Femme(s) des années quatre-vingt

 Exils # 67 (07/01/2025)

À sa sortie, en écho à Carrie, mais pas au « bal du diable », tout le monde se moqua sans états d’âme de la « cousine de Superman ». Il fallut donc attendre Patty Jenkins pour lui adresser un clin d’œil logique et chronologique avec Wonder Woman 1984 (2020). Une quarantaine d’années après, Supergirl (1984) ne s’avère vite ni un produit cynique, ni une déclinaison à la con. À l’instar de l’intéressant et idem mésestimé Superman 3 (Lester, 1983), où l’immaculé Clark Kent découvrait puis combattait son propre et sale Mister Hyde, au creux d’une casse auto ensuite réoccupée par Jim Muro (Street Trash, 1987), aucun meilleur ennemi que soi-même, amen, l’analogique métrage en automatique pilotage du sieur Swarc, téléaste responsable et coupable itou des dispensables Les Dents de la mer 2 (1978) ou La Vengeance d’une blonde (1994), ne mérite l’amnésie, le mépris. Il s’agit en effet, en réalité, d’un film dont le féminisme profond et définitif ne sacrifie jamais au manichéisme, à la misandrie, d’un récit d’apprentissage, a coming of age classent-ils outre-Atlantique, dynamique et sympathique, d’un divertissement souvent amusant davantage que négligent et last but not least, certes en sourdine, d’un mélodrame et d’un « roman familial », les psys applaudissent, d’une mise en abyme dans laquelle O’Toole incarne et exorcise son alcoolisme, Dunaway magnifie et satirise son narcissisme. Si Shuster & Donner se souciaient, avec le succès que l’on sait, de Nietzsche & Eurydice, de messianisme et d’Americana, rien de ceci ici, à peine un poster vers lequel la cara Kara lève une main émue à la Michel-Ange, outre un couple dans les airs qui renverse et revisite celui, célèbre et irrésistible, de Kidder & Reeve (Superman, 1978).

Blonde et brune, débutante, étudiante, une jeune fille gracile s’exile de sa planète en danger, afin de récupérer une sorte d’œuf de Fabergé. Elle quitte par conséquent un simulacre patraque, Baudrillard rencontre Krypton à L’Âge de cristal (Anderson, 1976), une utopie en sursis, elle y donne la vie et donne le tournis, cuisses écartées, à un insecte coloré, dialogue avec un démiurge désabusé, vive l’arbre véritable et l’imaginaire, ma chère, se sépare dare-dare de parents transparents, caméo de Mia Farrow. Sur Terre hospitalière et au sein malsain d’une « zone fantôme », elle va croiser du monde, sauver le sien et le nôtre, défaire une vraie-fausse sorcière, fi de forteresse éphémère, résidant avant chez Tim Burton, pardon, parmi un parc d’attractions, hom(m)e sweet home de train fantôme, bis, et matrice apocryphe de Sarandon sa consœur à similaire rousseur des Sorcières d’Eastwick (Miller, 1987). Barbet adoubera les bandantes jambes blanches de Faye fanée (Barfly, 1987), Alan Hume éclaire un regard de guerrière à la manière Laura Mars, pratique un peu du soft focus sur Slater lorsqu’elle libère le gentil et joli jardinier désormais énamouré, ensuite du philtre et du dédoublement conscient, cependant bon perdant. Kara/Linda, candide et intrépide, rétame dès l’orée des camionneurs obsédés, apprécie une douche à la Carrie (De Palma, 1976), bis, observe tous ces mecs, directeur dépassé, « elles ne feront pas la loi », justement si, voilà, petit ami de sa petite copine, comparse de Selena lui-même professeur d’algèbre, sans arrogance, esprit de revanche, sans ressentiment ou victimisation pas encore de saison.

La force de cette super fille, fille assez super car capable de sentir et de sourire à une fleur, de savourer un vol d’acrobate en pleine nature intacte, de dépasser la perte de ses pouvoirs via le sacrifice du père putatif, un vortex vaginal de seconde naissance, de renaissance, lui permet d’affronter sa fragilité, de s’en faire une alliée, de faire l’aller-retour délestée d’adulte amertume et de dérisoire chagrin d’amour. La jeunesse et la tendresse de Slater font du film imparfait, sinon du spectateur, battre le cœur, telle jadis la lucide candeur de Christopher. La marâtre drolatique, associée à une incrédule complice, soumise à l’hubris autodestructrice, la visiteuse modeste, magnanime et merveilleuse décide d’être heureuse, de rapporter le précieux trophée, de dissiper le démon masculin et bon à rien qui menaçait illico Chicago. Le costume court et pudique, bleu, rouge et jaune, lui sied, tout sauf « panoplie » à la gomme. Toutefois, à la différence de la sirène de Splash (Howard, 1984), elle rentre seule, ni esseulée ni bégueule, escortée du thème tonique et lyrique de l’hyperactif Jerry Goldsmith. Produit à Pinewood par les incontournables Salkind, écrit par David Odell, le scénariste de Dark Crystal (Henson & Oz, 1982), basé sur un personnage de BD cocréé par Otto Binder, père en souffrance d’une enfant fauchée à l’adolescence, d’où addiction à la boisson, Peter opine, Supergirl revisite en sus le motif du miroir, autant écran comme Cocteau (La Belle et la Bête, 1946) que spatiale prison à deux dimensions (Superman 2, Lester, 1980), et reflète de façon directe des femmes fréquentables, des symboles, non des syndromes, du temps d’antan, d’une imagerie, d’un état d’esprit, à des années-lumière des mesquines misères, des galéjades du girl power, de tous les sexes la guéguerre.  

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