Jack le tueur de géants : Ray


« Cherchez la femme », chercher la flamme, chérir l’infâme…


Filmé de façon fonctionnelle, impersonnelle, cette fois-ci délesté des sortilèges de Ray Harryhausen, Jack le tueur de géants (Nathan Juran, 1962) séduit cependant sans peine, puisqu’il parvient, en même temps, à respecter son programme, à surprendre le spectateur. Il s’agit, bel et bien, au propre, au figuré, d’un bel album étasunien/européen, d’un livre d’images animées, cf. le prologue explicite, d’un récit de fantasy se souvenant aussi de King Kong (Merian C. Coooper & Ernest B. Schoedsack, 1933), ravissement d’héroïne + choc de colosses inclus. Il s’agit, de surcroît, d’un conte chrétien, remarquez l’épée renversée, croix-bouclier pour contrer la bestialité, considérez que Jack se transforme in fine en émule de saint Michel, en plein ciel, majuscule optionnelle, terrassant en mer, contradiction d’occasion, son dragon appelé… Pendragon, par ailleurs patron d’un castle constellé de créatures à la Dark Crystal (Jim Henson & Frank Oz, 1982). Ceci ne suffit et le film, jamais ramollo, au dynamisme de dynamo, se permet de reposer sur une puissante perversité, de transgresser le motif épuisant, épuisé, de la « demoiselle en détresse », évidemment délivrée par un homme, ou quatre, amen. On trouve dans Jack le tueur de géants deux instants assez sidérants, sinon fascinants : Elaine, déguisée, enlevée, hypnotisée par l’accessoire coloré du sorcier, je ne parle pas de son pénis, point de malice, plutôt un maléfice, se métamorphose fissa en sorcière guère austère, en robe et coiffe roses, bouche rouge, visage verdâtre, yeux et ongles jaunes. Son homologue de La Belle au bois dormant (Clyde Geronimi & Walt Disney, 1959) peut aller se rhabiller, se rendormir, voici un succube succulent, désarmant, amusé de sa mue, fi de déconvenue. Après, à proximité de son infernal reflet, elle défie son fermier, illico comte immaculé, en 2D, venu la « sauver ».



Le miroir dédouble le charmant démon, matérialise un maudit mirage, un vain clivage – la princesse ne se soucie de son sauvetage, elle se fiche de la schizophrénie, elle prévoit d’occuper le trône de son papa, par conséquent de piétiner le patriarcat, elle incarne une sorte de transgenre Mister Hyde, qui désormais jugerait infantile le docteur Jekyll. M’affranchir de ma réflexion, m’émanciper de moi-même ? Tu n’y songes pas, n’y pense même pas, fidèle fada, mon pauvre et valeureux voyageur, sans épaisseur, sans reproche et sans peur. Certes, rassurons les conservateurs, voire réactionnaires bambins, tout finira bien, tout rentrera dans l’ordre masculin, néanmoins demeurent une duplicité définitive, une reconnaissance sadienne, une libération aux allures sexuées de soumission, de domination, l’emprisonnement millénaire du lutin embouteillé, irlandais, rimeur, en rime miniature. Au cinéma, Lady Constance, idem « ensorcelée », à l’insu de son plein gré, traîtresse à sombre volatile poesque, implore le pardon de son roi, voilà, voilà, rendez-moi mon moi social, de classe, acceptable. Dans la vraie vie nervalienne, un type, tant pis, tant mieux, ne saurait se contenter d’une glace brisée afin de retrouver, regagner, sa moitié matée, Sa Majesté apprivoisée. Sous la surface gentiment misogyne, sous la moralité très traditionnelle, se tient ainsi un sous-texte plus complexe, un filigrane affable, une intéressante et poétique exposition de notre part obscure, de sa réaliste séduction. N’oublions pas de citer la savoureuse modestie des effets, la direction artistique et de la photographie ad hoc de Fernando Carrere & David S. Horsley, la partition plaisante d’Edward Small & Bert Shefter, la cohésion du casting choral, ni, surtout, last but not least, la grâce irrésistible, espiègle, sincère, tendre et toutefois funeste, de la trop méconnue Judi Meredith (Joyce dangereuse de The Night Walker, William Castle, 1964), grâce à laquelle Jack le tueur de géants, dommage pour le couvent, ne s’adresse plus seulement aux enfants, ou alors bien grands.


En résumé, cet item tout sauf malhabile, infantile, se différencie du succès à capitaliser du Septième Voyage de Sinbad (Nathan Juran, 1958), Kevin Matthews bis, essaie de sonder un mystère, presque à la Laura Palmer (Twin Peaks: Fire Walk with Me, David Lynch, 1992), pas uniquement celui de la féminité, davantage celui du désir (du pire), de la trouble et troublante identité, CQFD.


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