Les Petits Maîtres du grand hôtel : Garçon !


            La lucidité ? La placidité. Le hiatus ? Le consensus. L’addition ? L’omission.


Les premiers plans symétriques, géométriques, de cuisine, de salon, d’escalier, rappellent bien sûr Shining (Stanley Kubrick) mais, même si l’on y chante, on déchante assez vite, tant pis, devant cet Overlook délocalisé du côté de Grenoble, mis en musique(s) par un émule de Jacques Demy. Les Petits Maîtres du grand hôtel (Jacques Deschamps, 2019) ressemble trop à un documentaire comportementaliste, plutôt que chorégraphique, pour chaîne de TV co-productrice, suivez mon regard vers France Télévisions. En province, après deux projections en salle encore estivales, seul votre serviteur servit de spectateur. Cependant, l’idée de ponctuer le quotidien peu serein des lycéens spécialisés par des clips en regard caméra, donc de transcender un film choral en film de chorale, ne manque point de pertinence, ni de goût, histoire de rester au sein du domaine concerné. En effet, les chansons créent de l’émotion, de la fiction, les déclarations chantées, davantage que d’être des parenthèses enchantées, laissent enfin apparaître quelque chose des interprètes au carré, chanteurs amateurs, jeunes professionnels déjà épuisés par le labeur, auxquels une enseignante bien intentionnée (?) donne fissa une (bonne) petite leçon de soumission, de mise à disposition volontariste, altruiste, des fois qu’il leur viendrait l’envie de résister aux desiderata pas toujours sympas du client friqué, classé « exigeant », comprendre très emmerdant. Au royaume du luxe, nul ferment de marxisme, please ; en classe aux habits classes, que les passants inconscients assimilent à un signe d’argent, prière de rester à sa place, c’est-à-dire dans sa classe, à moins de quitter la toque, de s’affranchir de l’uniforme de service, c’est-à-dire de devenir chef de travaux, à l’instar du principal intéressé, en mouvement, solo rigolo, travelling de dynamo.


Composé d’un entretien jamais mesquin, le dossier de presse succinct nous apprend que le documentariste fit visionner à sa distribution de saison, en floraison, une scène célèbre du Grand Restaurant (Jacques Besnard, 1966), celle de la porte et du plateau, en sus de saynètes signées Wes Anderson, à l’occasion de son The Grand Budapest Hotel (2014), néanmoins Les Petits Maîtres du grand hôtel ne vise ni le mémorable burlesque à la de Funès, ni le comique auteuriste tamisé de Mitteleuropa, voilà, voilà. Il préfère s’offrir en chronique à la fois sympathique et anecdotique d’un univers énergique, peut-être prometteur, voire salvateur. Sans ennui, sans passion, on assiste ainsi à une formation, à une éclosion, où les silhouettes esquissées, musicalisées, tiennent lieu de personnages, où le déroulement indifférent du calendrier scolaire sert d’argument débarrassé de réels et dramatiques enjeux, heureux ou malheureux. Outre la carence essentielle d’une vision vraiment individuelle, d’un point de vue de réalisateur, de maître de chœur, mélomane ou non, l’opus plaisant, presque insipide, souffre de sa lisseur, de son défaut de profondeur, d’un désir implicite de plaire à tout le monde, sinon de ne scandaliser personne, notamment à l’équipe pédagogique, évidemment bienveillante, farouchement irréprochable, au risque de (dé)livrer, au final, un divertissement pasteurisé, une carte de visite inoffensive, un produit d’appel pour futurs élèves, à des années-lumière de la colère justifiée d’un Jean Vigo (Zéro de conduite, 1933) ou du trouble stimulant d’un Jean-Claude Brisseau (Noce blanche, 1989), tandem d’artistes à risque(s), aussitôt ou in extremis censurés, CQFD. En pleine économie capitaliste, même l’éducation publique accomplit sa promotion médiatique, en l’occurrence chante les louanges, via ces gueules d’ange, d’une institution à (bien) présenter, à préserver, à prestige, à renommée, amen.


Avec une provision d’errance, des instants de silence, la mise en avant de blessures devinées, la prise de recul assumée, Les Petits Maîtres du grand hôtel pouvait se transformer en témoignage orignal, en grand petit ouvrage de désillusion et de solidarité, de solitude et d’apprentissage, par conséquent intriguer, voire bouleverser ; il faudra se contenter, en l’état, d’un plat un chouïa réchauffé, d’un standing en définitive digest, d’une série de visages et de ramages juste au-dessus du transparent naufrage, des jolis enfantillages, pas grave, disons dommage.


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