Un coup de dés jamais n’abolira le nanard

 Exils # 77 (29/01/2025)


Louise démissionne comme John (Carter), secrétaire licenciée à l’insu de son plein gré. Jusqu’ici elle faisait bouillir la marmite, pas seulement de spaghetti à table servis, elle rapportait du fric ; elle va désormais en dépenser, héritage de tantine itou. Le couple d’entourloupe et ses fistons concons viennent d’emménager dans le quatorzième, le mari archi(tecte) et motard ne détecte néanmoins la fissure du foyer que trop tard. Avant de lui filer une gifle, il glissait sa main entre ses cuisses, aux « bas de soie », voyez-vous ça. Avant que le pauvre homme ne déconne, ne coule son propre cabinet inauguré, n’apprenne plongé le japonais, il invitait sa moitié à se réinventer, pratiquer de multiples activités, ne pas perdre son temps en mode Jean-Claude Romand. Pourtant la peinture coûte que coûte – y compris le portrait coloré de la domestique dite de couleur, fumeuse et danseuse – ne produit que des croûtes, dont se débarrasser sans se retourner dans le premier terrain vague (bien)venu. Alors que les gosses lisent à table, s’essaient à l’espionnage ou à la lutte des classes lamentable, une double routine s’installe, celle en surface du bosseur, celle de l’oisive en profondeur. À lui le boulot, à elle le bistrot, où croiser des « ratés » sympathiques pas si altruistes, où s’encanailler au creux moins malheureux, quoique, d’une communauté de quartier, au racisme inoffensif, cf. les piques tout sauf frontistes d’un facteur « antillais » flanqué d’un marchand de cravates « hongrois », rime magnanime au refus affiché sur un mur, symbole d’époque, de proche touche pas à mon pote, de socialisme machiavélique aux manettes suspectes la semaine suivante. Encore foutue dehors, cette fois-ci du domicile conjugal, ça va mal, Louise au lit écoute des extraits de la correspondance Hugo & Drouet, que lui lit une actrice apprentie très attendrie.

Plusieurs parties de poker plus tard, malchance et revanche, connards en costards qui la charment et la plument, de champagne lui offrent des flûtes, le vrai-faux rival sentimental d’aristocrate désargenté enfin inanimé, la joueuse malheureuse et le Henri démuni se retrouvent réunis, flambeuse à La Flambeuse, CQFD de coup de dés. Puisque la vie va vite, on va éviter de s’éterniser, se limiter à signaler qu’Antenne 2 finança ce téléfilm infime, que la responsabilité de sonore inanité en revient à une certaine Rachel Weinberg, ancienne de l’IDHEC et ex de Guy Casaril, le réalisateur du Rempart des béguines (1972) + deux autres titres selon votre serviteur étudiés aussi. La cinéaste et scénariste point prolifique, décédée en 2018, laisse un testament inconsistant, pas un instant convaincant, au féminisme rassis assorti d’une tentative risible de sociologie. Éclairé délavé par Strouvé, directeur de la photographie chez Varda & Vecchiali, musiqué de manière insupportable par un compositeur toutefois trois fois lauréat du grand prix de la Charles-Cros Académie, La Flambeuse (1981) mérite l’amnésie, feu froid dès sa sortie, drame de chambre et d’antichambre au (dé)goût de cendre, a fortiori placé à côté du différemment similaire et infernalement solaire La Baie des anges (Demy, 1963). Si le casting choral relève du bancal, si Blain par ailleurs estimable auteur bressonien – je vous renvoie vers l’ouverture (Les Amis, 1971) et la coda (Ainsi soit-il, 2000) de sa filmographie – fait le job sans trop d’effort, si Terzieff semble fatigué de l’item et de lui-même, la seule bonne ou mauvaise raison de rester jusqu’au bout du brouet, comme si l’existentialisme d’Antonioni se voyait lessivé via le naturalisme franco-français, réside bien sûr dans la présence absence de la Massari, son prénom pourvu d’un accent d’occasion, étoile elle-même portée sur les toiles et les problèmes pécuniaires.

Le lecteur se reportera ou pas à l’esquisse énamourée que je lui consacrais jadis, discussion adulte incluse. Il commence à savoir le peu de crédit que mon esprit et ma cinéphilie accordent à la psychologie, mais cela ne saurait m’empêcher d’indiquer que quelque chose de la psyché de l’actrice irrigue ce métrage ratage, que le déclassement et l’inassouvissement de Louise rappellent un peu les siens, qu’elle les incarne bien. Sur la photo de plateau en tête de cet article, propriété du photographe spécialisé Tony Frank, Lea ne sourit pas, pas sur celle-là, pense peut-être que le noir parapluie la met à l’abri des avanies, ou cogite à ses impôts à l’instar de Garbo à la proue d’un bateau de studio (La Reine Christine, Mamoulian, 1933, année de naissance de Massari eh oui). Dans la scène du set, campagnard décor à parapluie multicolore, elle pique-nique en écho à Renoir, sourit à la douce « folie » du prétendant doucement éconduit. Le cinéma, même celui-ci, plus beau que la vie ? En tout cas pas autant émouvant que cette femme qui jamais ne tricha, face ou à l’écart d’une caméra.         

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