L’Eau et l’Électricité

 Exils # 78 (30/01/2025)

La prison suprême ? L’esprit, surtout surnaturel. Telle pourrait être en résumé la morale de ce métrage que Monsieur Darmanin devrait visionner. En attendant le huis clos de narcos, voici le Wyoming State Penitentiary, bâtiment abandonné, nouvel avatar de la bonne vieille maison hantée. Après un prologue en POV, en vérité souvenir cauchemardé, exécution d’électrocution, suivi d’une conversation de commission sous tension, ériger un établissement vraiment pertinent prendrait trop de temps et d’argent, les prisonniers rappliquent en autocars et un tandem de rebelles termine à l’humide mitard. Au cœur des écroués, le jeunot et déjà beau Viggo (Mortensen, who else?), que tout le monde remarque, que « tous les mecs matent », a fortiori le directeur directif, voire expéditif, au sommeil solitaire très tourmenté. Quitte à occuper une épave, illico retapée par les principaux intéressés, autant la confier à un professionnel (r)éprouvé, sens dédoublé, plus craint que respecté, même si en matière de sadisme le sien – citons un autodafé de matelas et un lendemain de veille sous un assommant soleil – semble inoffensif face à ses confrères machiavéliques de L’Évadé d’Alcatraz (Siegel, 1979) et Haute sécurité (Flynn, 1989). Entre les murs suintant l’usure, on ne purge point sa peine à ramasser des savonnettes, on joue du blues et aux échecs, on confisque puis déplie une affiche de Rambo bis, clin d’œil de malice du sympathique assassin italien, en train bon copain de proposer de présenter sa sœur au voleur de voitures. Bien sûr un bleu bite subit l’assaut d’un gros ogre porté sur le poker ; certes Mortensen montre son torse et ses fesses dans un petit exercice d’homoérotisme à la Van Damme, mais ces messieurs soucieux ne songent à se sodomiser, davantage à leur peau sauver. En effet une force obscure et néanmoins lumineuse, blanche et bleutée, dépourvue de pitié, sévit le jour et la nuit. Tandis que le passé cruel se rappelle au présent radotant, provoque la panique parmi les types, accumule les homicides, une émule bienvenue du Robert Redford de Brubaker (Rosenberg, 1980) découvre aux archives, en mâchouillant un chewing-gum, la troublante ressemblance entre le carbonisé de jadis et l’apollon altruiste d’aujourd’hui…

Bien servi par un script habile, un casting choral impeccable, mention spéciale à Lane Smith en dirlo au bout du rouleau, un chef opérateur compétent, par ailleurs partenaire de Stuart Gordon, Steve Miner et Joe Dante, l’inégal et souvent dispensable Renny Harlin signe peut-être son meilleur film, en tout cas le premier américain, item amène où l’on sent qu’il compose chaque plan, utilise l’espace restreint à bon escient, ne s’éternise ni ne néglige tous les éléments toujours stimulants d’un conte et d’un règlement de comptes de culpabilité partagée, démuni de manichéisme et délesté de stéréotypes. Moins estimé sinon plus réussi que le différent et similaire Shocker (Craven, 1989), Prison (1988) réunit et réussit ainsi deux imageries et régimes, celles du réalisme et du fantastique, ceux du psychologique et de l’ésotérique, appréciez au passage le personnage du croyant qui presto comprend, se scarifie ensuite. Sis sous le signe d’un crucifix en pendentif, boucle bouclée de vengeance survoltée, d’innocence incendiée, assorti de séquences aux sévices sans cesse inventifs, échos au Testuo (1989) de Tsukamoto et au saut rempli de Carrie (De Palma, 1976) inclus, il délaisse à autrui le moralisme et le progressisme, décrit muni d’empathie une humanité jamais délestée d’humanité, je pense en particulier à cette scène d’entraide de Burke & Cresus, remets tes lunettes, sauve-toi du mauvais rêve, démonstration subtile, en sourdine, de l’évidence du talent du bientôt alter ego de David Cronenberg, cf. quelques articles sur ce site thématique. Produit par et d’après une histoire d’Irwin Yablans, l’un des financiers à succès de Halloween (Carpenter, 1978), remarquez les prémices en rime, associé au stakhanoviste Charles Band, le frérot Richard compose le score, filmé fissa in situ avec de vrais ex-détenus, Prison annonce l’onirisme morbide du Cauchemar de Freddy (1988), pour lequel Harlin s’inspira des siens paraît-il, évoque encore à la mémoire La Forteresse noire (Mann, 1983), autre opus de masculinité piégée, aux prises avec elle-même et ce qui l’excède. Au final une femme fréquentable épaule un homme aimable, survivants s’en allant…

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