L’Invasion des profanateurs : Arnaques, crimes et botanique
De la déprime et du speed, de la graine et plus de
haine…
Car Je est un autre.
Rimbaud
L’Invasion des profanateurs (1978) possède déjà les défauts
de L’Étoffe
des héros (1983), il manque de rythme, de style, il dure deux heures,
Seigneur. Viré par Eastwood du plateau de Josey Wales hors-la-loi (1976),
qu’il co-écrivit, Kaufman en dépossédé paraissait toutefois la personne idoine
pour à nouveau adapter la moralité d’altérité de Jack Finney. Ensuite auteur
d’un diptyque pseudo-littéraire de peu de valeur, le décoratif et dispensable L’Insoutenable
Légèreté de l’être (1988)/Henry et June (1990), le Phil
cinéphile s’acoquine au sieur Richter (Dracula, Badham, 1979, Brubaker,
Rosenberg, 1980, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin,
Carpenter, 1986), afin d’édifier les foules au sujet de leur déshumanisation
supposée, de leur aliénation, étrangeté au propre, au figuré, de saison, allons
bon. En vérité, sa sienne invasion synthétise et spatialise le cinéma de la
paranoïa d’une décennie dessillée, s’avère un survival sentimental et amical, localisé du côté de San Francisco,
métropole estampillée progressiste, en matière de came et de mœurs, jadis
terrain de jeu malheureux de l’émouvant dédoublement de Madeleine & Judy,
pardi (Sueurs froides, Hitchcock, 1958). Parmi L’Invasion des profanateurs,
le sommeil représente une menace et fait horreur, il guette de même le
spectateur, fissa assommé au moyen d’afféteries arty, de reflets déformés, de caméra épaulée datée, de tension à
profusion, inquiétude accumulée au risque du risible. Kaufman confond
l’expression, expressionniste ou non, avec le surlignage d’occasion, sinon de
scolarisation, il met en déroute le moindre doute, dès le prologue à spores, il
conclut illico son concon complot via une coda ridicule, la crise d’hystérie
de la spécialiste Veronica Cartwright (Alien, Ridley Scott, 1979) vite
couverte et avalée par le cri d’hallali, devant la mairie, du Canadien Donald,
plongée d’oralité propice à exciter les psys et le malhabile Bill de Miss Lewinsky, oh oui chérie.
Quant à sa portée politique, de toute
façon indissociable de toute poétique, n’en déplaise aux innocents, aux
inconscients, elle se limite à un marcusianisme de maternelle, (a)mené à la
truelle, l’individualisme à la sauce US tel l’antidote à l’épidémie d’unidimensionnalité
ciblée, tel le vibrant vaccin contre la contamination du Parti républicain, ben
tiens. S’il relit et renverse l’écologie funeste de Silent Running
(Trumbull, 1972), L’Invasion des profanateurs se souvient aussi du réalisme
poétique, de son romantisme tragique, pas de départ, pas d’échappatoire, par
exemple à bord d’un gros cargo à quai
à peine moins embrumé que l’homonyme de Carné (Le Quai des brumes,
1938). Arrivée en retard, la fable d’autrefois, dont l’ironique actualité ne
nous échappera pas, ne saurait ainsi rivaliser avec ses prédécesseurs (À
cause d’un assassinat, Pakula, 1974), ses contemporains (Capricorn
One, Hyams, 1978), ses successeurs (Blow Out, De Palma, 1981,
The
Thing, Carpenter, 1982), ni dépasser le postulat point sympa, préférer
le pragmatisme au manichéisme, a
contrario du Cronenberg en auto de Crash (1996), autre conte médical et
radical, observation de la glaciation des relations, au climax inaccessible, hélas. Demeurent en définitive un item mineur, une réinvention éventée, une
variation à l’inverse de la sécheresse de Siegel (L’Invasion des profanateurs de
sépultures, 1956) ou de la défiance de Ferrara (Body Snatchers, 1990). L’Invasion
des profanateurs dispose cependant de plusieurs qualités, qu’il
convient de valoriser : une direction de la photo travaillée, texturée,
due au maestro Michael Chapman (Taxi Driver, Scorsese, 1976, Hardcore,
Schrader, 1979) ; un environnement sonore inventif et immersif, concocté
en tandem par Denny Zeitlin (pianiste
de jazz + professeur de
psychiatrie !) & Ben Burtt (régulier partenaire de la paire Lucas
& Spielberg) ; un casting
choral impeccable et impliqué, ponctué de camés plutôt rigolos, celui de Lelia
Goldoni (Shadows, Cassavetes, 1959, Alice n’est plus ici, Scorsese,
1974) en épouse apeurée puis ravie, ceux de Robert Duvall en curé basculé, de Kevin
McCarthy en cassandre écrasée, de Don Siegel en chauffeur imposteur et délateur.
Car les copieurs sans cœur de Kaufman s’autorisent en sourdine à mêler le comique au dramatique, cf. la séquence écœurante et hilarante du restaurant a fortiori français, ce moment désarmant entre Adams & Sutherland (sosie à demi de John Holmes, mince), où la mariée douce-amère des Moissons du ciel (Malick, 1978), de Johnny Smith la fiancée infidèle (Dead Zone, Cronenberg, 1983), roule des yeux à rendre heureux, le clébard à banjo et tête de mec, chouette. On le voit, face au désastre (de la culture de masse) invisible, à domicile, en germe avant même l’insoupçonnable intrusion de l’espèce spermatique en voie de disparition, il faut avoir recours à l’amour, à l’humour, il faut réfléchir, s’enfuir, davantage qu’écouter les déceptives autorités, que consulter les pervers experts (du psychisme, du snobisme, du développement personnel à mettre à la poubelle) auto-proclamés, message d’enfantillage d’un métrage de son âge. Et quitte à choisir une sinistre benne à ordures, on adoube d’abord celle, conclusive et cruelle, de Rage (Cronenberg, 1977), pareil opus de parasitisme, de vampirisme, de différence funèbre, à la désespérance plus puissante et personnelle.
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