Un homme est mort : À propos de Jean-Paul Belmondo
Une gifle à Melville ? « Bébel » revoit Vanel…
Pour mon père
Avant de mourir récemment, Belmondo
décéda deux fois au cinéma : dans À bout de souffle (Godard, 1960),
dans Le
Professionnel (Lautner, 1981). Surplombé sur le parisien pavé par la
« dégueulasse » Jean Seberg, à côté d’un hélico – pas celui, dactylographique, du Magnifique (de Broca, 1973) – et au côté d’Ennio (Morricone),
l’acteur/producteur incontournable, presque increvable, cristallisa ainsi, à
une vingtaine d’années d’intervalle, balles toujours fatales, « Nouvelle
Vague » ou non, ralenti (in)compris, les deux courants de sa vie, en tout
cas celle de sa persona. La doxa
douce-amère des hexagonaux ou mondiaux experts rappelle l’éternel et à demi
réussi Stavisky (Resnais, 1974) en point de rupture, annonce d’usure, matérialisation
à l’occasion des dispensables Les Morfalous (Verneuil,
1984) + Joyeuses Pâques (Lautner, idem), en moment déterminant de
basculement, de l’auteurisme guère lucratif vers le divertissement inoffensif, sonnant
et trébuchant. Une unité de tonalité, entre tragédie et comédie, associée à une
cohorte de cinéastes accordés, estimés commerciaux – le « cinéma
commercial » s’apparente à un pléonasme – cependant caractérise a contrario
la décennie soixante-dix selon Belmondo. Entouré de Deray (Borsalino, 1970),
Rappeneau (Les Mariés de l’an II, 1971), Verneuil (Le Casse, 1971, Peur
sur
la ville, 1975, Le Corps de mon ennemi, 1976),
Chabrol (Docteur Popaul, 1972), Giovanni (La Scoumoune, aussi),
Labro (L’Héritier, 1972, L’Alpagueur, 1976), du de Broca supra (je rajoute L’Incorrigible, 1975), de
Zidi (L’Animal, 1977), de Lautner (Flic ou Voyou, 1979), l’auteur de
Je
t’aime, je t’aime (1968) puis Providence (1977) paraît une pièce
rapportée, une exception de confirmation.
Cette homogénéité de la filmographie
s’avise ensuite durant les décades suivantes, que scande une série d’insolents
succès, le Demy de Une chambre en ville (1982) en déprime, évoquons illico la Venise survolée du Guignolo
(Lautner, 1980), le requiem pour un Professionnel,
le révisionnisme à moustache de L’As des as (Oury, 1982), l’accorte
Carlos (Sotto Mayor) du Marginal (Deray, 1983), que ponctuent
des plantages programmés, dont la dérision de Hold-up (Arcady, 1987),
la poussière du Solitaire (Deray, 1987), le monologue remarqué de Itinéraire d’un enfant gâté (Lelouch, 1988), la resucée d’à quoi bon de L’Inconnu
dans la maison (Lautner, 1992), l’énième version des Misérables
(Lelouch, 1995), l’ersatz de Guitry distribué en catimini (Désiré, Murat, 1996), le
filigrane de nécrophilie (Une chance sur deux, Leconte, 1998),
de la redoutable SF à la sauce Duris & Klapisch (Peut-être, 1999) et, last but not least, un pseudo-testament
qui rendit Delon mécontent, on le comprend (Un homme et son chien,
Huster, 2008). Si les codas cruelles et sacrificielles de À bout de souffle et Le
Professionnel constituent autant une collision de saison(s), un CV en
accéléré, qu’un exercice de style symbolique et emblématique, comment rendre
(im)mortel le « mythe », comment démontrer la progression ou la
régression d’un certain ciné français, une diversité moins personnalisée,
polarisée, identifie les items des sixties, où se croisent sans se
confronter, mélange magnanime, Godard (À bout de souffle, Une
femme est une femme, 1961, Pierrot le Fou, 1965) & Melville
(Léon
Morin, prêtre, 1961, Le Doulos, 1962, L’Aîné
des Ferchaux, 1963), Sautet (Classe tous risques, 1960) & de
Broca (Cartouche, 1962, L’Homme de Rio, 1964, Les
Tribulations d’un Chinois en Chine, 1965, revoilà Ursula, déjà Andress,
pas encore topless), Duras &
(Marcel) Ophuls (Moderato cantabile, 1960, Brook + Peau de banane, 1963, tandem avec Moreau), De Sica (La
ciociara, 1960) & Bolognini (La viaccia, 1961), (Jean) Becker (Un nommé La Rocca, 1961)
& Verneuil (Un singe en hiver, 1962), Clément (Paris brûle-t-il ?,
1966) & Malle (Le Voleur, 1967), Enrico (Ho !, 1968) & Truffaut (La
Sirène du Mississippi, 1969), Oury & Lelouch (Le Cerveau, Un
homme qui me plaît, 1969).
Auparavant, « Jean-Paul » pratiqua les
planches, du contemporain, du classique, de l’opérette, du Shaw &
Shakespeare, du meilleur et du pire, rencontra la caméra de Carné (Les
Tricheurs, 1958), Allégret (Un drôle de dimanche, 1958), von Radványi (Mademoiselle Ange, 1959)
ou Chabrol (À double tour, 1959). Que dirait l’interprète récompensé,
palmé, césarisé, décoré, de Week-end à Zuydcoote (Verneuil, 1964),
de l’hommage à ramage macronien prévu aux Invalides demain ? Parions qu’il
ne lui déplairait pas, qu’il pourrait plaire à son papa, pour lequel, par piété
filiale, il refusa autrefois les « compressions » à la con, honneur
ou horreur, d’un célèbre sculpteur. Comédien de formation, contrairement à
Delon, Belmondo ne possédait le pedigree
de son concurrent d’antan, ne musarda au milieu du même milieu, sens duel,
esquiva les scandales, privilégia les cascades, peu porté sur la polémique, a priori politique. Survivant depuis
vingt ans avec les séquelles d’un insulaire AVC, alors que le retrait réitéré
d’Alain Delon s’explique en raison d’autres raisons, le beau Belmondo cède donc
un legs filmé de bon ton, mais au tracé ici esquissé, liste subjective,
palmarès impressionniste, moins audacieux, aventureux, tortueux, par conséquent
stimulant, que celui du comparse et ami « Roch Siffredi », tant
mieux, tant pis. Jamais il ne manqua de dynamisme, de maîtrise, d’amour,
d’humour et les regrets formulés désormais, au-delà de leur discutable
sincérité de bienséance, de circonstance, soulignent aussi une bonne dose de
nostalgie, carburent à une concorde à contre-courant de notre époque, assument
leur amnésie sélective ou rassie. En définitive, Belmondo n’effaroucha les
féministes, sa masculinité souvent souriante, désarmante, pas un instant menaçante,
le rendit populaire à l’échelle planétaire, auprès des spectateurs comme des
spectatrices, gloire dépourvue de désespoir, mainmise sur le mondialisé box-office délestée de malice.
En 35 mm chez Cerito ou en VHS chez René Chateau, Cobra et « gros bras » ou pas, bourgeois plus sympa que la pareillement « patrimoniale » Brigitte Bardot, incarnation stylisée d’un pays et d’une personnalité datés, acclamés, déclinés, promis au déclin, peu à peu remplacés par de nouvelles représentations et populations, lui-même muni d’une harmonie entre deux nations, de la France et de l’Italie personnelle et professionnelle réunion, Belmondo demeure néanmoins, à sa mesure modeste, discrète, une sorte de clair mystère, une énigme digne d’estime. Au miroir des images et des mirages, celles du grand et du petit écran, se reflètent son talent évident et son essence insaisissable. Dans Le Lien conjugal, transposé en Guet-apens (Peckinpah, 1972), l’anti-héros de Jim Thompson se prend à sa propre fiction de type affable, fréquentable, se fait fissa rattraper par le « principe de réalité », l’infidélité de sa femme instrumentalisée. Acteur au carré, tout sauf salaud, drôle plutôt que rigolo, Jean-Paul Belmondo joua très tôt, à l’instar du gangster de Godard, essoufflé, cinéphile, « allez vous faire foutre », le rôle d’une vie, de la sienne, en résumé assez sereine, malgré moult liaisons, unions, le deuil d’une enfant adulte, pudique tumulte. Il reste de lui des films, des affiches, des souvenirs, des sourires, une enfance, une adolescence, de quoi (re)donner l’envie d’y revenir, à la suite de plusieurs précédents articles. Un mec « monument » ? Un artiste vivant, à saluer, sinon remercier, maintenant.
Merci pour cet hommage sensible, éclairant, pudique, ce beau billet à reflet solaire
RépondreSupprimerd'un si long succès populaire, celui d'une belle gueule d'acteur plein de charme et si souvent en haut de l'affiche.
Croisé de manière fugace l'été 2010 non loin de la flamme de Lady Di à Paris, bronzage très côte d'azur et costume blanc impeccable, une dame plus jeune que lui juchée sur de très hauts talons aiguilles et un peu chancelante, très maquillée et pleine de jonquaille lui faisait "bras dessous bras dessus", en le guidant un peu, il semblait avoir le regard qui portait au loin, jouer un rôle peut-être, regard croisé, sourires amusés de part et d'autres, étonnée de sa simplicité, il aimait semble-t'il se faire proche de son public et puis chacun a continué sa route, je me demandais dans quel film je me retrouvais ainsi plongée, ça me faisait tout d'un coup un retour en arrière époque cinoche français des Lautner et Verneuil comme parfum d'impression...
Joli rencontré joliment raconté...
SupprimerJ'aime bien votre façon de commencer l'article, ses morts à l'écran. Du Belmondo sur les planches, j'ignore tout. Et malgré les diffusions télé, j'en ai pas vu tant que ça des films avec lui. Une petite vingtaine si je compte. J'adore certains films des années 60 et 70, j'aime un peu moins ceux de la décennie suivante. J'ai encore des films a priori sensationnels à voir, Staviski par exemple.
RépondreSupprimerSatie, ça vous dit ?
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=b96M4BDUJ2M
Sinon, voici :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/09/laine-des-ferchaux-deux-hommes-dans.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/01/peur-sur-la-ville-le-dernier-metro.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/08/le-mauvais-chemin-lheritier.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/03/classe-tous-risques-le-fugitif.html