John Weak

 Exils # 70 (15/01/2025)


À Franck

Construit en boucle bouclée, John Wick (Stahelski, 2014) s’ouvre sur un souvenir doux-amer sur cellulaire : une Eurydice marine, plus animée que le spectre en replay de La Jetée (Marker, 62), demande à l’amoureux désormais en sursis s’il la filme. Ensuite des inserts silencieux annoncent et donc redisent le désastre intime d’un décès prématuré. Confrère d’Orphée de film endeuillé, l’ancien assassin rédimé selon sa dame de mélodrame se voit vite offrir un toutou d’outre-tombe, manière de demeurer au monde, puisqu’une Mustang bientôt volée ne suffit à se maintenir en vie. Dans l’Odyssée, Argos reconnaissait son maître déguisé, lui-même dépourvu de pitié envers d’entreprenants prétendants. Wick ne s’avère pas si « vulnérable » que le lui dit la barmaid amicale, retourne en arrière, au royaume des Enfers, surtout celui d’une mafia russe moins tatouée mais autant tourmentée que celle des Promesses de l’ombre (Cronenberg, 2007). Sur fond de canicide et d’infanticide se revisite ainsi une variation des convulsions des Atrides, petit théâtre new-yorkais de la masculine cruauté, sous un ciel aussi bas et lourd que chez Baudelaire, où la pluie répond aux larmes, où la nuit miroite l’âme. Si les tragiques grecs ne s’exterminaient sur scène, le sicaire au cadran de montre placé sur le poignet, clin d’œil au Costello du Samouraï (Melville, 1967), autre métrage de mort-vivant au métro un brin chthonien, assouvit sa vengeance via des séquences sous l’influence évidente du jeu vidéo, ce que souligne une malicieuse mise en abyme, lorsque l’héritier traqué exige d’un complice gamer malgré la menace d’arrêter de s’amuser avec cette « merde ». Ça se dégomme entre hommes, STU pas en POV, tandis que l’exécutrice Perkins, salut à l’Anthony, remplace en salope – « bitch » revient en English et cyrillique à trois reprises – démunie de miséricorde Janssen versus James (GoldenEye, Campbell, 1995).

Au cœur des Arnaqueurs (Frears, 1990), un mec doublé d’un mac montrait sa méthode pour punir une prostituée sans trop l’abîmer. Revoici la serviette cette fois-ci délestée d’oranges, en dépit du jus de carottes façon Dafoe, foutue sur la tête de la fille indocile au code moral du Continental, au concierge Charon, terrain neutre interdit au meurtre et aux discussions d’affaires autour d’un verre, costumée à la Catwoman (Batman : Le Défi, Burton, 1992). La scène dut faire souffrir les féministes, pourtant épatées d’un tel exemple de parité. Le « croque-mitaine » au surnom surnaturel, « Baba Yaga » pas sympa, sauf à l’égard d’un type du passé aujourd’hui épargné, possède un ange gardien incertain, dispose d’une équipe de nettoyage un peu spéciale, bousille une boîte dénommée le Red Circle, comme le film homonyme de Melville (Le Cercle rouge, 1970). Au sein de ce milieu et Milieu malsains, rien de sacré, de consacré, sinon de l’argent sale et des secrets de chantage, dissimulés dans une église, trésor guère orthodoxe d’édifice pas orthodoxe. Au terme du massacre, le survivant « damné » se soigne illico en écho à Rambo (Kotcheff, 1982), au creux d’une clinique vétérinaire lui permettant de substituer au beagle sacrifié un molosse plus approprié. L’exercice de style transparent écrit par un scénariste persévérant et dirigé par une paire de cascadeurs compétents ressuscita Reeves et fondit une franchise, au ciné, à la télé. Il manie l’humour noir et reprend le Leguizamo de L’Impasse (De Palma, 1993), autre conte de sécession et succession muni de mélancolie. Ceci ne dépasse Dieu merci l’heure et demie, divertissement indépendant à l’irréalisme inoffensif, au body count incommensurable, au Keanu increvable. Cela pourrait s’appeler, en résumé, un premier essai à moitié manqué.  

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