne, de la lectrice proustienne, ne pèse pas lourd, mon pauvre amour,
face à la folie masculine, militaire, macédonienne, roumaine, aux causes
pseudo-historiques.
Tandis que les mecs minables se
comportent en petits coqs, se dessinent de sinistres sourires à la Hugo, à la
Joker, les épouses (se) désespèrent, chœur éloquent rendu muet par le malheur. Survivante
auparavant violée, dixit la commère
momifiée, en comité, méprisant la « peste communiste », Marie-Thérèse
la mal-aimée cherche à enchanter la réalité, à la rendre légère, savoure la
vue, l’air, s’imagine à proximité du mont Fuji, eh oui. Mais ensablé au sein
malsain de cet ersatz du Désert des Tartares, sinon des
barbares, déjà cartographié, délocalisé, selon Le Fou de guerre (Dino
Risi, 1985), le miroir se brise, balle intrusive, ses illusions aussi, alors
que le capitaine dépité, déplacé, ne parvient pas même à se suicider, canasson
nietzschéen en sus. Restauré-numérisé « avec le soutien du CNC », le
métrage à moitié français, totalement précis, soigné, dégraissé, de surcadrages
pertinents ponctué, à Cannes présenté, mérite son exhumation de saison, résonne
en simultané avec la contemporaine guerre des Balkans, interroge le
positionnement européen, acteur/témoin, constitue in situ une satire amère,
une fable/farce en uniforme, où les coups de fusil coupent l’appétit, insecte
compris. Dans Outrages (1989) puis Redacted (2007), De Palma, muni de
crimes commis, de victimes avérées, d’atrocités reflétées, matérialisait une
métaphore : l’invasion (vietnamienne, irakienne) en viol, au propre, au
figuré. Pintilie paraphe le désastre via
un cadavre involontaire, quoique, celui d’une agresseuse anonyme. Si la
remarquable Kristin Scott Thomas ne réussit, hélas, sa Mission impossible (De
Palma, 1996) a posteriori, conclue par des répliques, des notes de musique, très
ironiques, conserve sa vertu bienvenue, malvenue, suivant le point de vue, elle
illumine de son talent immanent, de sa voix évocatrice, de sa beauté
balzacienne, de sa force « oxfordienne », une œuvre favorite,
valeureuse, désormais ressuscitée, tendre été ensanglanté, pas à oublier,
plutôt à célébrer.
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