Grace Kelly : D’Hollywood à Monaco, le roman d’une légende : Le Monde comme volonté et comme représentation
Patricia pleine de grâce, priez pour nous, pauvres spectateurs de vos
films et de votre vie.
« Une petite conne
ambitieuse » osait naguère James Ellroy à propos de Marilyn Monroe, un
temps suggérée pour accompagner Rainier, d’ailleurs, par Onassis, si l’on ne
s’abuse : trait très réducteur, pas entièrement faux, et nonobstant une
courtoisie élémentaire, very Frenchy,
on pourrait rapprocher la Quaker meurtrière
de Zinnemann, la poupée (pas encore Barbie, tandis que Mattel se fendit d’une
figurine en partie caritative à son effigie) oscarisée aux gants blancs, à la
virginité perdue, donnée, au mari d’une amie de sa mère, aux innombrables
liaisons réelles ou supposées, sincères et/ou cyniques, puisque cela sert aussi
à faire avancer une carrière, même éphémère, de la princesse et pute – dans cet
ordre « inversé » – du film de Marc Dorcel, de son héroïne féerique
pour adultes (possible définition de la pornographie, où personne ne débande,
ne pleure, ne souffre, sinon volontairement, en mode SM, ni ne meurt du SIDA),
quand « l’icône » hollywoodienne suivit l’itinéraire contraire,
devint la protagoniste d’une fiction royale avant de rencontrer brutalement la
réalité sous la forme d’un « rail de sécurité » sur une route en
lacet, trépas à la Jayne Mansfield, à la Camus, à la Duvivier, à la Crash
de Ballard (no more Liz Taylor), en bien moins spectaculaire, certes, et sa Stéphanie majeure, pas
encore réinventée en ersatz météo de Jeanne Mas, assise à la mal nommée, pour
cette fois, « place du mort », désormais « dans un territoire
dont on revient difficilement : la culpabilité ». Cependant Grace
Kelly, pas celle de Mika, ça va pas, les gars ?, encore moins la funèbre Nicole
Kidman dans l’apparent désastre d’Olivier Dahan (sa « Môme » à lui,
impressionniste et performeuse, nous donnait déjà des sueurs froides d’ennui), vaut mieux que cela, image pure à la pureté suspecte (toujours, partout) et
créature de chair, de sang, de sperme hautement préférable non par médiocrité
mais fraternité, de « sujet » monégasque ou de cinéphile émancipé,
voire énamouré.
Qui mieux que Hitchcock, pervers
impénitent, qui lui expédia une laisse en dot, avant le cercueil de Miss Hedren adressé à sa Melanie
Griffith de fille, sut percevoir cette scission-fusion,
cette persona au carré, avant que le
second homme principal de son parcours terrestre ne la « dérobe » à
la « Mecque » (en carton-pâte névrosé, surfait) du cinéma, dans le
sillage d’un Rossellini débauchant la Bergman, histoire de lui faire sentir la
sueur des pêcheurs siciliens et le parfum de l’invisible sur les hauteurs épiphaniques
d’un volcan (anal, rajouteront les épris de symbolique psychanalytique), avant
qu’un banal excès de vitesse ne la hisse au sommet du souvenir, à proximité de
la sainteté encore plus dangereuse que la pitié, dirait Zweig, embaumée dans
une aura « d’âge d’or »
filmique, de philanthropie laïque (et catholique) ? Ni sainte ni putain,
un peu des deux, tant pis, tant mieux, et, en cela, à l’image de beaucoup
d’autres femmes (d’hommes également), qui se reconnurent en elles, qui
voulurent lui ressembler, qu’elle parvint à émouvoir sur grand écran ou via le direct de la mondovision
monarchique en matrice de la mondialisation démocratique contemporaine, car le
destin de Grace, laborieux et fabuleux, annonce la dissolution de l’identité,
de l’intimité, l’avènement du réel télévisé, mis en scène, du glamour et du storytelling généralisé, en politique et au-delà, la gamine WASP de
Philadelphie, aux origines irlandaises, avec sa fortune paternelle de
briqueterie, récit archétypal de la réussite made in USA, après un passage par New York (mannequinat, publicité,
« dramatiques » en direct) puis L.A. (un Hathaway méconnu, un Ford
africain très dispensable, des personnages pour George Seaton, Andrew Marton,
Mark Robson, Charles Vidor, Charles Walter remakant Indiscrétions de Cukor,
Grace Kelly à son tour nommée Tracy Lord, ce qui nous ramène, à deux lettres
près, vers les rivages du X), se vit sacrée à Monaco, rocher à la Sissi perché
sur des eaux nazies, depuis un peu assainies de père en fils.
Du patriarche avaricieux d’amour et
de reconnaissance au prince (pas tant) charmant infidèle, la star « transatlantique »
connut une trajectoire d’environ cinquante années, où le cinéma, finalement,
occupe une place réduite. Elle joua néanmoins, constamment et brillamment, un
rôle, devant l’objectif (des réalisateurs, des paparazzi) et même derrière,
immortalisant la drôle de vie de sa famille princière, à la banalité argentée,
en huit millimètres et apparitions fantomatiques à la Hitch. Tout ceci, à vrai
dire, nous demeure en partie étranger (un livre à un euro en bon état tu
achèteras) ; les anecdotes, les coucheries, les débuts, les consécrations, les
récompenses, les parures-impostures (car, n’en déplaise aux belles âmes éprises
d’absolu, adeptes mallarméens se nourrissant uniquement du « ciel
antérieur où fleurit la Beauté », les « têtes couronnées »
défèquent aussi, parfois atteintes de myopie ou de migraines ophtalmiques), la
pression de la fonction, les agendas remplis, les fleurs chéries, le spleen des nantis, l’industrie du luxe, l’impact
du pathos, on les laisse volontiers aux biographes, aux psychologues, aux
sociologues, aux économistes, aux spécialistes des médias. Chacun et chacune, à
vrai dire, possède sa propre vision de Grace Kelly, et celle de Sophie
Adriansen, auteur de « littérature générale et jeunesse »,
« co-signataire de témoignages » et « formée à l’écriture de
scénario à la Fémis » (on en frémit), également auteur d’un ouvrage
consacré à de Funès (susurre la quatrième de couverture) et blogueuse-lectrice
(ou réciproquement), séduit par sa modestie, son délié « vieux
français » (ah, ces imparfaits du subjonctif répétés), sa bonne distance
vis-à-vis du sujet, jamais dans la dérision ou l’adoration, le crachat ou la
révérence.
Pleine de sagesse, cette Sophie-ci ne
s’identifie pas, ne rentre pas dans la peau de papier d’un « mythe »
pérenne, malgré ou grâce (sans jeu de mots, quoique) à un avertissement
littéraire liminaire : « Et cette légende, puisque les contes de fées
n’existent pas, s’écrit comme un roman. » Outre des
« prémonitions » de pellicule – à ce petit jeu macabre, on renvoie
vers Le
Bal des vampires et Rosemary’s Baby, dérangeant diptyque
d’une tragédie « satanique » – discutables et significatives, car la vie imite l’art, non le contraire, nul ne l’ignore plus selon Oscar Wilde, que reste-t-il de « Grace Kelly » (presque une marque déposée)
aujourd’hui ? D’abord et avant tout, en sus de babioles horticoles,
prophylactiques, chorégraphiques, un CV écourté, resté inachevé, en dépit de
propositions renouvelées, dont celle de Pas de printemps pour Marnie, au
conflit freudien quasiment autobiographique, le désamour maternel substitué à
son avatar paternel (je psychologise à dessein et dans les pas de Mademoiselle
Adriansen), un éternel (double sens) trio de films hitchcockiens, acmé de
noirceur légère, méta, invalide (impuissante ?) et voyeuriste entourée de
bulles de champagne en huis clos, en 3D, en chemise de nuit armée d’une paire
de ciseaux, sur une French Riviera en
rivière de diamants, aux toits sans Dalí, merci, au feu d’artifice orgasmique
bon enfant. Dans Le train sifflera trois fois, loué ici même, Grace Kelly (simultanément
croquée par Cooper et le cinéaste, quelle santé !) promettait, dans Le crime
était presque parfait, Fenêtre sur cour et La
Main au collet, elle devient enfin telle qu’en elle-même le regard d’un
artiste amoureux (ou amical) la change, la révèle (Une fille de la province,
piège à prix, Le Cygne, trop clairement allégorique, ou Haute Société, passé
transposé, nous paraissent moins riches d’ivresses, on demande à les découvrir
un jour, qui sait).
La double ou triple actrice – un tandem de citations résume le
dilemme : « Je ne suis jamais Grace Kelly, je suis toujours quelqu’un
qui ressemble à Grace Kelly », « L’idée que ma vie a été un conte de
fées relève elle-même du conte de fées » – conserve indiscutablement son
clair mystère de femme, d’étoile, accessoirement d’altesse. Rappelons de
surcroît que sa Lisa Carol Fremont donne au photographe en fauteuil l’un des
plus érotiques, pudiques, oniriques, lyriques baisers de cinéma – trop tard
pour croire aux anges (les démons, on les croise par légion, au miroir et en
dehors) mais le pouvoir présent d’assurer que ces quelques secondes d’éternité fragile
lui survivent superbement, et constituent un écrin mutin à sa grâce en effet « souveraine »,
sereine. Grace Kelly for ever, votre
honneur.
Je viens de revoir "Rebecca" d'Alfred Hitchcock, fantôme d'une très belle femme aux multiples amants comme Grace Kelly, mais immensément moins... gracieuse, pour dire les choses avec grâce
RépondreSupprimerJ'apprécie Joan dans Rebecca, Soupçons, Ivanhoé ou même Lettre d'une inconnue d'Ophuls, lu(e) ici même ; blog very gay friendly que le vôtre, mais (tant mieux !) appréciable par un cinéphile straight pas toujours joyeux bien qu'admirateur de Burroughs, Fassbinder ou George Michael (ils reviennent souvent sous mon clavier, sans jeu de mots, quoique) ; PS : plus que quelques heures pour (re)découvrir sur ARTE le portrait de Miss du Maurier, elle-même davantage bi...
Supprimerhttps://plus.google.com/106170379069349876855/posts/Y5Q4cJZch7u
merci pour l'info sur Daphné !! ... si je fais un bilan j'ai beaucoup de fantômes moi aussi sur mon blog, presque tout le monde est parti de l'autre côté du miroir !! ... je suis un cinéphile qui préfère le cinéma classique années 1940, 1950 ...
SupprimerVous devriez donc trouver ici de quoi vous intéresser, en compagnie de Bette Davis ou Marlene Dietrich, par exemple ; et nous traversons tous, un soir ou l'autre, la glace (qui nous reflète déjà) de Lewis, avec ou sans Alice...
SupprimerAutant de vues sur Youtube pour un type MIKA qui imite Mick Jagger en chevauchant la Grace Kelly sans autre forme de procès, tout ça me laisse de glace et pleine d'effroi comme dans les films d'Alfred H...https://www.youtube.com/watch?v=0CGVgAYJyjk&list=PLhk9GTM34ty4ZayEbDzRLa8JLjKcEMm5b&index=74
SupprimerDispensable ersatz de l'immortel Mercury, même si ceci s'avère presque en comparaison supportable :
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=3b8btcCmL0c