Les Pirates du diable : Et par ici la sortie
Comment comprendre l’ésotérique Brexit ? En
recourant au cinématographique…
Métrage Hammer méconnu, Les
Pirates du diable (Don Sharp, 1964) s’apprécie avec modestie, en fable
affable, en pertinent petit traité de politique, presque passé inaperçu, hélas.
Façonné par des familiers de la firme, dont Jimmy Sangster au scénario, Michael
Reed à la direction de la photo, Rosemary Burrows aux costumes, Bernard
Robinson aux décors ou James Needs au montage, l’opus plaisant repose sur un argument guère morose, à base de
mensonge, d’occupation, de collaboration, de résistance. « Toute
ressemblance » avec la situation et les souffrances de la France des
années 40 ne relève pas de la coïncidence, plutôt de la correspondance, comme
si notre meilleur ennemi, de « perfide Albion », se posait, à
distance, les mêmes questions. Face à Christopher Lee, ici délesté de ses
canines et de sa cape de comte des Carpates, toujours aussi aristocratique, désormais
hispanique, Andrew Keir & John Cairney ne se laissent pas illusionner, se
dessillent fissa, disent non à l’invasion et oui au combat. Le père y perd la
vie, illico pendu, le fils, bientôt
fouetté, ressemble à une version locale, exclusivement hétérosexuelle, du
célèbre « sabreur manchot » de La Rage du tigre (Chang Cheh, 1971).
D’un seul bras, évidemment le droit, puisque le gauche à renommée sinistre, il
étrille les étrangers, il assume son insularité, il défend son indépendance,
tandis que le vicaire invite à l’accueil, à la concorde, son discours en écho à
l’actualité, des arrivants, des « migrants », tandis que Sir Basil Smeeton, suzerain châtelain de
vassaux villageois, pratique la diplomatie de l’acceptation, par intérêt, par
lâcheté, sa fifille, d’ailleurs amourachée du récalcitrant handicapé,
dissimulant au sein de son panier d’osier, sous des légumes insoupçonnés, une
belle paire de pistolets réfractaires.
Outre ainsi constituer une sorte « d’étude
de cas » reconstituée, épouser le développement d’une expérience
transposable, bien au-delà du contexte historico-géographique de « l’Invincible
Armada », toutefois défaite pendant le prologue, Les Pirates du diable se
double, de surcroît, d’un récit d’initiation et d’émancipation, paraît relire,
au moins le temps d’une scène explicite, significative, les (més)aventures
formatrices des Contrebandiers de Moonfleet (Fritz Lang, 1955), autre item en Scope, a priori destiné à la jeunesse, certes davantage œdipien. Rebaptisé
Robeles, le mélancolique Lee donne à un gosse détenteur de la vérité, qui essaie d’exciter la foule rassemblée, surveillée, menacée, une bonne leçon de
pragmatisme, se moque de l’héroïsme, efface les différences entre eux et lui,
l’identité, individuelle ou collective, provinciale ou nationale, in extremis résumable à un similaire
instinct de conservation, sinon de soumission. Chez Lang, l’amour et
l’admiration d’un enfant rédimaient un père par procuration, loin de la
perfection, en définitive démonstration d’idéalisation hollywoodienne, en
modulation maritime du « monstre » infantile et infanticide de M le
maudit (1931). Chez Sharp, (re)lisez-moi ou pas, à propos du Baiser
du vampire (1963), de Taste of Excitement (1969), de Bear
Island (1979), aka Le
Secret de la banquise, tout finit dans les flammes, purification par le
feu du gros rafiot coûteux, mais moins que le falot paquebot du Pirates
(1986) de Polanski. Divertissement classique, ouvrage de classes, moralité
britannique, réflexion en action(s), Les Pirates du diable déploie par
conséquent sa xénophobie justifiée, nuance son manichéisme via le personnage de l’officier, fidèle stratège sacrifié, manie avec maîtrise sa main
d’œuvre, tous ses éloquents figurants.
Boris Johnson le connaît-il ? Probably not, raison supplémentaire pour le conseiller au cinéphile curieux,
et peu importe ce qu’il pense de l’Europe, et fi de sa possible anglophilie !
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