Cellar Dweller : Whitney
Phylactère d’enfer, magie mauvaise des images d’un autre âge…
A contrario du
célèbre Creepshow (George A. Romero, 1982), le méconnu Cellar Dweller (John Carl Buechler, 1988) ne se limite pas à l’illustration
nostalgique, amusante mais anecdotique, de bande dessinée satirique,
horrifique, puisqu’il se risque à la mise en abyme, réfléchit vraiment, de
manière guère emmerdante, aux enjeux de son sujet assez vertigineux. Film court
d’une heure et quart, lettre d’amour adressée à l’art populaire, en peinture,
en littérature, bien sûr au cinéma, opposé à un classicisme universitaire,
méprisant, vieillissant, ce huis clos co-conçu par les États-Unis et l’Italie
à l’époque de Charles Band, de son petit Empire, mérite sa redécouverte en ligne,
en VO sous-titrée en anglais, practise
your English, please. Après un prologue presque muet, très enlevé,
(ré)animé, participation express de
Jeffrey Combs en Robert Crumb de cave, occis par sa propre création concoctée
avec un ersatz du Necronomicon, nous revoilà au début de Suspiria (Dario Argento,
1977). Une juvénile et enthousiaste cartooniste débarque en pleine campagne,
sans passé, sans avenir, sans une minute à perdre à écouter les palabres du
chauffeur de taxi à propos du sinistre passif du site, le compteur tourne, time is money, indeed. Joan Bennett ne
lui ouvre plus, de façon littérale, la porte de son académie de danse démente,
remplacée par son homologue Yvonne De Carlo, jadis épouse de Moïse/Charlton
Heston au temps des Dix Commandements (Cecil B. De Mille, 1956), désormais gérante
d’un institut-résidence d’artistes sélectif, autarcique, privé de TV, de
téléphone, par conséquent à l’isolement sadien, érigé sur le lieu du drame
inaugural, vrai-faux assassinat/suicide attribué à tort au dessinateur sidéré,
à la hache héroïque, auparavant solitaire, prenant plaisir à retoucher ses
planches.
Il suffit d’un aphorisme un brin nietzschéen,
contempler le mal reviendrait à l’inviter à la maison, pour que tout déraille,
s’emballe, finisse dans les flammes. Plutôt que résonner en rime soumise, le
plan et la case forment un tandem
stimulant, écart en miroir du ciné et de la BD, disons en mode Sergio Leone. L’architecture
fichtrement freudienne affiche une porte refermée sur le surnaturel secret, sur
la noirceur de la psyché, sur un espace obscur éclairé par le savant Sergio
Salvati, collaborateur régulier de Lucio Fulci, à l’ouvrage aussi sur le
claustrophobique Crawlspace (David Schmoeller, 1986), où se taisent d’antiques
et intactes statues immaculées, où rugit un holocauste ad hoc, foyer de l’esprit transformé en feu qui détruit. La fifille
fanatique de fantastique explicite se recherche peut-être un père par
procuration, dont poursuivre l’opus,
fi des décennies, à l’instar des réalisateurs héritiers de la Nouvelle Vague,
elle rêve d’ouvrir l’huis intérieur, interdit, en consœur de cœur des épouses trop
curieuses de Barbe-Bleue, elle visualise, savoure son fantasme de violence et d’outrance,
doté d’une victime ressuscitée/redressée à la Nosferatu, en série, si loin de
la studieuse Midge de Sueurs froides (Alfred Hitchcock,
1958), pourtant pareillement penchée sur sa table de travail, à tracer de sages
soutiens-gorges dignes de l’industrie aérospatiale. Remarquez au mur de sa
chambre une affiche de Re-Animator (Stuart Gordon, 1985) ;
appréciez ses condisciples de « colonie », sympathique peintre
abstrait, performeuse alcoolisée, amateur majeur de Mike Hammer, chipie éprise d’un
projet de « vidéo vérité », en français dans le dialogue, petite
démonstration des mensonges du montage en sus. Le cauchemar de la novice Whitney
raccorde sur un cri déceptif, déstressant, marrant.
Des ballons bousillés, des poupées
épinglées, servent d’accessoires personnalisés à la danseuse déplorant la tristesse
du décès. Une enquête pour plagiat, totem de la thématique, se viande vers la
vengeance. Il convient avec ivresse de (re)créer la réalité, de constater avec terreur l’indépendance du produit. Sortie de sa douche à la Psychose (Hitchcock,
1960), Lisa se fait zigouiller, olé, son œil illico avalé par la créature émancipée du papier. Cependant du correcteur
liquide provoque sa liquidation d’occasion. L’étudiante désarmante, émouvante, armée
de son crayon, en vient à comprendre que ses croquis engendrent autant le
trépas que la renaissance, elle redessine les disparus, les ramène brièvement à
la vie. Hélas, à ce jeu sérieux, on ne peut que perdre, et les muses perdues ne
se dénombrent plus, retenons l’Eurydice d’Orphée ou la Madeleine de Scottie
Ferguson. Enchaîné tel le Prométhée d’Eschyle, raillé par le macchabée
retrouvé, le monstre prend vite sa revanche, à base d’incendie de boucle
bouclée, au moyen de dessins trop rapidement incinérés. In extremis, dédoublé, il déclare résider dans l’imagination sans
merci, sans CV, sans propriétaire ni droit de propriété, d’auteur, de copyright, cristallisation d’une force fertile
et fatale qui dépasse les artistes, les traverse, les révèle à eux-mêmes, les
enterre au cimetière. La tendre Whitney valide cette dure vérité, son cri final
retentit, assourdi par ses larmes de (dé)négation, de lamentation. Si, on le
sait, Alfred Hitchcock enviait à Walt Disney le pouvoir de déchirer ses
personnages ratés, incapable de le dupliquer en présence de piètres acteurs, A good cast is worth repeating, locution
vintage du générique, alors saluons Pamela
Bellwood, Debrah Mullowney, Cheryl-Ann Wilson, Vince Edwards & Brian
Robbins.
Certes, rien n’empêche de préférer à
tout ceci le davantage roboratif La Main du cauchemar (Oliver Stone,
1981), c’est-à-dire la main coupée, coupante, de Michael Caine déguisé en
bédéiste éprouvé. Cela ne saurait équivaloir à minorer les qualités avérées
d’un métrage filmé par un estimable maquilleur, même délesté de personnalité,
de paresse, écrit par Don Mancini, alias
Kit Du Bois, géniteur du peu choquant Chucky. En 1973 paraissait ici Le Rôdeur devant le seuil, prolongement du matériau de mots de Howard
Phillips Lovecraft par l’amical August Derleth. Depuis 1988, le porteur de
pentagramme planqué au sous-sol persiste à séduire, à nous dire deux ou trois
choses de valeur, notamment au sujet du danger de la mimesis, de la mise à nu,
de la mise à disposition, déjà énoncé par William S. Burroughs. Nul besoin de
s’appeler Salman Rushdie pour expérimenter la dérangeante étrangeté du simulacre
médiatisé, surtout à l’ère de la diffusion numérisée, au royaume du commentaire
anonyme, rarement magnanime. Plus profondément, l’acte créateur participe d’un
élan destructeur, d’un fascisme festif, d’une mélancolie féconde, d’une
autobiographie élargie à l’horizon du cosmos, au moins romantique, en prise
directe, voire sous l’emprise inquiète d’énergies amorales, immortalisantes et
létales, cf. Le Portrait ovale de Poe – moralité lucide, adulte, d’un petit
film plus grand que lui-même, que la somme de ses parties, à la fois
divertissement convenu, jamais malvenu, et art poétique, politique, l’art en
marge de la Cité, l’art en nécessité sociale, comme un conte drolatique et
métaphysique.
Commentaires
Enregistrer un commentaire