Haunt : House
La peur de Harper, son bazar, son histoire, sa souffrance et sa
renaissance…
Sur l’enseigne lumineuse malicieuse,
surgie au milieu de la nuit, plusieurs lettres HS : on passe par
conséquent de HAUNTED HOUSE à HAUNT, c’est-à-dire d’une habitation
« habitée », forme de passivité, à un élément obsédant, (ré)action à
répétition. Propice à ravir les psys, ce glissement lexical définit le film,
visualise un vide, intronise une hantise. Haunt (Scott Beck & Bryan Woods,
2019) n’inspecte nul spectre, n’affiche aucun fantôme, ne comporte point de
poltergeist. Les types puis les filles de Ghostbusters (Ivan Reitman, 1984 +
Paul Feig, 2016) peuvent aller se faire voir ailleurs, puisque nous voici au
royaume de l’immanence, de la maltraitance, pas de la transcendance, de la
survivance (post-mortem). Survival en huis
clos, aux couleurs fluos, Haunt se déroule pendant la période
de Halloween, mais la citrouille balancée contre la porte jaune donne le ton
dès l’introduction, congédie sans douceur le classique de Carpenter, comme le
téléviseur vandalisé à l’orée de Twin Peaks: Fire Walk with Me (David
Lynch, 1992) fracassait la filiation du fameux feuilleton. Ici, fi d’inceste, de
possession, de prostitution, voilà un mari minable, qui bat sa femme, un petit
ami alcoolique, qui cogne sa copine, en sus de traumatiser la cucurbitacée
précitée. Et, last but not least, une
troupe sinistre de mecs masqués, massacreurs in extremis massacrés, meute de loups aux prises avec un Petit
Chaperon rouge d’occasion, d’émotion. Quel quidam
se cache sous le masque ? Un tatoueur et des exécuteurs, aux faces
défigurées, aux figures redessinées, à faire passer Pinhead (Hellraiser,
Clive Barker, 1987) ou le rescapé (des
camps) du Cri de Munch pour des prix de beauté, des modèles distingués.
Au-delà de leur présence assez sidérante, fascination à base d’attraction, de
répulsion, nos transhumains guère sereins donnent un visage d’outrage(s) au
père décapité, tourmenteur et bonimenteur étêté, à peine aperçu en POV par la petiote
planquée sous son sommier.
Hier, Harper affrontait en solo un
monstre familier, à domicile ; aujourd’hui, l’étudiante grandie, escortée
par cinq condisciples, combat autant de fadas, prisonnière (in)volontaire d’une
demeure a priori ludique, en réalité à la fois anatomique et symbolique,
moyen de surmonter son trauma en
société, de revisiter son enfance, de tester sa résilience, chambre d’Alice (de
Lewis), de supplices, incluse. Le dédoublement des édifices duplique d’ailleurs
le tandem à la tâche (qui tache), car
l’on doit Haunt au duo de scénaristes de Sans un bruit (John
Krasinski, 2018), sur lequel j’écrivis aussi, (re)lis-moi, délicieux scélérat.
Sorte de Fort Boyard en forme de cauchemar, épreuves à l’aveugle, énigme
magnanime, bestioles fofolles, clés ad
hoc, cagnotte de philanthrope, pour
la Croix-Rouge, of course, sis au
sein d’un Kentucky rempli de gris, ce métrage certes un peu long possède une
certaine séduction, écrit, éclairé, filmé (en widescreen), interprété avec soin et solidité, mention spéciale à la
convaincante Katie Stevens, issue de American Idol, nobody’s perfect, en effet. Au niveau de l’arsenal, forcément
létal, foutrement fatal, énumérons un tisonnier (de mise en scène obscène), une
fourche (de diable), un cloueur (de sauveur), un marteau (massif), un crochet (pour
dépecer les traits du cadavre, déguisé en mille-pattes patraque), un fusil à
pompe attaché à un fil (du rasoir), une tronçonneuse (presque texane), une
batte de base-ball (bienvenue) et un
second shotgun, cette fois-ci tenu
par la survivante very vénère, auparavant
hospitalisée, son propre foyer fissa transformé en piège machiavélique, collant,
pour clown maboule, incendiaire muni
de ses coordonnées, donc digne fifille putative du Charles Bronson tout sauf hospitalier
du Justicier
de New York (Michael Winner, 1985) over
the top (vilain voyou, évite la fenêtre suspecte, please !).
En Amérique nordiste, on va finir par
le savoir, au risque de s’en décevoir, les conflits, psychotiques ou pas,
tribaux or no, se règlent à main
armée, point genrée. La coda sympa dut n’en doutons pas réjouir l’incorrigible
Eli Roth, producteur déconneur, porté sur le girl power, toutefois Haunt,
heureusement, ne succombe pas une seconde au second degré, souvent décérébré, sinon
rassurant, ni au gore à grand (et
fastidieux) renfort. Il s’agit, résumons, d’un opus sérieux, bicéphale, mystérieux et trivial, d’un croisement
stimulant entre l’extermination à la Agatha Christie et la tératologie
anxiogène à la Freaks (Tod Browning, 1932). En 1981, le master (of horror) Tobe Hooper nous affolait avec
sa Funhouse,
item renommé de manière commerçante,
en français, Massacre dans le train fantôme, autre récit d’une monstruosité
cachée, d’un jeu dangereux. S’il ne saurait se hisser à la hauteur du Hooper, « autres
temps, autres mœurs », l’obscur et méconnu Haunt mérite d’être mis
en lumière, modeste et sincère exercice de catharsis US incitant, mon enfant,
sans démagogie jolie, à se méfier des adultes, de leur tumulte, de leur culte.
Durant l’introduction, Harper maquille son cocard causé par son tocard, jette
un œil discret, inquiet, à La Nuit des morts-vivants (George A.
Romero, 1968), télédiffusion funeste, prophétique, de fable infanticide,
révolutionnaire, où la (naissance d’une) nation dévore littéralement ses
rejetons, unisson du Vietnam ou non, où la cellule familiale se métamorphose en
incestueuse cuisine cannibale. Cinquante ans plus tard, la lutte
intergénérationnelle se poursuit, Donald Trump dirige le pays, le cinéma classé
horrifique rapporte du fric, s’effraie de la fureur, même pas peur, ou alors en
retard ressasse un racisme dégueulasse, pléonasme, déjà, jadis, travaillé par
Romero (Get Out, Jordan Peele, 2017).
Sur son lit immaculé, pensive et
pansée, Harper rêve de sa maison à la Dorothy Gale (Le Magicien d’Oz, Victor
Fleming, 1939), à la Sandy Williams (Blue Velvet, David Lynch, 1986), la haie, l’allée,
ohé, olé, de sa maman lui souriant, l’enlaçant, instant poignant. Lorsque le
songe s’estompe, lorsque le film se termine, que (te) reste-t-il ? Le
désir de (sur)vivre, de traverser le dédale absurde, insensé, de l’horrible
réel, en quête d’un meilleur ailleurs, d’une once de sérénité, d’un corps
soustrait le temps d’un accord à la mort. Haunt ne vous hantera pas, il vous
invite pourtant à ne pas baisser les bras, à faire face à des Rubberface en
ersatz de Leatherface, histoire de démasquer/dépasser un peloton de démons
intimes, miroités, puis de sortir, de partir, loin des pires souvenirs,
esseulé(e), en liberté, quelque part, provisoire, sous l’immense et indifférent
ciel étoilé, allez (en paix).
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