Douce nuit, sanglante nuit : Bad Santa


Un film de saligauds ? Un film d’empoisonné cadeau…


Douce nuit, sanglante nuit (Charles E. Sellier Jr., 1984) commence comme Shining (Stanley Kubrick, 1980), s’achève tel La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955). Douce nuit, sanglante nuit se souvient aussi de Dead Zone (David Cronenberg, 1983) et de Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974). Douce nuit, sanglante nuit en sus s’inscrit au sein du sillage dépressif de Black Christmas (Bob Clark, 1974), son prédécesseur peu ancien, autant peu serein, au titre explicite. Douce nuit, sanglante nuit succomba à la concurrence acérée, sociologique, onirique, des Griffes de la nuit (Wes Craven, 1984). Douce nuit, sanglante nuit  scandalisa la critique délatrice, le public lobbyiste, les froussards de Tri-Star, succursale de Coca-Cola, eux-mêmes relookeurs cyniques, remplis de fric, d’un certain Santa Claus. Déjà connu de votre serviteur sans peur, en tout cas au/du cinéma, via un vrai-faux remake fadasse, dispensable (Silent Night, Steven C. Miller, 2012), où cachetonnaient Jamie King & Malcolm McDowell, Douce nuit, sanglante nuit ne mérite point l’hallali, les oubliettes, mérite d’être exhumé, sa redécouverte. Il s’agit d’une satire du business de Christmas, d’une étude de mœurs, d’un portrait psychologique, sinon psychiatrique. Il s’agit en outre, pour le réalisateur, plutôt porté sur la religiosité documentée, l’amicale animalité, à la TV, de son Voyeur (Michael Powell, 1960) à lui, de son coming out écourté, de son injuste mise au pilori. Durant une heure vingt, Douce nuit, sanglante nuit parvient à créer un climat, à décrire une Amérique pas sympa, à cartographier un Utah aux allures de Canada. Dans Douce nuit, sanglante nuit, l’habit fait le moine, le monstre, le massacreur, le serial killer de slasher sis en estival décembre, la panoplie rouge sang, fissa enfilée, tenue de travail pour employé modèle qui déraille, suffit à réactiver, jusqu’au creux du montage, le triple traumatisme d’un gamin trois fois solitaire témoin, d’abord de la folie prophétique de son grand-père chtarbé, très lynchesque, ensuite du meurtre en bord de route de ses parents en déroute, enfin d’une scène sexuelle espionnée, aussitôt castrée par « Mère supérieure » en personne, viens vite ici, que je te punisse de ton juvénile voyeurisme.



Traumatisé, maltraité, le minot désormais adulte ne supporte plus son intérieur tumulte, réclame ad nauseam du « châtiment » saignant et accumule par conséquent les assassinats stratégiques, sarcastiques, à l’inventivité avérée. L’asile, l’orphelinat, le magasin de jouets représentent ainsi les trois stations principales du calvaire de ce brother de Lucifer, de son enfer dénué de la moindre issue, délesté de magnanime merci. Maudit dès l’enfance, alourdi de ses souffrances, Billy survit, donne le change, ignore la résilience, malgré l’assistance d’une bonne sœur dotée d’un cœur. Finalement, revenu au bercail, bouclant la boucle du cycle infernal, le vendeur à éviter finit descendu, déguisé, tandis que le frère fêté, orphelin, l’un des gosses secoués par la conclusion à main armée, d’une hache, d’un revolver, se tourne vers la mauvaise mère et la qualifie de « vilaine », contamination accomplie, psychodrame à nouveau prêt à se (re)dérouler, héritage d’outrages, dommage. Avec son casting choral convaincu, convaincant, mentions spéciales à Robert Brian Wilson, « a very hot psycho » selon le spécialiste Bret Easton Ellis, à l’épouvantable Lilyan Chauvin, à la secourable Gilmer McCormick ; avec sa guirlande, électrique davantage qu’éclectique, de titres ironiques, de chansons de saison, de chansonnettes suspectes ponctuant la partition synthétique de Perry Botkin (Tarzan, l’homme singe, John Derek, 1981) ; avec son affable direction de la photographie due à Henning Schellerup ; avec son scénario simple mais solide, intéressant, astucieux, signé Michael Hickey ; avec ses poitrines topless incongrues de cahier des charges d’une imagerie malvenue, surtout aujourd’hui, les impeccables Tara Buckman, Toni Nero et Linnea Quigley, la nécrophile du marrant Retour des morts-vivants (Dan  O’Bannon, 1985), s’y collent, ni vaines victimes du récit, ni actrices complaisamment exploitées par des producteur porcins, Douce nuit, sanglante nuit  surprend et séduit, ne s’éternise, se déploiera en franchise.



Au cœur de ténèbres pas si silencieuses, en réalité froidement furieuses, vraiment mortelles, cf. l’intitulé d’origine (Silent Night, Deadly Night), à la fois subjectives et provinciales, le conte pour adultes, d’effroi, ne refroidit pas la foi du spectateur amateur-admirateur d’horreur(s), c’est-à-dire d’une beauté fracassée, d’un délicieux jardin des atrocités, où voir le mal fleurir, où quelques lucides raisons de (sur)vivre cueillir. Dans Douce nuit, sanglante nuit, on dessoude un caissier de petit supermarché philosophant au sujet de l’absence de charité pour à peine 32 dollars, quel larcin dérisoire, on va violer une blonde maman au bébé heureusement encore inconscient, quoique, on préfère in fine l’égorger, je vais t’apprendre à me gifler, espèce de saleté, puis on s’en prend à la souriante Pamela, suis-moi, que j’abuse de toi, en replay de la première profanation, on offre un cutter à une gentille fifille à la sister allongée sur un billard, son amant furibard, pas de pussy à sucer à cause du chat échappé, illico défenestré, olé, on se vole une luge entre mecs, à défaut de déflorer le rosebud de la citoyenne Kane (Citizen Kane, Orson Welles, 1940), voyons qui possède la plus grosse, quitte à en perdre la tête, littéralement, en rime au Toby Dammit psychédélique, au Terence Stamp poesque, de Federico Fellini (Histoires extraordinaires, 1968, co-réalisé par Louis Malle & Roger Vadim), on tire sur un type sourd, violence policière contre un pasteur, Seigneur. Santa n’existe peut-être pas, donc Douce nuit, sanglante nuit nous laisse sur une pietà, Billy assure du fini, la proprette Margaret se désole et console. Certes, accessoirement producer du confidentiel The Boogens (James L. Conway, 1981), Sellier manque de style, et cependant Douce nuit, sanglante nuit, tissé dans son classicisme soigné, saisissez la rime d’une manche à saisir, à lâcher, résiste à l’usure des années, s’extraie du contexte de la décennie 80, conserve une radicalité de mélodrame familial digne d’être remarquée, appréciée.




Pour mémoire, en 1982, en France mitterrandienne, Le Père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré connut la censure de la RATP. Pour rappel, en 1967, du côté de Narbonne, Le Père Noël a les yeux bleus, estimait Jean Eustache. En 2019, Douce nuit, sanglante nuit demeure un divertissement distrayant, endeuillé, précis et pertinent, une œuvre au noir, au maléfique miroir, non un blasphème obscène, une entreprise de corruption auprès de la jeunesse de toute façon jamais innocente, n’en déplaise aux fascistes du confort, du formol, de la bien-pensance, de la bien-filmance, de la factice enfance. Au fond, du désespoir, du trop tard, Douce nuit, sanglante nuit fonctionne à l’instar des moralités grimaçantes des frangins Grimm, des contes de fées défaits, effrayants, stimulants, balisés par Bruno Bettelheim. En coda de son chemin de croix, de son hécatombe soumise au fatum de l’absurdité, de la sauvagerie, d’une abominable Americana, auparavant puissant, impuissant, Billy s’assagit, repose en paix, délivré de son passé réactualisé, catharsis diégétique à la manière d’un répit, voire d’une invite.


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