Meurtre sous contrat : Le Professionnel
Exhumation ? Alié-nation.
Ce diamant méconnu démontre de
manière exemplaire que le talent ne dépend pas de l’argent, que l’intensité se
dispense de la durée. Tourné en sept jours, étendu sur une heure vingt, désargenté, délesté de stars, absent des mémoires, sinon de celle d’un certain Scorsese, assidu
de névrose et d’église, Murder by Contract (1958) séduit et
sidère à la façon d’un soleil noir, d’une leçon bressonienne adressée aux
épuisantes pleureuses du ciné indé. L’éphémère Irving Lerner, venu de l’universitaire,
du documentaire, monteur pour Kubrick (Spartacus, 1960) et « Marty »
(New
York, New York, 1977, dédicace de décès), s’entoure de gens compétents,
citons Lucien Ballard, collaborateur régulier de Peckinpah, à l’ouvrage sur Laura
(Preminger, 1944), Les Rats du désert (Wise, 1953), L’Ultime Razzia (SK,
1956), The Party (Edwards, 1968), à la direction de la photographie ; Perry Botkin, arrangeur pour Carly Simon, Barbra Streisand, Harry Nilsson et
partenaire de Barry De Vorzon, à la composition ; Vince Edwards (L’Ultime
Razzia + Too Late Blues de Cassavetes, 1961 ou Le Coup du siècle de
Friedkin, 1983), Herschel Bernardi (Irma la Douce de Wilder, 1963), Phillip
Pine (Nous avons gagné ce soir de Wise, 1949), Katie Browne, Frances Osborne et Caprice Toriel à la distribution ; Ben Simcoe, possible alias de Ben Maddow, signataire obscur, blacklisté, de Quand
la ville dort (Huston, 1950), L’Équipée sauvage (Benedek, 1953), Johnny
Guitare, Ray, 1954), au scénario. Si l’argument et la tonalité peuvent
annoncer/rappeler ceux du The Hit (1984) de Frears, l’essentiel
se situe ailleurs, l’existentialisme ne s’avère guère solaire. Confrère et
frérot de Jef Costello (Le Samouraï, Melville,
1967), Claude, aussi narcissique, moins laconique, plus sociable, quoique, tombera
idem sous les balles policières, à
cause d’une pianiste plus forte qu’il ne le croit, rétive au statut de proie.
Il incarne de surcroît un capitalisme
létal, artisanal, Il dit adieu à son salaire de misère, il passe durant deux
semaines hôtelières le test d’endurance
de son commanditaire. Son impatience se dissout dans l’exercice physique,
l’écoulement du temps scandé par un réveil-crécelle. Aux USA, l’assassinat
constitue un commerce, un métier rêvé pour étranger à la Camus. Malin,
méthodique, misogyne, Claude fait ses comptes comme Marion Crane (Psychose,
Hitchcock, 1960, autre modèle d’économie cinématographique), déclare avoir une
copine à Cleveland, vise l’acquisition d’une maison dans l’Ohio. Il ne supporte
pas les « porcs », au propre, au figuré, il « n’aime pas les
femmes », a fortiori les témoins de fraude fiscale à dessouder fissa, il leur
attribue la « curiosité » du « singe », dont elles « descendent »,
l’instabilité problématique de leur sexe, gages à augmenter. Tel le Harry
Powell de La Nuit du chasseur (Laughton, 1951), la chair l’indiffère, la
saleté le révulse, écarte cette tasse de café souillée de rouge à lèvres des
miennes, de ma vue, esclave apeuré en livrée, à pourboire de cinq dollars. Dépourvu de désir, le « démolisseur »
sans remords, sans morale, s’autorise à jouer les touristes à Los Angeles,
flanqué de co-équipiers/geôliers à la Laurel & Hardy, séides en costard de
l’invisible big boss téléphonique, baptisé Brink. Comment occire ses concitoyens,
se demande le délocalisé s’exprimant à l’instar d’un « citoyen »,
comprenez d’un péquenot, incapable de comprendre le mot cop. Le film enfile les moyens taquins, rasoir, perfusion, couteau,
fusil, flèche et sommet d’ingéniosité perverse, ratée, datée, la haute tension
branchée sur un poste de télévision ! Chez Frears, Terence Stamp philosophait,
pontifiait, mais son masque stoïcien finissait par tomber, ne me plantez pas, please, avant de revoir Paris…
Claude à son tour s’inquiète,
suspecte le cadavre féminin de la manchette rusée, femme-flic de méprise, déguisée
en domestique, descendue à distance, information-confirmation fournie par une
secrétaire un peu prostituée, escort
alcoolisée, sentimentale, au lipstick
indélébile, autant volubile et imbibée que l’ancienne femme de ménage
congédiée, au boulot, à rouleau, tu peux me montrer ton aspirateur, mon cœur.
Son Brink’s
Job à lui, titre original d’un Friedkin de 1978 rebaptisé en français,
admirez le jeu de mots, Têtes vides cherchent coffres pleins,
ne se déroule pas selon ses plans, le déroute, suscite ses doutes, donc son
humanité. L’automate poliment arrogant, moqué d’un « Superman »
multiplié, usité en sobriquet, sent que cette affaire pourrait être la
dernière, qu’elle lui porte la « poisse » – l’homme rationnel,
émancipé du sentiment, à peine soumis à ses besoins élémentaires, succombe à la
superstition, à la tension, ne parvient à étrangler de sa cravate la virtuose
recluse, à peluche, en léopard. Le voilà « fait comme un rat »,
littéralement, fugitif nocturne de canalisation étudiée, enfumée, mitraillée,
sa main ensanglantée apparue hors de l’orifice utérin pendant le dernier plan. Cool et iconique, Claude subit un sort
ironique, s’escrime, inconscient, à se rendre à Samarcande, rendez-vous final
et fatal de fable orientale. Edwards égalerait Delon ? Non, car pas
suicidaire, car penché sur la nuque immaculée en écho au Mark Lewis du Voyeur
(Powell, 1960). Claude ou la quintessence de l’absence, à soi, au monde, et Meurtre
sous contrat, cadré au millimètre, chaque plan pour ainsi dire parfait,
pensé, puissant, ou le « film noir » évidé de son folklore de femmes
fatales, de hors-la-loi en cavale, de transgression par procuration.
Pure figure, le personnage débarque
sur un quai de gare en transparence, s’esquive d’une salle de cinéma, croise un
studio désert, en ruines, ex-propriété
de Chaplin. Beau mec sans qualités à la Musil, il pratique le home invasion, se fait essuyer son dos
de nageur par un George pas trop à contrecœur, admiratif et néanmoins craintif.
Une fois ce dernier puis son acolyte Marc éliminés, la tanière judiciaire le
prend au piège, rime avec le siège du western,
se remplit du requiem jazzy du destin point serein. « L’opérateur
de comptomètre » découvre en retard que le compte à rebours s’écoulait
pour lui, par pour Billie, cible au prénom androgyne. Lerner filme au scalpel,
dégraisse au maximum, accomplit
beaucoup avec presque rien, délivre un thriller
moqueur, à l’humour noir assumé, pas si discret, un conte contemporain sur la
pauvre valeur d’une vie, un métrage minimaliste et marxiste, le portrait dédoublé
d’un pantin policé, d’un pays « civilisé », met en parallèle
explicite le magasin de jouets, l’armurerie, divertissements dangereux,
régressifs, pour petits et grands enfants d’une nation à main armée, la licence
n’incombe qu’au bazooka, hourra. En
plongée ou contre-plongée, Claude refuse d’utiliser une arme à feu, et les
cinéphiles épris de psychanalyse se délecteront de ce détail capital, aveu
voilé d’impuissance, de tir à blanc ou d’incendie joli, mise en scène
audiovisuelle et non embrasement de passion. Plus tard, en 1989, John Woo
relira Melville et accompagnera un mémorable The Killer sur son chemin
de croix catho de mélo homo, d’aveuglée collatérale. Pour l’instant, Meurtre
sous contrat vous attend, regarde droit dans les yeux la
cristallisation individuelle d’une insanité collective, sait intéresser,
amuser, captiver via la maestria de
la caméra. Un film de série B ? Surtout une allégorie élégante,
pertinente, de classe A, oui-da.
Un classique du genre.
RépondreSupprimerUn indépendant plaisant...
SupprimerArticle élégant et sensible, dans un autre registre, quoique, ce film de Verneuil 1960 où Pierre Mondy joue à merveille un homme quelque peu mutique, désespéré, idéaliste et passionné d'une émouvante manière : L'Affaire d'une nuit https://www.youtube.com/watch?v=0kTdmYs-F9k
RépondreSupprimerhttp://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/06/a-pollux.html?view=magazine
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