Les Onze Fioretti de François d’Assise : Comme un oiseau sur la branche
Fleurs mineures ? Florilège ni sacrilège ni sortilège…
À la bienveillante et
divine Jacqueline
Le redécouvrant, on sourit souvent,
ceci ne surprend : le titre d’origine, moins factuel que le français, exit itou le (con)sacré, admet la
dimension humoristique. Encore escorté du frérot Renzo, responsable du « commentaire
musical », lecteur liminaire en voix off
et VO, Cantique des créatures carrément écolo, il caro Roberto opte
pour un vrai-faux biopic épisodique, parabolique,
un impressionnisme latin loin de la soumission de sacristain. Situé entre
l’insulaire Stromboli (1950), au sous-titre explicite (terra di
Dio),
et le méta La Machine à tuer les méchants (1952), moralité satirique,
co-écrit par Fellini & Rondi (Europe 51, 1952, Huit
et demi, 1963 ou L’Hystérique aux cheveux d’or,
1973), éclairé par Otello Martelli (Riz amer, De Santis, 1949,
Stromboli, La dolce vita, 1960), adoubé, sinon financé, par le clergé, Les
Onze Fioretti de François d’Assise (1950) déçut à sa sortie, affola un
second François (Truffaut), plut à Pasolini, lui-même amateur de légende dorée
relookée (L’Évangile selon saint Matthieu, 1964), de volatiles
symboliques (Des oiseaux, petits et gros, 1966). Ingrid (pas sulla strada)
enceinte, intimité médiatisée, matérialisme transalpin sur les cendres (de
Gramsci) du fascisme de s’établir en train, Rossellini dut ressentir la nécessité
d’à nouveau s’aérer, de (ra)conter un récit joli, en effet rempli de fantaisie.
Si l’opus picaresque, point prosélyte,
s’inspire d’un recueil hagiographique, se découpe en chapitres, rien de
livresque ici, plutôt l’application d’une poétique/politique personnelle, celle
du réel, « interpreti presi dalla vita reale », dixit le générique, moines bel et bien franciscains, auxquels
associer Aldo Fabrizi, à présent « tyran » drolatique, jadis curé
iconique de Rome, ville ouverte (1945), manifeste à la fois économique et
méthodique d’une nouvelle façon de filmer, c’est-à-dire in situ, à satiété, la société.
Le cinéaste esquisse ainsi une
fraternité, sens dédoublé, d’hommes bons et de béats « bouffons », il
se focalise sur un duo, celui de Francesco & Ginepro, il cite dès l’incipit de saint Paul le renversé ordre
(Corinthiens 1, 27-28). Comme le contemporain Rashōmon (Kurosawa,
1950), Les Onze Fioretti de François d’Assise commence sous la
pluie, d’humanisme se soucie. Des types, des disciples, une question d’élection
et un âne presque à la Bresson (Au hasard Balthazar, 1966) : ce
modèle d’exposition (au climat, à la communauté), voire de spoliation, de « vocation »,
se conclut selon de l’humiliation et de l’exultation – le jeu, la « joie »,
une foi infaillible et familière toutefois, voici ce qui les convie, voilà ce
qui les conduira. Au sein de la maisonnette manufacturée, il convient à la
maisonnée de se serrer, d’y réchauffer le frangin sans fringues, de lui
enseigner, amusé, les limites de la charité. François et ses « enfants »
reçoivent la visite du ravi et ravi Giovanni, de la guère austère sainte
Claire ; du « frère feu », on passe au crépuscule heureux,
deviné incendié suivant la simple sainteté. Un coupé pied de porc, un lépreux
parmi le naturel et nocturne décor, un bouillon à la con, une armure à l’usure,
un siège levé, aux installations embrasées, la satisfaction et la « perfection »
à l’unisson de l’indifférence, de la souffrance, une générosité désargentée,
une séparation pleine d’émotion et un particulier sens de l’orientation, la
boucle bouclée du ciel, majuscule optionnelle, en contre-plongée, en majesté, autant
d’actions, de stations, sur un parcours épuré. Film modeste et modéré, à
l’image du principal personnage, de son éthique, de sa pratique, Les
Onze Fioretti de François d’Assise s’avère vite un divertissement
didactique et intelligent, discrètement dramatique et parfois poignant.
Au-delà, il croque une croyance
apaisée, partagée, démunie de mysticisme et de miracle, dommage pour la mère
morte et ranimée, domestique et métaphysique, de Dreyer (Ordet, 1955), il propose
une réponse pertinente, douce et puissante, à la sinistre bouffonnerie de la
farce fasciste, à sa masculinité médiocre, au zèle de zélotes, il préfère l’enfance
à l’infantilisme, il rit – cf. l’éclat de rire général, de coda chorale – avec
et non contre ses mecs constamment aimables et jamais obsolètes. Vingt-six ans
avant de diriger une vie du Christ (Le Messie, 1976) sans doute moins
boursouflée, téléfilmée, que celle de Zeffirelli (Jésus de Nazareth, 1977),
sur laquelle se termine la filmographie, « tout est accompli »,
Rossellini congédie donc le dolorisme et ne sacrifie à l’iconographie. En aucun
cas poseur, pictural, toujours accessible, au risque du trivial, Francesco,
giullare di Dio se contrefout de convertir, portraiture une rupture et
une utopie. Face à la stupidité en stéréo, émouvante et victorieuse in fine, de Ginepro & Jeannot,
Francesco murmure « Dio mio », se cache la face, se prend la tête,
prend sa tête dans ses mains, pardonne et ordonne, point mesquin, délaisse à
d’autres, saints ou malsains, l’idée, le désir, d’un dérisoire destin, délaisse
sa richesse et reproduit ce geste pendant sa nuit de Gethsémani à lui, durant
l’adieu, une seconde fois atterré, relevé, l’individu en guide que suit et
secourt une collectivité, ni à son service ni à ses pieds, davantage essayant
de suivre l’exemple exemplaire d’un être d’esprit et de chair, un « pécheur
méprisable » qui ne s’ignore, un berger décidé à essaimer trésor. De
cinéma leçon et non de missel sermon, cet item
pas si atypique évacue la finale épiphanie de Stromboli, dialogue à
distance avec le dénuement, le dévouement, la folie au féminin cette fois-ci,
de Europe
51.
Comment (et à quoi) croire après la
catastrophe et le saccage de barbares d’horreur et non déserteurs ?
Comment mieux vivre ensemble, convaincre, évangéliser ? Via le foutre et la famille, affirme Théorème
(Pasolini, 1968). Divine comédie délestée de Dante, sincère et solaire
plaidoyer, de panoramiques et de travellings,
de paysages et de visages ponctué, peuplé, Les Onze Fioretti de François d’Assise
y réfléchit, rafraîchit notre effarante, effarée, modernité contaminée, pas
seulement par le capitalisme démoniaque, le psychodrame médical ou la vaseuse
virtualité. « Dans chaque pierre que tu poses, un peu de toi reste
attaché, et chaque pierre te rend plus grand » un tonsuré nous apprend –
on peut l’appliquer à chaque plan, à chaque instant, de la fable affable, édificatrice
à défaut d’édifiante, où se vérifient la vérité, la beauté, la clarté du regard
aristocratique et démocratique de Roberto Rossellini.
Un bien beau texte touchant, feux nourris de reflets cinématographiques et poétiques à la fois, en un mot merveille !
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