Becoming Elsa: A Coming of Age Story : Elsa, Elsa
Partir, (se) découvrir, grandir.
« Deviens qui tu es ! »
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra
En country girl esseulée, en
étudiante boursière à UCLA, en vierge réservée, Elsa Jean séduit assez. Certes,
tout ceci, étiré autour de deux heures vingt, découpé en épisodes à la fois
prospectifs et récapitulatifs, s’avère trop long, manque d’émotion, ce
« passage à l’âge adulte » – notez le jeu de mots inclus sur come – ne déploie pas de passion, et le twist vite deviné, in extremis dévoilé,
d’une amie imaginaire, dédoublement d’audace explicité par l’intéressée, à
l’attention des étourdis, ne saurait suffire à rivaliser avec les fantasmes
méta de Naomi Watts selon Mulholland Drive (Lynch, 2001), qui
lui-même, d’ailleurs, comporte une mémorable scène d’onanisme dépressif,
passons. Le scénariste/réalisateur/monteur Rick Greenwood se conforme pour sa
part, en professionnel anonyme, au cahier des charges de l’estimable studio
spécialisé, co-créé par Nica Noelle, le bien nommé Sweetheart Video, à savoir
un saphisme exclusif-narratif, une sentimentalité assumée, du temps réel
capturé en plans-séquences à deux axes, accessoirement des orgasmes sincères,
avec ou sans éclaboussures de squirting,
nos amitiés à l’aimable Deauxma, routarde royale du drap humide. Cependant, le
père Éric Boisvert, tout sauf pervers, parvient à ponctuer ses ébats
eugénistes, bien trop lisses, éclairés en lumière blanche refroidissante, au
sein d’une villa californienne
immaculée, écrin malin d’épidermes crémeux, d’une poignée de visages dignes
d’être (re)découverts, car porteurs de leur propre beauté tendue, de leur
vérité mise à nu.
Si les étreintes liminaires, entre
brunes, de la dominante Abella Danger et de la soyeuse Jade Kush, se signalent
par leur énergie juvénile, si les suivantes, entre blondes, de la logeuse
élogieuse India Summer et de l’épouse adultère Cherie DeVille, se caractérisent
par leur complicité de maturité, entre Blanche et Noire, de la souriante
Charlotte Stokely et de la frémissante Ana Foxxx, coupe afro comprise, entérinent le pragmatisme progressiste du X, tant
pis pour le vilain terme interracial, trinité de duos avant l’acmé du trio
conclusif et réflexif réunissant Elsa, India et Charlotte, cette dernière,
naguère cadrée au creux d’un miroir, soudain disparue du set, absente de la glace, attestation de son statut de projection,
l’essentiel de la cinéphilie, autre dénomination du désir, réside au-delà de
tout cela, c’est-à-dire dans les capacités d’actrice de Miss Jean. Grâce à sa grâce, sa simplicité, sa modestie, elle
transcende ses talents attestés, sinon à tester, en matière de masturbation en tandem, de voyeurisme joyeux, de cunnilingus et anulingus en sus. À l’instar de Liz Taylor, interprète de sa persona, Elsa, à son échelle duelle,
joue Elsa, évite pourtant de ressasser les vrais-faux biopics stériles des années 2000, cf. les (in)consistantes
collections d’histoires ou de vies supposées privées éditées par Private. En
partie raconté par sa voix, comme un conte adulte au calme tumulte, un récit
d’émancipation placé sous le signe de la transmission, Becoming Elsa: A Coming of Age Story (2018) s’écarte de l’autobiographie et opte pour l’autofiction.
La coda de boucle bouclée avec l’incipit peu lubrique, en plongée
allongée, presque de papillon épinglé, en écho de la métaphore extatique,
organique, du butterly stomacal, en
regard caméra, de toi à moi, remonte aux origines de la jouissance et de l’identité,
anticipe leur rencontre à venir, couronnement de la quête individuelle,
existentielle, et valide leur équivalence, elle-même source d’élan réconcilié,
carburant du nouveau départ de l’épilogue apaisé, motorisé. Maternelle et
maternante, initiatrice old school
(elle préfère la TV au PC), India Summer, tout autant comédienne de plein
droit, semble regarder son alter ego rajeuni, en train de s’éloigner avec
reconnaissance, vaillance, ultime miroitement au royaume interdit aux hommes, remember l’une des trois règles
communautaires. Jamais misandre, souvent tendre, Rick Greenwood ne prend à
aucun moment le spectateur, donc la spectatrice, pour un imbécile cynique, un
consommateur tapageur, un esclave de l’extase écourtée. Bien sûr, personne, une
seconde, ne le confondra avec des confrères ici célébrés par mes soins, je
renvoie vers le libellé générique – et alors, mon trésor ? Malgré ses
limites manifestes, le sage ouvrage ne sacrifie point à la stupidité, évacue la
vulgarité, fait confiance à son casting
choral convaincant et portraiture une jeune femme prometteuse, que l’on
aimerait bien recroiser parmi des productions moins dénudées, plus étoffées, disons
dans le sillage de Steven Soderbergh jadis entiché de Sasha Grey (Girlfriend
Experience, 2009).
Tel le cinéma classé mainstream, estampillé tout public, à
l’obscénité généralisée, exhibée en toute impunité, l’expression pornographique
subit la pression inique du marché, pâtit d’épiciers, de paresseux, d’un
déficit d’esprits vifs et généreux. Gardons-nous néanmoins de désespérer,
d’elle, de nous (tous), tenons à distance le puritanisme relooké en féminisme
victimisé, la misogynie matérialisée, actée par le capitalisme, fais-toi
défoncer pour du fric, avale notre drame et ravale tes larmes. Oui, l’empire de
la tristesse de mon essai passé parfois sait afficher une princesse
acceptable, au pseudonyme hérité d’une certaine reine enneigée de Disney. Ni
diamant ni navrant, Becoming Elsa: A Coming of Age Story donne l’occasion
d’apprécier Elsa Jean, paraît doucement néantiser ce qui précède de sa
filmographie, la redéfinit à l’orée de la nuit, de l’envie. Il méritait, par
conséquent, quelques lignes magnanimes, dédiées à la teen mutine (et majeure, aucune peur), en stimulant l’espoir de
voir un jour la plupart de ces femmes fréquentables sous un jour différent, enfin
délestées de la lettre écarlate du mépris, de la pitrerie, des a priori. Charlotte, Cherie, India et, last but not least, Elsa, on vous
souhaite de passer la frontière, de franchir le plafond de verre, de démontrer
aux incroyants, aux commerçants, aux bien-pensants, l’étendue de votre talent.
En attendant, lecteur, lectrice, tentez la traversée sans penser (à mal) à
Mademoiselle Triolet, afin de relire les yeux d’Elsa, en tout cas ceux-là, à la
lumière énamourée du texte autorisé (à la minorité, iconographie clean), à présent achevé.
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